Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Espoirs et ambitions des femmes de Gaza pendant la guerre
11 avril 2025Les équipes de l’UJPF poursuivent leur travail dans le nord de la bande de Gaza ainsi que dans la région centrale, en organisant des séances de soutien psychologique pour les femmes déplacées vivant dans les camps d’hébergement. Cette semaine, deux séances ont été menées : l’une dans le camp Al-Isra 2, au nord de Gaza, et l’autre dans le camp Al-Istiqlal à Deir Al-Balah, dans le gouvernorat central. Compte rendu envoyé par Abu Amir le 11 Avril
Camp Al-Isra,cœur de la ville de Gaza : Une histoire au cœur des décombres : « Quand les femmes ont parlé au milieu de la tempête »
Par un matin terne, sous un ciel de cendres et de fumée, les sons qui résonnaient à Gaza n’étaient pas ceux des avions, mais ceux des voix de femmes réunies sous une grande tente dressée au milieu du camp de déplacés. Cette tente semblait être un petit fragment d’espoir au sein d’un désert de tristesse. Assises face à face sur des chaises en plastique alignées, entourées de murs de tissu usé, séparées du monde extérieur par des lignes invisibles de peur, elles laissaient pourtant la chaleur humaine imprégner les lieux.
Cette séance intitulée « Espoirs et ambitions des femmes de Gaza pendant la guerre » ont offert aux femmes un souffle, même temporaire, dans une réalité où le repos n’a plus sa place.
« Cet espace est à vous aujourd’hui. Parlons de choses différentes… Pas de la mort, ni de la guerre, mais de la vie, de vos rêves, de ce que vous souhaitez pour un avenir meilleur. »
La séance a commencé par des activités simples de mise en confiance. Chacune devait dire son nom et partager un rêve, pour elle ou pour ses enfants. Une femme d’une trentaine d’années a levé la main et dit doucement :
« Je suis Oum Sara, je rêve simplement de voir ma fille jouer dans un jardin, sans que je sois obligée de crier dès qu’un avion passe. »
Un silence a suivi,
« Ce rêve est beau, simple… mais ici à Gaza, il est devenu un luxe. Aujourd’hui, nous sommes ici pour lui redonner sa valeur. »
Les psychologues ont lancé l’activité « La carte de l’espoir ». Elles ont distribué des feuilles et des crayons, demandant aux femmes de dessiner leur vision de Gaza dans cinq ans. Au début, certaines hésitaient, certaines n’avaient pas tenu un crayon depuis des années. Mais peu à peu, les feuilles se sont remplies de dessins naïfs mais vivants : une école, un olivier, une maison, une mer sans navires de guerre, une fillette riant, une femme plantant des fleurs sur le rebord d’une fenêtre.
Puis est venu le moment d’un débat collectif. L’instant le plus marquant a été quand Oum Mohammed, une femme d’une cinquantaine d’années, a déclaré avec force et douleur :
« Tout ce que je veux maintenant… c’est mourir sans entendre les cris de ma petite-fille arrachée à mes bras pendant un bombardement. Cette enfant ne connaît pas la sécurité… alors quel avenir peut-elle espérer ? »
Une des psychologues a répondu :
« Vous êtes ici aujourd’hui, vous exprimez ce que vous ressentez, et c’est la première étape vers un avenir différent. Nous ne vous promettons pas la fin de la guerre demain, mais nous vous promettons que vos voix seront entendues… et que ce rêve collectif est le début du changement.
Chaque participante a ensuite été invitée à écrire une lettre à elle-même dans cinq ans, commençant par la phrase : « Je suis forte parce que… » Ce fut un moment de vérité.
L’une d’elles a écrit : « Je suis forte parce que je me suis tenue sur les ruines de ma maison en disant : je vais recommencer. »
« Je suis forte parce que j’ai élevé mes enfants sans abri, sans jamais les abandonner à la faim. »
L’activité suivante était visuelle. Les femmes ont fermé les yeux et imaginé Gaza en paix, puis devaient visualiser une seule image. Certaines ont vu des boulangeries pleines, d’autres des enfants courant dans des rues sans bombes. D’autres encore se sont vues à la tête de petits projets : couture, enseignement, agriculture…
À la fin de la séance, toutes se sont assises en cercle, main dans la main.
« Ce cercle que nous formons aujourd’hui est le symbole des cercles d’espoir que nous créons ensemble. Vous n’êtes pas seules. Chaque mot prononcé ici est une graine. Peut-être ne verrons-nous pas les fruits demain, mais nous semons… et semer, c’est le premier acte vers la vie. »
Les larmes étaient là, mais ce n’étaient pas uniquement des larmes de tristesse. C’étaient des larmes de reconnaissance, de partage. Des femmes qui avaient décidé de ne plus être seulement des victimes, mais des actrices du changement, par les mots, sous une tente, même en pleine guerre.
Elles quittèrent la tente une à une, cachant leurs lettres dans leurs poches, saluant les psychologues avec des sourires discrets, mais sincères. Dehors, la fumée montait encore, les bombardements continuaient… mais à l’intérieur de cette tente, il y avait tout autre chose :
Il y avait une patrie en train de naître, faite d’histoires, de rêves, et du cœur des femmes.
Lien photos et vidéos
https://drive.google.com/drive/folders/1Z8k8y_b2NmiY8eSsJT44ZXb6WgpqghLF
Un autre atelier de soutien psychologique pour les femmes a eu lieu le 10 Avril, le contenu de cet atelier s’appuie sur la force de la spiritualité dont peuvent se nourrir les femmes croyantes.
La plupart d’entre nous auront peut-être du mal à être sensible à ce texte qui rend compte d’un travail de soutien psychologique s’appuyant sur la transcendance et la spiritualité . Ce sont pourtant des points d’adossement qui peuvent permettre de tenir le coup, de rester vivant, de lutter contre l’effrondement ? Un compte rendu d’Abu Amir de cette séance.
“La foi et la spiritualité, source de sérénité et de réconfort en temps de crise”.
Camp d’Al-Istiqlal, dans la ville de Deir al-Balah : dans une petite tente dressée au cœur du camp d’Al-Istiqlal, dans la ville de Deir al-Balah, alors que la fumée s’infiltre encore derrière les parois de tissu, et que le bruit des avions couvre celui de la vie, un groupe de femmes déplacées s’est réuni pour un atelier au titre semblant venir tout droit du cœur : « La foi et la spiritualité comme source de sérénité et de réconfort en temps de crise ».
Dans cette ville marquée par les douleurs successives du blocus, de la destruction et de la perte, parler de foi n’est pas un simple sujet religieux passager, mais un cri de survie, une arme intérieure ultime à laquelle s’accrochent les femmes épuisées. Assises sur des chaises en plastique, autour d’un cercle de tapis usés, les femmes échangent des regards de patience. Elles ont des visages pâles, des yeux fatigués par les nuits blanches et la peur, et des cœurs alourdis par le chagrin.
La séance s’ouvre « Nous ne sommes pas ici pour enseigner la foi, mais simplement pour ouvrir un espace de parole sur l’âme qui est restée debout malgré tout ce qui s’est effondré ».
Les activités commencent par une session de méditation silencieuse. Il est demandé aux femmes de poser leurs mains sur leur cœur, de respirer lentement et de répéter des invocations touchant l’âme, : « Seigneur, fais descendre la sérénité sur nos cœurs, comme la pluie sur une terre aride ».
Les participantes racontent leurs expériences, l’une après l’autre, avec des larmes retenues.
Oum Abdallah, une veuve ayant perdu son mari et trois de ses enfants lors d’un raid aérien sur leur maison à Nusseirat, déclare :
« Pendant les bombardements, je ne cessais de répéter : ‘Dieu me suffit, Il est le meilleur garant’… Je sentais que Dieu seul me tenait debout pour ne pas m’effondrer. Je marchais parmi les décombres, et j’avais l’impression que seule la prière faisait avancer mon âme ».
Ses mots secouent plus que les explosions.
Quant à Fatima, une jeune femme de vingt ans, elle dit en sanglotant :
« Je croyais que j’allais mourir de peur, mais l’invocation était mon seul refuge… Je récitais le Coran d’une voix tremblante, et chaque verset semblait poser un voile protecteur sur mon cœur pour l’empêcher de se briser ».
À chaque témoignage, des questions
« Comment pouvons-nous reconstruire notre lien avec Dieu après tant de pertes ? »
ou « Quel a été le moment où tu as senti que la paix t’a touchée au cœur de la tempête ? »
Un exercice intitulé « La boîte de la sérénité » est également proposé. Chaque femme doit écrire sur un petit bout de papier ce qui lui apporte du réconfort dans les moments les plus durs. Les papiers sont ensuite déposés dans une boîte, puis partagés à voix haute.
« La prière à l’aube »,
« La voix de ma fille qui m’appelle maman »,
« L’invocation après la prière de l’aube »,« L’appel à la prière dans le calme ».
Des mots simples, mais qui semblent être les versets de leur salut personnel.
La discussion aborde également les concepts de patience, d’acceptation et de confiance en Dieu, non pas comme des prêches théoriques, mais comme de véritables moyens de survivre.
Malgré la douleur, tout n’est pas obscur. Pendant une heure, les cœurs des femmes semblent respirer hors du cercle de la terreur.
À la fin de la séance, la psychologue demande à chaque participante d’écrire une prière personnelle, à offrir à elle-même et à Gaza, et de l’accrocher avec un fil à l’intérieur de la tente. Les prières sont écrites par des mains tremblantes, mais les femmes paraissent plus solides que jamais.
Pendant cette séance, les femmes n’ont pas été contraintes de parler. La parole leur a été offerte comme une délivrance, une fenêtre vers Dieu lorsque toutes les portes humaines se ferment.
Cet atelier a été un moment rare de paix intérieure sur une terre déchirée par la guerre, un lieu où les larmes se mêlaient à la sérénité, la perte à la foi, et la faiblesse à une force invisible que seuls ceux ayant vécu l’enfer peuvent connaître.
Là, dans une petite tente au milieu des ruines, se sont réunies des femmes qui n’ont pas perdu Dieu, même si elles ont perdu tout le reste. Et leurs cœurs ont répété sans cesse :
« Seigneur… nous n’avons que Toi ».
Lien des photos et vidéos
https://drive.google.com/drive/folders/1hTM9b5y590-dJpNbQkYPm1F7t8lFP41S
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