Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Gaza : Cimetière de l’enfance et silence du monde
19 mai 2025Chaque matin depuis l’intensification récente de l’offensive militaire à Gaza on entend à la radio le nombre de morts suivi de la formule « en majorité des enfants » Texte d’Abu Amir
Au cœur de Gaza, dans ce coin abandonné par l’Histoire, se dévoilent les plus douloureux chapitres de la souffrance humaine de notre époque. Ce n’est pas seulement une question de nombre de morts ou d’ampleur des destructions, mais de ce crime silencieux qui ne figure pas dans les bulletins d’information comme il le devrait : l’orphelinat des enfants, la plus grande amputation collective de l’enfance dans l’ère moderne. Les statistiques confirment que plus de 39 384 enfants ont perdu l’un ou les deux parents depuis le début de la dernière guerre israélienne — un chiffre que ni la raison ni la conscience humaine ne peuvent concevoir.
Des enfants, dont certains n’ont pas encore atteint l’âge de compter sur les doigts d’une main, se sont réveillés un matin en pleurs, sans plus entendre personne les appeler par leur prénom. Plus de mère pour coiffer leurs cheveux, plus de père pour soutenir leur dos. Ils couraient après les papillons, les voilà maintenant à courir derrière les ambulances. Ils apprennent les noms des morts à la place des lettres, dessinent des cimetières au lieu de fleurs.
À Gaza aujourd’hui, l’enfance est amputée sans anesthésie, la sécurité est arrachée à des âmes qui n’ont jamais connu la vie. Elles se sont seulement trouvées sur cette terre pour y être lentement égorgées, sans que personne ne leur demande : « Est-ce que tu vas bien ? »
Dans les centres d’hébergement saturés à l’étouffement, ces enfants vivent sans étreinte, sans chaleur d’un sein, sans jouets ni histoires du soir. Ils s’endorment au bruit des bombardements et se réveillent à l’odeur des cadavres et aux cris des mères désespérées. Dans ces camps, on voit un enfant fixer le plafond de la tente d’un regard éteint. On lui demande : « Qu’as-tu ? », il répond : « Je rêvais de ma maman… puis je me suis réveillé. » Les mots se figent, car le rêve est devenu plus précieux que la réalité. Les mères de Gaza n’apparaissent plus que dans des photos suspendues ou des noms gravés sur des pierres.
Des histoires font pleurer même la pierre : une fillette de six ans serrant la main morte de sa mère pendant des jours, ou cet enfant qui ne cesse de demander : « Pourquoi maman ne se réveille-t-elle pas ? Pourquoi est-elle froide ? »
Combien d’enfants le monde doit-il encore voir pour croire qu’il y a un massacre ? Combien de cris faut-il pour attirer son attention ? Nous écrivons — et nous continuons à écrire — chaque jour sur Gaza, sur les massacres, sur la mort sous les décombres, sur la faim, sur les convois humanitaires bloqués, sur les cris étouffés dans les gorges des petits, sur les yeux vieillissant de peur, sur l’enfance pendue sans corde… Mais quelqu’un nous a-t-il écoutés ? Le monde s’est-il levé ? Ou bien l’humanité est-elle devenue un luxe dans l’ère du silence mondial ?
Plus de 17 000 enfants vivent aujourd’hui à Gaza sans accompagnants, selon les rapports des Nations Unies, un chiffre qui reflète l’effondrement complet du système international de protection. Ces enfants ne souffrent pas seulement d’un orphelinat affectif, mais aussi matériel, social et psychologique. Qui soignera leurs blessures ? Qui caressera leurs âmes brisées ? Qui leur rendra une étreinte dont ils ignoraient même le besoin ?
À Gaza, l’enfance est enterrée vivante, la vie est arrachée des yeux qui brillaient encore, et des histoires se terminent avant même de commencer.
Et face à tout cela, les gouvernements du monde — occidentaux comme arabes — adoptent une posture de spectateur silencieux, de complice muet, ou de diplomate froid et justificateur. Personne ne se soucie. Le monde voit et entend, mais ne parle pas. Ou plutôt, il parle dans une langue qui ne sauve aucun enfant, n’envoie aucune cargaison de farine, n’ouvre aucun couloir humanitaire.
Certains brandissent des slogans sur les droits humains lors des conférences, puis serrent la main du bourreau, signent des contrats avec lui, et lui envoient les armes pour achever la mission. Quant aux régimes arabes, ils pratiquent un silence amer, craintif, humilié — certains parient sur le temps. Mais le temps n’a plus aucun sens à Gaza.
Chaque heure de retard signifie un nouveau cadavre, un nouvel orphelin, une nouvelle histoire à ajouter à la longue liste de la honte.
Dans les camps assiégés, on voit des enfants se partager une seule couverture, échanger des photos de leurs proches, chacun racontant comment est mort celui qu’il aimait. L’autre écoute sans verser une larme, car pleurer est un luxe qu’ils n’ont plus après tout cela.
Imagine être âgé de six ans, comprendre la mort, vivre le deuil, t’habituer au son des avions, et distinguer les types de bombes à leur bruit. Imagine que tout cela fasse désormais partie de l’enfance à Gaza. Une enfance qui ne ressemble à aucune autre.
Et quand elle émerge des décombres, elle ne trouve qu’un monde aveugle et sourd, comme si le drame ne s’était jamais produit.
Nous écrivons, parce que nous n’avons rien d’autre. Nous écrivons parce que le silence est un crime, et se taire face à ce crime, c’est y participer.
Nous écrivons pour que peut-être un mot compense une étreinte, console une veuve, ou caresse la tête d’un orphelin.
Nous écrivons, même si écrire n’arrête pas un missile, ne sauve pas une maison de l’effondrement.
Cela préserve les restes de notre dignité en tant qu’êtres humains défendant encore le droit à la vie.
Les enfants de Gaza n’ont pas besoin de pitié, ni de discours de « profonde inquiétude ». Ils ont besoin que le monde leur rende leur droit à la sécurité, à la famille, à la chaleur, au simple fait d’être des enfants.
Mais il semble que l’humanité soit morte là-bas… sans avoir encore été enterrée.
Et nous vivons apparemment dans une époque où la conscience mondiale s’érode comme les murs des maisons de Gaza, et où l’enfance est écrasée comme les os sous les gravats.
Et si quelqu’un lit cela un jour, qu’il sache que des enfants ici, à Gaza, sont devenus orphelins, non seulement parce que la guerre est cruelle, mais parce que le monde entier a choisi de ne pas arrêter cette cruauté.
Oui, à Gaza, une génération entière est massacrée, et le monde — tout le monde — est témoin du crime… et se tait.
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