Amassada : venez passer la Toussaint à Saint-Victor pour enterrer le méga-transformateur
20 octobre 2019Depuis cinq ans, la lutte contre le transformateur de Saint-Victor (12) s’incarne dans l’Amassada : une sublime cabane, devenue un hameau habité quotidiennement durant la dernière année. L’expulsion du site ce mardi 8 octobre a engendré une première semaine de résistance au chantier qui s’y est installé. L’Amassada en exil appelle désormais tous ses soutiens à converger à Saint-Victor pour un grand week-end de résistance les 1er, 2 et 3 novembre et nous a envoyé ce récit de la semaine écoulée.
Récit d’une semaine de résistance à l’Amassada
Mardi 8 octobre 2019
Sur la D50, cette nuit, aucune voiture ne circule. Une banderole s’avance dans l’obscurité : « Non au pylônage des terres », annonce-t-elle fièrement. Ce morceau de bâche est historique. Confectionné avant même la construction de l’Amassada, il a suivi nos actions d’année en année, se montrant jusque dans les locaux du Parc Naturel des Grands Causses ou sur le chantier des éoliennes de Crassous. Et en ce 8 octobre encore, à 5 heures du matin sur la Plaine, un peu sali et délavé, il nous accompagne, fidèle, attendant avec nous l’assaut que nous savions imminent, une fuite nous étant parvenue depuis plus d’une semaine.
La file bleue s’avance sur la route déserte vers notre première barricade avant de s’arrêter, blindés en première ligne. L’essence imbibe déjà les pneus. Bientôt, un spot d’une puissance ahurissante éblouit la centaine de personnes chantant sur la route. Nous ne percevons plus que les gyrophares, les mouvements des troupes descendues des véhicules nous sont désormais invisibles derrière leur lumière crue. Aveugles, nous entendons les sommations, première deuxième troisième, puis le bruit de la charge. Nous serrons les rangs et les dents, puis les boucliers et autres matraques arrivent au contact de notre vieille banderole. Le face-à-face est musclé. Nous reculons derrière la barricade rapidement enflammée, qui retient l’assaut le temps que nous passions derrière la seconde, celle que depuis plus d’un an nous appelons « Saint-Affrique ». Des salves de pierres s’envolent en direction des gendarmes mobiles avant qu’ils ne chargent à nouveau. Sous les gaz, nous chantons toujours notre chanson, inspirée des No TAV valsusains : « RTE, dégage de notre paysage, ton transfo, tes pylônes et tes crédits carbone seront balayés bien loin de nos contrées, allez, allez… »
Les gendarmes s’attardent, véritables fées du bitume, pour nettoyer la route à l’aide de leurs engins à l’allure de tanks qu’ils sortent désormais à l’envi. Une fois le ménage accompli, ils entament leur montée vers la Plaine, action qui peut sembler paradoxale à la lecture, mais il faut comprendre que cette « plaine » – à l’instar de celle de Marseille – est un plateau mal nommé suite à une traduction hasardeuse de l’occitan. C’est là-haut que se trouve la libre commune de l’Amassada, une cabane-presidio construite il y a presque cinq années déjà, devenue ensuite hameau et habitée depuis plus d’un an. Nous nous plaçons entre les bâtiments, prêts à faire face, tandis que des groupes montent sur les toits. Mais alors que nous faisons une chaîne, les hommes en bleu demeurent à une centaine de mètres, immobiles. Nous comprenons un peu plus tard que leurs spécialistes de la conduite de blindés dégagent les chemins d’accès hérissés de barricades. Mais le zèle de l’un d’entre eux s’est avéré par trop forcené. Alors qu’il s’approchait d’une barricade enflammée, il n’a pas pris le temps de réfléchir – excusez le pléonasme – et a foncé dedans, confiant dans son beau véhicule clinquant. Les flammes se sont alors mises à lécher goulûment sa carlingue tandis qu’il peinait à reculer, conscient soudain de sa stupidité. Le spectacle ne manquait pas de piquant pour nous qui attendions un peu plus bas. Les collègues de ce Shumacher raté ont peiné à éteindre son véhicule dont certaines parties plus sensibles brûlaient joyeusement. Le soleil, derrière eux, se levait. Nous avions tenu jusqu’à l’aube.
Rejoints par des renforts nombreux, ils attaquèrent. Au corps-à-corps, d’abord. Alignés derrière notre chère banderole, nous essuyions les coups bas, non sans connaître quelques moments joyeux, tel celui qui vit un gendarme trébucher, puis tomber près d’un bidon rempli de 200 litres d’eau pas très claire. Un coup de pied avisé renversa alors son contenu entier sur le pandore au sol, aussi trempé soudain que s’il avait plongé dans la Sorgues. Il nous fallut bien pourtant reculer petit à petit, jusqu’à ce qu’ils s’emparent finalement du hameau. De nombreuses grenades lacrymogènes nous en éloignèrent. Mais celles et ceux qui s’étaient perchés sur les toits tenaient bon. Nous tentâmes plusieurs fois de contourner le dispositif, de nous regrouper, de nous éparpiller, sans parvenir à regagner l’Amassada. Il fallut plusieurs heures aux équipes spécialisées pour faire redescendre les personnes une à une (certaines s’étaient même dénudées pour ne pas leur faciliter la tâche) usant pour ce faire des pelles mécaniques arrivées entre temps. Ils et elles furent donc pellitreuillés jusqu’au sol… Mais alors que les machines s’avançaient pour débuter leur labeur ignoble, un habitant du village, caché dans les fourrés, surgit et se plaça devant elles, avant d’être finalement arrêté (il sera relâché avec un rappel à la loi, comme les trois autres personnes interpellées ce jour-là).
La destruction commença. Armés d’un cynisme étonnant, ils détruisirent d’abord le jardin, le girobroyant durant presque deux heures. Les bulldozers, quant à eux, s’attaquaient aux constructions, les plus petites d’abord, puis l’Amassada elle-même. Leurs pinces gigantesques arrachaient sans distinction tôles, morceaux de charpente, vêtements pendus aux portemanteaux, meubles, pour les écraser au fond d’une benne marquée du logo de l’entreprise Sovirec, basée à Vias (34). C’est cette fin qu’a également connue notre bonne vieille banderole. Nous l’avons vue pendouiller au bout de l’immense bras articulé, nous présentant une dernière fois son inscription avant de disparaître parmi les gravats. Il nous faudra simplement la refaire.
Ils ont ensuite écarté toute personne afin qu’aucun film ne soit tourné de la destruction des deux autres bâtiments. La dernière chose que nous vîmes ce matin-là, ce furent des ouvriers éhontés installant un grillage autour de la libre commune, désormais en exil.
Nous n’avons pas attendu un seul jour avant de tenter la première attaque du chantier. En fin d’après-midi, nous sommes retournés taquiner le dispositif gendarmesque à coups de pierres, d’insultes et de facéties. Eux, muets et absolument dénués d’humour, nous répondaient avec leurs habituels gaz.
Samedi 12 octobre
Pendant des années, avant que le hameau de la Plaine ne soit habité quotidiennement, les samedis rythmaient le pouls de l’Amassada et de l’opposition au transformateur. C’était ce jour-là, après le marché de Saint-Affrique, que l’on se retrouvait là-haut, blottis dans ce presidio du causse, scrutateurs d’une guerre qui ne semblait alors jamais vouloir venir. Aujourd’hui que les bulldozers sont passés sur les cabanes, le samedi semble derechef s’imposer comme jour majeur de la semaine, celui de nos visites au chantier. Nous avons donc emprunté le chemin de l’Amassada une fois encore, une photo de la préfète sur le visage, derrière une banderole « Expulsion rebellion ». Contrairement à mardi, nous avons pu cette fois atteindre les grilles et tester leur fébrilité. Les champions de la sécurité de RTE, pour renforcer la clôture à brebis qui entoure le site, ont jugé bon de rajouter des rouleaux de barbelés à lames de rasoir au niveau du sol mais… à l’intérieur du fortin. Ce qui empêche les policiers qui y sont cantonnés de venir au contact de ceux qui viennent chahuter les poteaux. Les gardes mobiles ont laissé place aux brigades du coin, peu familières du maintien de l’ordre. À leur tête, le pathétique Berna était prêt à en découdre, engoncé dans son costume de combat. Mais le projectile qui le visa atteignit sa fierté : une tomate déconfite vint s’écraser sur ses moustaches dès qu’il fut sorti du fortin. Ce furent ensuite au tour des pierres du causse de poursuivre en nombre, à droite comme à gauche, les mouvements des pandores. Ceux-ci parvinrent tout de même à interpeller quatre manifestants et à contenir bon an mal an ce premier assaut. De notre côté, nous avons pu ressentir tout le potentiel de cette nouvelle situation et les difficultés qu’ils auront à défendre leur position jour après jour, mois après mois.
Nous retournerons devant et peut-être dans ce chantier, demain, après-demain, les jours et les nuits d’après, jusqu’à la Toussaint. Car alors, nous pourrons, avec vous toutes et tous, aller porter des chrysanthèmes au beau milieu du tombeau qu’ils construisent, et les renvoyer au néant duquel ils n’auraient jamais dû sortir. Venez toutes et tous les 1er, 2 et 3 novembre prochains pour fêter la Toussaint à Saint-Victor !
Pas res nos arresta,
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