En Catalogne, l’équivalent des Soulèvements de la Terre mobilisé contre une usine de composants de batteries
Du 2 au 4 mai 2025 se tenait le premier évènement de Revoltes de la Terra. Un millier de personnes se sont rassemblées à Mont-Roig del Camp, en Catalogne, avec deux objectifs : lutter contre le projet de méga-usine de composants de batteries et légitimer et fédérer autour de ce mouvement nouvellement créée. Au programme du week-end : manifestations, actions symboliques, table ronde, conférences et concerts
Par Antoine
@Pronostic.vital.enragé sur Instagram
Revoltes de la terra est un mouvement écologiste radical, née il y a deux ans en Catalogne. Nos Soulèvements de la Terre français ont été une source d’inspiration revendiquée, que ce soit dans le mode d’action, la volonté de renouvellement des pratiques militantes, ou encore dans la communication (logo similaire par exemple). Revoltes de la Terra vise à rassembler le mouvement écologique militant et le monde paysan pour lutter ensemble contre les attaques capitalistes, patriarcales et coloniales.

Pourtant, Revoltes de la terra ne se cantonne pas à une lutte d’opposition : il promeut aussi un mode de vie permettant de transformer la société. L’horizon ? Habiter la terre pour s’y reconnecter, faire communauté, coopérer, et s’extraire des logiques productivistes.
A ce titre, le pari semble pour l’instant réussi, en témoigne l’appel signé par quatre organisations : Revoltes de la Terra, un collectif de lutte local (Salvem Mont-Roi), et surtout deux organisation paysannes, le syndicat agricole majoritaire en Catalogne, Unió de Pagesos, ainsi que Revolta Pagesa, mouvement agricole né des manifestations agricoles de 2024.


” No a la lotte !”
Les paysan-nes sont en effet en première ligne des conséquences délétères de ce projet. Ce complexe industriel prévoit de s’étendre d’abord sur 44 hectares, pour l’usine elle-même, auxquels il faut rajouter 96 hectares pour construire la centrale de production électrique photovoltaïque qui subviendra aux besoins de l’usine. La plupart de ces 140 hectares sont aujourd’hui des terres agricoles ou naturelles.

En plus de cette artificialisation, la question de l’eau est très préoccupante, selon les opposant-es. L’usine consommerait 2000 m³ d’eau par jour, dans une zone souffrant déjà de sécheresse. Un représentant de Unió de Pagesos dénonce cette injustice : “Il y a des zones où les noisetiers ont été déracinés, ici on donne un robinet à toute entreprise qui vient, comme si il n’y avait pas de pénurie d’eau” (traduction). D’autant plus que l’usine se trouvera sur l’une des plus grande nappe phréatique de la région. Les opposant-es craignent une pollution aux métaux lourds de cette ressource vitale.

C’est la multinationale Sud-Coréenne Lotte Chemical Corportation – via sa filiale Lotte Energy Materials – qui porte le projet, visant à produire des feuilles de cuivres (élément indispensable à la fabrication de batteries, notamment utilisées pour les voitures électriques). Cette dernière met sur la table 400 millions d’euros. Les pouvoirs publics (gouvernement catalan, ministre de l’industrie et union européenne) soutiennent le projet et apportent des subventions à hauteur de 70 millions d’euros. Cela pose problème à Júlia Martí Comas et Clàudia Custodio, co-signataires d’une tribune dénonçant -entre autres- l’implication d’une des filiales de Lotte dans les crimes de guerre en Birmanie contre les Roingya, ou encore de leur collaboration étroite avec l’entreprise sidérurgique POSCO, accusée de déplacements des peuples autochtones en Argentine.
Plus généralement, ce projet s’inscrit dans une dynamique européenne de course au leadership économique d’une certaine vision de la transition écologique. Les opposant-es contestent le fond de ce projet, qui ne tient compte ni des individus ni des écosystèmes. Les travaux devraient débuter fin 2025, avec une livraison prévue pour 2027. Cependant, deux recours juridiques sont encore en cours. 500 emplois seraient attendus à terme pour cette usine.
Une manifestation et des actions symboliques
La manifestation du samedi débuta en milieu d’après-midi. Trois cortèges étaient sur la ligne de départ : Lièvre, chargé d’arriver en premier sur les lieux et de construire une barricade, pour sécuriser l’arrivée du second cortège (Lapin) contenant le gros des troupes avec le matériel de plantation, puis un cortège paysan et inclusif, motorisé avec des engins agricoles.


Après une traversée de champs et forêts, alternant course et pas rapide, ponctué de slogans “No a lotte !” (non à Lotte), ou encore “Terra i llibertat !” (terre et liberté), le premier cortège arriva sur les lieux d’implantation de l’usine. Un chaîne se forma rapidement pour construire la barricade de pneus. Quelques minutes plus tard, le second cortège fit son apparition, acclamé par le premier. Puis ce fut au tour des tracteurs, accompagnés de l’âne.


Les manifestant-es déchargèrent alors le matériel et commencèrent une grande chaîne humaine, pendant que certain-es se mirent à creuser le sol, compacte et aride. L’objectif était de planter des espèces locales pour régénérer cette ancienne friche industrielle. En parallèle, une bâtisse fut recouverte de tags, pendant que d’autres peignaient le logo sur le sol. Après une célébration collective avec des chants et danses, le retour au camp se fit dans le calme.




Puis, retour au camp. Nourriture vegan à prix libre, concerts sous un grand chapiteau, débit de boisson, sortie botanique, assemblée générale des luttes, marionnettes pour enfant, table ronde et conférences sur divers sujets, stands infokiosques, et même atelier de danse traditionnelle (sardane) : voilà les activités proposées, où chacun-e a pu y trouver son compte. Seul petit bémol : l’inclusivité linguistique de ces évènements, proposés uniquement en catalan.

La répression par l’infiltration
De prime abord, le contexte répressif diffère radicalement de celui que l’on connait en France pour des rassemblements du même type : a peine deux camions de police ont été aperçus au loin. Cependant, les récentes révélations parues dans le documentaire “Infiltrats” (production de 3Cat) montrent que l’État espagnol procède massivement à l’infiltration et l’espionnage des mouvements sociaux et syndicaux, notamment en tissant des relations intimes et sexuelles avec les militant-es, comme le dénonçaient 88 organisations dans un communiqué paru en 2023. Si Revoltes de la Terra veut se diriger vers des actions plus radicales, il lui faudra composer avec cette donnée.
Finalement, le pari est réussi pour Revoltes de la Terra. Il résulte du week-end, en plus des activités du camp, une action bien organisée d’un point de vue logistique, inclusive, et qui a permis deux choses : mettre un coup de projecteur sur la lutte contre cette usine et ses conséquences néfastes, et construire de la confiance et une solidarité mutuelle dans cette organisation nouvellement créée.

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