Discriminations à l’emploi à Montpellier : « Classe, genre, territoire et origines se cumulent »

Créé en 2021 par la Ville de Montpellier et l’Université Paul-Valéry, l’Observatoire des discriminations analyse les inégalités locales pour orienter les politiques publiques. Roman Vareilles, chercheur en science politique, y étudie les freins à l’emploi des femmes des quartiers populaires comme la Paillade, marqués par des discriminations multiples et cumulées
Article initialement paru dans le numéro 47 du Poing, toujours disponible sur notre boutique en ligne.
Qu’on se le dise d’emblée : il est rare que Le Poing écrive sur un dispositif mis en place par la Ville de Montpellier autrement que pour critiquer sèchement. Mais celui-ci a le mérite de mieux appréhender les discriminations et les formes de dominations présentes dans la société, et notamment dans les quartiers prioritaires de la Ville (QPV). Depuis un an, Roman Vareilles, docteur en science politique, travaille à l’Observatoire des discriminations mis en place par la mairie de Montpellier en 2021 en partenariat avec l’Université Paul-Valéry, dans le but d’identifier ces discriminations et d’émettre des recommandations visant à lutter contre d’un point de vue des politiques publiques. Son travail concerne principalement les discriminations à l’emploi des femmes des quartiers populaires, et plus précisément de la Paillade (aujourd’hui appelé la Mosson).
« Sur Montpellier, les chiffres sur lesquels on s’est basé avant de partir sur le terrain montraient que les femmes des QPV travaillaient moins que les hommes des QPV et moins que les femmes hors des QPV », explique le chercheur. « Par exemple, en 2017, le taux d’activité pour les femmes des QPV était de 71,7 % contre 85,9 % pour les hommes des QPV, tandis que le taux d’activité des femmes hors QPV était de 86,2 %. » Si l’écart du taux d’activité entre les hommes et les femmes hors QPV s’est réduit entre 1990 et 2017, passant de 10,6 % à 4,3 %, cet écart hommes/femmes est resté plus stable dans les QPV sur la même période, passant de 15,9 % à 14,2 %. Comment expliquer cette différence ?
« Les discussions de comptoirs évoqueraient une différence de cultures, de mœurs et de traditions », commente Roman Vareilles. « Quand je suis allé sur le terrain en tant que personne extérieure au quartier, je me suis rendu compte d’une sur-représentation des femmes dans le travail social et associatif. Cette hyper-activité des femmes est invisible dans les chiffres, notamment tout le travail domestique lié à la gestion des familles. »
La garde d’enfants, problème majeur
Car l’un des problèmes majeurs à l’accès à l’emploi des femmes de la Paillade qui ressort des entretiens de Roman Vareilles est avant tout la garde d’enfants, et ce, pour plusieurs raisons. « Cela coûte cher de les faire garder, et les crèches à proximité manquent de places. Il y a également un manque d’informations et de communication sur l’accès aux places en crèches. Pour y inscrire un enfant, il faut un contrat de travail ou la preuve d’une inscription à France Travail, mais pour ça, il ne faut pas avoir d’enfants à garder, c’est le serpent qui se mord la queue… Les employés des crèches disent que ce n’est pas le cas, donc il y a peut-être une distorsion entre la règle et la pratique, ou un manque d’informations claires sur la procédure à suivre… »
Autre constat qui ressort de l’étude : si les offres de garde d’enfants chez des nounous sont légions dans le quartier, les femmes n’y ont pas recours. « Ce qui ressort des entretiens, c’est qu’outre la question du coût financier, il y a un enjeu de valorisation du rôle de mère, qui doit assurer la garde et l’éducation des enfants. Il y a une forme de peur du “qu’en-dira-t-on” vis-à-vis des autres familles si les mères externalisent cette garde, c’est une forme de contrôle social accentuée par la promiscuité dans laquelle vivent les gens », constate Roman Vareilles, qui ajoute, « ceux qui font ce reproche aux femmes sont les hommes, c’est une forme de sexisme et de domination masculine. Mais ces témoignages sur la domination masculine viennent avant tout de travailleuses sociales extérieures au quartier, car il y a une solidarité au sein du quartier qui tend à invisibiliser ces dynamiques. »
Ces rôles sociaux où l’homme va travailler et la femme reste à la maison n’est pourtant « pas spécifique aux QPV », selon Roman Vareilles, « mais c’est vrai que c’est plus marqué dans les classes populaires : à l’échelle nationale, 11 % des mères salariées ou ouvrières sont sans emploi pour des raisons liées aux enfants, contre 3 % chez les cadres. »
La Paillade, loin de tout ?
« La question des mobilités est aussi très prégnante dans les freins à l’emploi », analyse Roman Vareille. « Le quartier est certes accessible par les lignes 1 et 3 de tramway, qui l’ont considérablement désenclavé, mais des contraintes de temps subsistent pour les femmes. Les bassins d’emplois possibles sont loin du domicile. Dans les compétences mises en avant par ces femmes, on retrouve beaucoup les métiers du care ou du nettoyage, il y a même une sur-représentation de ces métiers chez les femmes immigrées, car il y a une externalisation de ces domaines par les femmes blanches vers les femmes issues de l’immigration. En entretien, j’ai rencontré une dame qui faisait des ménages en dehors de Montpellier. Mais entre le coût du permis, du carburant et de la garde d’enfants, elle a calculé que ce n’était pas rentable d’aller travailler. »
L’enjeu de la potentielle barrière de la langue peut également être un problème : « C’est lié à la mobilité », enchaîne le chercheur. « La mobilité est une question de réseaux. Si les réseaux, notamment de gens avec qui on peut parler la même langue, sont concentrés sur la même zone, on n’a pas de raisons d’aller ailleurs. »
« Le fait de venir de la Paillade est discriminant en soi »
Parmi les discriminations directes visant les femmes venant de la Paillade dans leur recherche d’emploi, le port du voile revient souvent selon Roman Vareille. « C’est incontournable, y compris dans des métiers où les femmes sont invisibles aux yeux du public. Il y a par exemple des femmes de ménages à domicile qui se font recruter, et une fois sur place, la personne employeuse peut les discriminer. Certaines trouvent des combines, comme des charlottes dans certains métiers, ou même des perruques. »
La couleur de peau rentre aussi en compte. « Quand on est soumis à la discrimination dans tous les secteurs de la vie, ça peut dissuader d’aller chercher du travail, car ça touche directement à la confiance en soi. Et puis venir de la Paillade est discriminant en soi car le quartier jouit d’une mauvaise réputation », décrit Roman Vareilles. « Finalement, tout se cumule : genre, classe, origine, territoire… Il y a une imbrication des dominations qui fait que les femmes des quartiers sont les dominées des dominés. »
Parmi les recommandations suggérées pouvant se traduire dans les politiques publiques, on retrouve ainsi la création de places en crèches, la possibilité d’avoir un contact humain pour les démarches administratives car la dématérialisation peut être un problème, la sensibilisation des employeurs aux discriminations et des formations sur les recours potentiels au Défenseur des droits en cas de discrimination avérée… Reste à savoir si ces recommandations vont être suivies d’effets.
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