Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Comment vivre avec la peur au quotidien à Gaza
31 mai 2025Chacun des ateliers de soutien psychologique hebdomadaire pour les femmes que nous recevons depuis plus d’un an s’attaque aux réalités quotidiennes pour mieux les affronter, continuer à vivre dignement. Compte rendu d’un atelier à Deir al Balah le 30/05
Les crises que traverse Gaza ne sont plus de simples scènes passagères ; elles se sont transformées en un état constant de peur, de tristesse et d’anxiété, laissant de profondes cicatrices psychologiques chez les Palestiniennes et faisant du besoin d’intervention psychologique non pas un luxe, mais une nécessité humanitaire urgente. Dans ce contexte, l’importance des ateliers de soutien psychologique organisés par les équipes de l’UJPF apparaît clairement, offrant une lueur d’espoir dans l’obscurité de la guerre et un espace temporaire pour reprendre son souffle dans une réalité étouffante.
Un atelier intitulé « Gestion de la peur » s’est tenu au camp de l’amitié de Deir al-Balah. Cet atelier s’adressait à vingt femmes déplacées, dans un véritable effort pour leur donner les moyens de reprendre le contrôle de leur vie émotionnelle et leur fournir des outils pour les aider à faire face aux pressions quotidiennes imposées par la force.
Au début de l’atelier, après un accueil chaleureux reconnaissant leur souffrance et n’hésitant pas à la nommer, les femmes ont été invitées à partager leurs expériences de peur intense. Une participante a commencé à raconter la nuit où un missile a explosé près de chez elle et comment elle a couru pieds nus dans le noir, portant ses enfants, vers l’inconnu. Une autre: « Chaque fois que j’entends le bruit d’un avion, j’ai l’impression que la mort approche. » La salle s’est rapidement transformée en une scène de confessions.
Les femmes se sont assises en cercle plus serré cette fois, comme si un sentiment de confiance s’était instauré entre elles et l’animatrice. « La peur n’est pas votre ennemie… c’est un message de votre corps indiquant qu’il y a un danger. Le problème commence lorsque nous ne comprenons pas le message.» Elle a ensuite expliqué de manière simplifiée les concepts de peur, d’anxiété et de panique d’un point de vue comportemental et cognitif.
L’animatrice a expliqué que la peur est une réponse physiologique naturelle et directe à un danger réel, comme le bruit d’une explosion ou l’approche d’une menace directe. Cela provoque une accélération immédiate du rythme cardiaque, une dilatation des pupilles et une contraction musculaire – ce que l’on appelle le mécanisme de « combat ou de fuite ». L’anxiété, en revanche, est différente. Il s’agit d’un sentiment persistant de menace indéterminée, qui peut ne pas exister réellement, mais qui existe dans l’imaginaire, maintenant la personne dans un état constant d’anticipation de ce qui pourrait arriver. Cela consomme une énergie psychologique considérable et épuise le corps à long terme. L’animatrice a abordé la panique, qui représente le pic de la peur. Il s’agit d’une attaque soudaine qui peut donner à une femme l’impression d’être sur le point de mourir ou de perdre complètement le contrôle.
« Imaginez entendre le bruit d’un avion ; c’est de la peur. Mais après la fin des bombardements, si vous vous réveillez chaque nuit en vous sentant menacée sans raison apparente, c’est de l’anxiété.» « À quand remonte la dernière fois où vous avez ressenti une peur réelle ? Et avez-vous déjà ressenti de la peur sans menace directe ?»
Ensuite, l’animatrice a distribué des petits morceaux de papier et a demandé à chaque femme d’écrire deux histoires tirées de son expérience personnelle :
1. Une situation où elle ressentait une peur aiguë et immédiate.
2. Une situation où elle ressentait une anxiété constante sans danger immédiat.
Une femme a déclaré : « J’ai ressenti une véritable peur lorsque notre maison a été détruite la nuit, et je cherchais mes enfants sous les décombres. Quant à l’anxiété… elle est quotidienne, quand je pense à où nous irons en cas de nouveau bombardement ou de déplacement.» Une autre : « La peur, c’est ce que je ressens lorsque j’entends les avions, tandis que l’anxiété, c’est le poids dans ma poitrine chaque fois que je regarde mes enfants et que je me demande : comment vais-je les nourrir demain ?»
L’animatrice a commenté : « Comprendre sa peur, c’est la maîtriser. La nommer, c’est en conquérir une partie. »
À la fin de l’activité, une participante a déclaré : « Avant, je pensais être malade mentalement et être la seule à ressentir ces symptômes, mais aujourd’hui, j’ai réalisé que l’anxiété est une réaction normale à une réalité anormale… et cela m’a apporté une certaine sérénité. »
Au fil de la séance, il a été nécessaire de passer à une activité directe et pratique s’adressant au corps, lui permettant de se libérer et de se détendre. Un exercice simple appelé « respiration abdominale » ou « respiration profonde ».
« Placez une main sur votre poitrine et l’autre sur votre ventre… Inspirez profondément par le nez… lentement… Laissez l’air entrer dans votre ventre, et non dans votre poitrine… Retenez votre souffle un instant… Puis expirez calmement par la bouche, comme si vous souffliez une bougie sans l’éteindre.»
Peu à peu, l’exercice a commencé à porter ses fruits et les corps ont commencé à réagir. Certaines femmes ont baissé la tête et fermé les yeux, tandis que d’autres ont pris une profonde inspiration suivie d’une longue expiration, comme pour chasser les restes d’anxiété accumulés au fil des mois.
En quelques minutes, des signes de détente ont commencé à apparaître. Les visages renfrognés se sont détendus, les épaules tendues ont retrouvé leur position normale, et même les expressions des yeux se sont apaisées. Il y a eu un moment de silence entre l’expiration et l’abandon, un moment de calme où certaines femmes ont senti, pour la première fois, que leur corps était « en sécurité », même si ce n’était que pour un court instant.
« J’ai la sensation d’avoir la poitrine plus large… c’est comme si je pouvais vraiment respirer pour la première fois depuis des jours. Je n’imaginais pas que respirer pouvait apporter un tel calme. »
L’exercice a été suivi d’une courte discussion
– Avez-vous ressenti une différence entre le début et la fin de l’exercice ?
– Pouvez-vous utiliser cet exercice lorsque vous avez peur à la maison ou pendant un bombardement ?
Une femme a répondu :
« Oui… Je tremblais il y a un moment, et maintenant j’ai l’impression de pouvoir serrer mes enfants dans mes bras sans projeter ma peur sur eux.»
« J’essaierai la respiration profonde chaque fois que je sentirai que je suis sur le point de m’effondrer.»
Cet exercice a réussi à accomplir ce que les mots ne peuvent exprimer. « Je suis là… je peux encore respirer… donc je peux encore survivre. »
C’est là qu’intervient la quatrième activité : l’exercice de « relaxation musculaire progressive »
« Nous ne stockons pas seulement nos émotions dans notre esprit, mais aussi dans notre corps. Chaque fois que vous ressentez de la peur lors d’un bombardement ou d’un déplacement, vos muscles se contractent et le souvenir du stress s’installe inconsciemment dans votre corps. Cet exercice vous aidera à relâcher ces tensions afin que votre corps puisse retrouver une certaine sérénité, même progressivement.»
« Maintenant, commençons par les mains… Serrez fermement la main droite… Sentez la tension… Maintenant, relâchez complètement la main. Remarquez la différence. Répétez avec l’autre main. »
« Levez les épaules vers vos oreilles… Maintenez la tension pendant cinq secondes… puis relâchez-les lentement. Sentez le poids se dissiper.»
« Tendez les muscles de votre visage… Fermez les yeux très fort et criez intérieurement… Puis ouvrez lentement les yeux et relâchez toute la tension de votre front et de vos joues.»
Ensuite, les jambes, les pieds et même les muscles du cou, souvent sollicités silencieusement et inconsciemment, surtout par les femmes qui s’occupent de leurs enfants à temps plein, sous une pression constante.
Une femme a déclaré, stupéfaite : « Je ne savais pas que je portais autant de tension dans mon corps. J’ai l’impression de me libérer d’un lourd fardeau que je portais depuis des mois.»
Une autre a commenté : « J’avais l’impression que tout mon corps était tendu depuis le début de la guerre… et aujourd’hui, j’ai tout simplement relâché la pression.»
« À chaque fois que je criais silencieusement, mon corps se tendait pour absorber la peur. Aujourd’hui, je comprends pourquoi je me sens toujours fatiguée, même quand je ne fais rien.»
Alors que l’atelier touchait à sa fin, cette activité a permis de faire le lien entre les apprentissages des séances précédentes et la possibilité d’appliquer ces compétences dans les moments de peur du quotidien. Dans un contexte où les femmes sont fréquemment exposées à des traumatismes psychologiques et ressentent un manque de contrôle sur leur vie, disposer d’un « plan de sécurité personnel » devient une étape essentielle vers l’autonomisation et la reconstruction d’un sentiment de résilience.
Elle a ensuite expliqué les trois éléments essentiels que tout plan de sécurité personnelle devrait inclure :
1. Une personne de confiance à contacter ou à approcher – pas nécessairement un psychologue, mais une personne qui rassure la femme, qui peut la calmer ou lui offrir un soutien moral en cas de peur
2. Une technique de relaxation préférée – exercices de respiration, prière, répétition d’une phrase apaisante, ou même câliner un de ses enfants, selon ce que la femme trouve apaisant ;
3. Une phrase motivante que la femme écrit pour elle-même – une courte phrase qui lui rappelle sa force, sa capacité à survivre, ou qu’il existe un but qui lui donne de la stabilité.
Les participantes ont reçu de petites cartes colorées et ont été invitées à écrire leur plan personnel de leur propre main, l’intégrant ainsi à leur vie, qu’elles pouvaient emporter ou garder à portée de main.
« J’appellerai ma sœur si je sens que je vais m’évanouir… Je respirerai lentement et ferai mes ablutions… et je me dirai : je suis capable de protéger mes enfants, car ils puisent leur sécurité en moi.»
« Je poserai ma tête sur les genoux de ma fille et lui dirai : les nuits les plus difficiles sont passées, et celle-ci passera aussi. »
Cet exercice, malgré sa simplicité, a inculqué aux participantes la conviction profonde que la peur n’est pas un tyran invincible, mais plutôt un adversaire qu’il est possible d’affronter grâce à un plan, en utilisant des outils internes déjà existants, mais qui doivent être activés.
L’atelier « Gestion de la peur » n’était pas qu’une simple formation ; c’était un espace profondément humain où les femmes ont retrouvé une partie de leur voix et de leur force oubliée sous les décombres de la guerre. Elles ont appris que la peur ne se vainque pas par le déni, mais par la compréhension, et que rechercher du soutien n’est pas un signe de faiblesse, mais plutôt de courage. Les femmes sont reparties de l’atelier avec de petites cartes en main et des projets de résilience plus ambitieux au cœur. Pendant les bombardements, cet atelier était un souffle de vie collectif.
Lien photos et vidéos
https://drive.google.com/drive/folders/14k3NJrpYkt_BA3epYDVPLhYtTXBhOgYy
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