Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Continuité envers et contre tout du soutien psychologique !
14 juin 2025Le 13 Juin Abu Amir envoie, comme chaque semaine, deux comptes rendus d’ateliers de soutien psychologique pour les femmes : dans un contexte de privation, aborder le vol ! et la peur!
Sur un sol sablonneux et rugueux, à l’intérieur d’une tente modeste du camp “Les Amis” à Deir-al-Balah, vingt femmes étaient assises en cercle, à même le sol. Certaines fixaient le sol en silence, d’autres levaient les yeux vers le ciel à travers les ouvertures du tissu qui peinait à filtrer les rayons brûlants du soleil. C’était un moment profondément humain, mêlant deux réalités inséparables : la douleur et l’espoir.
Les femmes de Gaza, et plus particulièrement celles vivant dans les camps de déplacés, affrontent un effondrement quasi total du tissu de la vie. La famine s’insinue doucement, grignotant ce qu’il reste des denrées sur les étagères de l’aide humanitaire. L’insécurité est devenue la norme : pas un jour ne passe sans qu’une boîte de lait ne soit volée, une couverture dérobée ou un enfant privé de son unique jouet. Le chaos laissé par la guerre ne s’est pas limité aux bombardements et au déplacement, il a engendré une nouvelle forme de misère : la peur – de la faim, du vol, du lendemain.
C’est dans ce contexte que les équipes de l’UJPF continuent leurs ateliers de soutien, tentant d’apporter des outils psychologiques dans un environnement totalement déstabilisé.
Les femmes, assises côte à côte, ont été invitées par la psychologue à dessiner leurs émotions sans utiliser de mots. Faute de crayons de couleur, elles ont utilisé des crayons noirs. Certaines ont dessiné des cercles fermés, d’autres des lignes entrecroisées semblables à un labyrinthe. L’une d’elles a dessiné une cage fermée contenant du pain. “C’est tout ce à quoi je pense… comment nourrir mes enfants”
L’exercice a été suivi d’un échange ouvert sur les émotions qui les traversent, non seulement à cause de la guerre, mais aussi en raison du manque d’intimité, du désordre ambiant et des vols quotidiens. L’une des participantes : “Je ne peux dormir qu’en serrant le sac de vêtements de mes enfants. Une fois, je l’ai laissé près du matelas en mousse, et je ne l’ai plus jamais retrouvé.”
L’animatrice a expliqué le lien entre stress psychologique et insécurité, et comment la pauvreté extrême et la famine peuvent pousser certaines personnes à voler, non pas par méchanceté, mais par instinct de survie. Elle a proposé des mesures simples pour se protéger et sécuriser leurs biens : former des groupes de surveillance, désigner un endroit sûr pour stocker les denrées dans la tente, et ne pas laisser traîner les effets personnels.
Dans la seconde partie, les femmes ont été invitées à écrire une phrase commençant par “Si j’avais une clé…”.
• “J’ouvrirais la porte d’une maison sûre pour mes enfants”
• “Je fermerais bien ma tente pour que l’on ne vole pas ma nourriture”
• “J’ouvrirais une pièce contenant des médicaments pour ceux qui en ont besoin”
Ce simple exercice a ouvert la voie à une discussion sur l’insécurité : comment les tentes, faites de tissu, ne protègent ni du froid, ni de la chaleur, ni des intrus. Comment le vol est devenu une pratique courante, évoquée à voix basse et avec crainte.
Une femme a raconté que sa petite fille a perdu sa seule paire de chaussures après les avoir enlevées avant de dormir. Elles ont cherché partout, en vain. Une autre femme a partagé une histoire douloureuse : “J’ai laissé une boîte de lait sur l’étagère en bois près de la porte, et elle a disparu. Je ne sais pas qui l’a prise, mais je sais que la faim ne demande pas la permission.”
À l’approche de l’Aïd al-Adha, une partie spéciale de l’atelier a été consacrée aux émotions liées à cette fête. Les femmes ont parlé avec nostalgie des anciens Aïds, lorsque les maisons étaient remplies de l’odeur des gâteaux, que les enfants couraient dans des vêtements neufs. “Chaque Aïd, je distribuais de la viande à mes voisins. Aujourd’hui, je n’ai même pas un morceau pour mes enfants.”
Un exercice interactif intitulé “Notre Aïd entre nos mains” a été lancé. Les femmes ont partagé des idées pour fabriquer des décorations de fête à partir de sacs en plastique usagés, pour rassembler les enfants en cercle, chanter des chansons ou raconter des histoires drôles, ne serait-ce que pour apporter un peu de joie.
L’atelier s’est terminé par une courte séance de méditation, durant laquelle chaque femme devait dire un mot résumant ce qu’elle ressentait à cet instant. Les mots étaient simples : “Patience”, “Force”, “Lumière”, “Vie”, “Espoir”.
Malgré le bruit ambiant, l’exiguïté des lieux, et la faim des enfants, ce moment semblait hors du temps. L’atelier n’a pas changé la réalité des tentes, mais il a offert aux femmes des outils pour mieux se comprendre et pour réorganiser leurs priorités face à ces conditions extrêmes.
Cet atelier était un acte de résistance face à l’effondrement, une graine de résilience semée sur une terre de douleur et d’abandon. Dans une tente sans porte, les mots et le partage sont devenus les plus puissantes formes de protection.
Lien vers les photos et vidéos
https://drive.google.com/drive/folders/1iLgdoQh5f-vb3sOkhSsgwxPw0uOOzwli
Du soutien psychologique dans le camp Al -Israa
Le compte rendu d’un autre atelier de soutien psychologique le 13 Juin pour les femmes dans les camps de déplacé.e.s , celui a abordé la question de la peur !
Au cœur du camp Al-Israa, au centre de la ville de Gaza, sur une parcelle de terre recouverte de tentes usées et de visages épuisés, le soleil commençait à décliner lorsque des femmes commencèrent à se rassembler sous l’une des tentes. Il n’y avait ni salle luxueuse ni fauteuils confortables, seulement des matelas épais posés sur un sol poussiéreux, un toit en nylon tentant en vain de repousser la chaleur de l’été ou la rudesse du vent. Les femmes étaient assises à même le sol, silencieuses, comme si les mots les avaient quittées depuis bien longtemps. Elles étaient vingt-cinq, toutes déplacées, toutes porteuses d’histoires difficiles à raconter. La plupart étaient mères, certaines allaitantes, dont le lait avait cessé de couler car leurs corps, tout comme la terre asséchée par le manque de pluie, s’étaient épuisés.
Dans ce contexte d’un blocus étouffant, de faim et de peur qui étranglent Gaza jour après jour, cette séance de soutien psychologique organisée par les équipes de l’UJFP représentait une tentative de reprendre un souffle irrégulier dans un monde en train de s’effondrer.
Au milieu de toute cette douleur, un autre sentiment, aussi cruel que la faim, s’imposait : la peur.
Une peur constante, qui dort avec elles, se réveille avant elles, hante leurs rêves et pèse lourdement sur leur poitrine à chaque instant. Une peur de l’inconnu, de demain sans contours, d’un bombardement soudain qui mettrait fin à tout en une fraction de seconde, d’un déplacement forcé vers des lieux inconnus. Une femme a murmuré : « La faim nous tue, oui, mais ce qui nous tue davantage, c’est l’attente… L’attente d’un danger qu’on ne connaît ni le moment ni la provenance. » Elles ne craignent pas seulement la mort, mais aussi le départ brutal, que les bombardements déchirent le peu de chaleur qui leur reste, qu’elles soient obligées de fuir à nouveau, pieds nus, terrifiées, portant leurs enfants et leurs souvenirs sur des corps épuisés. Cette peur infiltre tous les détails de leur quotidien : comment elles cuisinent, allaitent, comment dorment leurs enfants. C’est une peur qui s’enracine dans le cœur, qui les pousse à vivre dans un état de vigilance permanente face à l’imprévisible. La peur ici ne ressemble à aucune autre peur ailleurs : elle habite les regards, les silences, les corps qui ne savent plus ce que signifie la sécurité. Ce sentiment d’alerte constante, de guerre sans fin, de surprises amères, les épuise en silence. Et pourtant, elles se lèvent chaque jour, préparent le peu de nourriture qu’elles ont, serrent leurs enfants dans leurs bras, et poursuivent ce qu’il reste de vie comme si elles luttaient contre le néant avec des cœurs percés.
L’animatrice a demandé aux femmes de fermer les yeux, de respirer profondément, lentement, et d’imaginer un lieu sûr, sans bombardements, sans tentes, sans faim. Certaines
femmes ont éclaté en sanglots dès les premières secondes. L’une d’elles, essuyant ses larmes avec le bord de son châle, a dit : « J’ai peur de m’endormir et que mes enfants meurent de faim. » Une autre « Je ne me souviens plus de la dernière fois où j’ai respiré sans peur. » Voilà l’air de Gaza : saturé de perte, de terreur et de privation.
La discussion s’est ensuite orientée vers la faim, cette faim qui ne se contente pas de ronger les ventres, mais qui déchire aussi l’âme. Une nutritionniste a expliqué les effets du manque de nourriture sur les corps des femmes, en particulier celles qui allaitent. Elle leur a expliqué que le lait ne vient pas de nulle part, mais d’une alimentation qui fait défaut, que la fatigue chronique et la malnutrition affaiblissent leurs corps et rendent leurs enfants plus vulnérables à la maladie que jamais. Une femme a levé la main : « Je n’ai pas mangé de vrai repas depuis une semaine. » Une autre : « J’allaite mon fils seulement deux fois, puis il pleure jusqu’à s’endormir, et je pleure avec lui. » La séance s’est transformée en un petit deuil, où les mots et les pleurs se mêlaient, où les femmes partageaient leurs histoires de faim comme si elles écrivaient ensemble une élégie.
L’animatrice a distribué des feuilles blanches et des crayons, demandant aux femmes de dessiner leurs émotions. Les dessins étaient plutôt des cris sur papier : un cœur brisé, un enfant derrière des barbelés, une mère regardant une terre stérile. Chacune a parlé de son dessin, de son corps qui ne lui appartient plus, du lait qui ne sort plus, de la culpabilité de ne pas pouvoir nourrir ses enfants. Une femme a dit : « Je me sens comme ce dessin : une femme dont la moitié est vivante, et l’autre moitié enterrée par la guerre. » Puis elle s’est tue.
La proposition de compléter la phrase : « Je suis forte parce que… » Cet exercice fut difficile pour beaucoup. Il est difficile de se sentir forte quand on s’effondre.
« Je suis forte parce que je continue à serrer mes enfants contre moi et à leur dire que tout ira bien, même si je n’y crois pas moi-même. » Une autre : « Je suis forte parce que j’essaie encore de rire, même si j’ai l’impression d’être finie. » Ces paroles n’étaient pas des slogans, mais des témoignages de vie, qui reflètent l’ampleur du combat que mène chacune d’elles dans son corps et dans son âme.
À la fin de l’atelier, la musique douce a de nouveau enveloppé l’espace. Cette fois, les larmes étaient moins nombreuses, les respirations plus profondes, comme si ces instants avaient ouvert une petite fenêtre vers la lumière dans ce long tunnel. Certaines femmes ont commencé à murmurer de petits souhaits : un poulet à cuisiner, une paire de chaussures neuves pour leur enfant, ou simplement une journée sans peur.
En temps de guerre, écouter peut être une forme de sauvetage. Quand une femme dit : « Je parle, et quelqu’un m’écoute », cela seul peut lui rendre un peu de son équilibre dans un monde effondré autour d’elle.
Lien pour photos et vidéos
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