Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Gaza, comprendre le présent à la lecture du passé
9 septembre 2025Le 8 Septembre Abu Amir envoie un texte d’analyse d’une clarté fondamentale pour réaliser et comprendre ce qui se passe à Gaza non pas depuisle 7 Octobre mais depuis plus de 70 ans.
Lorsque l’on observe le parcours du conflit qui dure depuis plus de soixante-dix ans, on comprend que la politique de ciblage des Palestiniens n’est pas née d’un moment ponctuel ni d’une circonstance passagère ou d’une guerre limitée, mais qu’elle constitue une approche profondément enracinée dans la structure même du projet sioniste dès ses premières étapes. De la Nakba de 1948 aux invasions, guerres et intifadas, les mêmes schémas se répètent : usage excessif de la force, déshumanisation du Palestinien, et instrumentalisation de la dimension religieuse et nationale pour justifier les actions. Les discours israéliens, de Ben Gourion à Netanyahou et Bennett, traduisent une continuité intellectuelle et politique, montrant que ce qui se déroule aujourd’hui à Gaza ou en Cisjordanie n’est qu’un prolongement direct de ce qui s’est passé hier à Lydda, Jaffa et Deir Yassin. Cette rencontre entre passé et présent confirme que tuer les Palestiniens et les priver de leurs droits n’est pas une exception, mais une stratégie continue dont les outils et les formes changent, tout en conservant son essence violente.
Dès la création de l’État israélien en 1948, les politiques officielles et militaires ont été liées au concept de force absolue et de dissuasion préventive, doctrine formulée par David Ben Gourion, premier Premier ministre d’Israël, qui ne cachait pas sa conviction de la nécessité de « déplacer les Arabes » des terres où fut fondé l’État. Lors d’une de ses réunions à huis clos, Ben Gourion déclara : « Les Arabes ne partiront pas volontairement, nous devons rendre leur vie impossible », une déclaration qui reflète dès le départ le caractère exclusif et violent adopté par la direction israélienne à l’égard du peuple palestinien. Cette doctrine ne fut pas passagère, mais devint partie intégrante de la pensée militaire et politique qui a gouverné Israël pendant des décennies.
Au fil des années, cette vision s’est consolidée avec d’autres dirigeants comme Menahem Begin, ancien chef de l’organisation Irgoun puis Premier ministre, qui supervisa des massacres atroces tels que celui de Deir Yassin en 1948, où des centaines de civils furent tués. Begin lui-même décrivit un jour les Palestiniens comme des « animaux marchant sur deux pattes », un discours qui dépasse le cadre politique pour entrer dans celui de la déshumanisation, caractéristique centrale des doctrines incitant à une violence illimitée contre les civils. Quand un peuple est transformé en « chose » ou en « fardeau démographique », le meurtre et l’épuration deviennent des moyens justifiés — ce qui s’est reflété dans les guerres et opérations militaires qui ont suivi la Nakba.
L’idéologie religieuse a également joué un rôle dangereux dans l’alimentation de cette vision. Alors que le sionisme se présentait initialement comme un mouvement national, des dimensions bibliques se sont progressivement infiltrées dans le discours institutionnel, surtout avec l’ascension des courants religieux de droite. Des rabbins liés à l’institution militaire ont émis des fatwas explicites justifiant le meurtre de non-juifs dans le contexte des guerres, certains appelant même à « exterminer les ennemis d’Israël sans pitié », considérant cela comme un devoir religieux. Ces fatwas ne furent pas marginalisées, mais intégrées dans la formation morale des soldats, comme en témoignent les brochures religieuses distribuées aux troupes avant l’invasion de Gaza en 2008.
Quant à Benjamin Netanyahou, plus long Premier ministre en exercice, il incarne le modèle extrême de la doctrine sécuritaire basée sur la « force écrasante ». Dans plusieurs discours, il parla de « riposte disproportionnée », c’est-à-dire de l’usage d’une force excessive largement supérieure aux actes palestiniens. Il déclara un jour : « Nous devons les frapper d’une manière qui leur restera en mémoire pour des générations ». Cette approche vise clairement à soumettre une société entière, même au prix de milliers de victimes civiles. Les organisations internationales de défense des droits humains ont décrit à plusieurs reprises cette méthode comme une « punition collective », interdite par le droit international humanitaire.
Naftali Bennett, qui occupa brièvement le poste de Premier ministre, donna un exemple flagrant dans une déclaration personnelle en affirmant : « J’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie et je ne ressens aucun regret ». Une telle déclaration, venant d’un haut responsable, ne reflète pas une simple opinion individuelle, mais une culture politique où le meurtre devient un sujet de fierté et non un fardeau moral. De même, de nombreux dirigeants militaires ont affiché ouvertement un discours prônant la brutalité. Le général Rafael Eitan, par exemple, qualifia les Palestiniens de « cafards qu’il faut balayer de la région ». Ce langage n’est pas marginal, mais se traduit dans les politiques appliquées sur le terrain lors de chaque guerre ou opération.
Durant la seconde Intifada (2000–2005), Israël a adopté une politique « d’assassinats ciblés » visant les dirigeants politiques et militaires palestiniens, mais qui, en réalité, a tué des centaines de civils lors de frappes contre des voitures et maisons. Un rapport d’Amnesty International à l’époque qualifia cette politique « d’exécutions extrajudiciaires ». Malgré les critiques, les dirigeants israéliens justifièrent ces opérations comme « nécessaires à la sécurité de l’État ». Mais l’effet réel fut l’élargissement du champ de ciblage à des familles entières, sous prétexte « d’action préventive ».
Les guerres répétées contre Gaza illustrent de manière criante cette doctrine. Pendant la guerre de 2008–2009, baptisée « Plomb durci », plus de 1 400 Palestiniens furent tués, pour la plupart des civils, dont des centaines d’enfants. Les rapports de l’ONU, notamment celui de Goldstone, conclurent qu’Israël avait utilisé la force de manière indiscriminée et disproportionnée, révélant une intention claire de viser la population civile. Netanyahou et ses ministres répétèrent alors : « Nous ramènerons Gaza à l’âge de pierre », expression traduisant une logique à la fois matérielle et symbolique d’anéantissement.
Lors de la guerre de 2014 contre Gaza, connue sous le nom « Bordure protectrice », le nombre de victimes grimpa à plus de 2 200 Palestiniens, dont 500 enfants. Human Rights Watch documenta l’usage par l’armée israélienne de projectiles hautement explosifs dans des zones densément peuplées, en violation flagrante du principe de distinction en droit international humanitaire. Plus surprenant encore, certains ministres israéliens ne se contentèrent pas de justifier ces actes, mais allèrent plus loin. La ministre de la Justice, Ayelet Shaked, publia sur sa page un message décrivant les Palestiniens comme des « serpents dont il faut tuer les mères pour qu’elles n’en fassent pas d’autres ». De telles déclarations révèlent clairement comment la politique s’entrelace avec un discours de haine basé sur la déshumanisation.
Les dimensions juridiques de ces politiques ne peuvent être ignorées. Le droit international humanitaire, selon les Conventions de Genève, interdit explicitement le ciblage des civils ou l’imposition de punitions collectives. Pourtant, les rapports du Conseil des droits de l’homme de l’ONU documentent des dizaines de violations israéliennes de ces principes, qu’il s’agisse du siège imposé à Gaza ou de la politique de colonisation en Cisjordanie. Les justifications israéliennes reposent souvent sur le « droit à l’autodéfense », mais la réalité du terrain montre que l’action militaire dépasse largement la défense pour devenir un outil d’assujettissement d’une population entière.
Les commandants militaires israéliens eux-mêmes n’ont pas dissimulé cette orientation. Le général Gadi Eizenkot, ancien chef d’état-major, parla ouvertement de la « doctrine de Dahieh », appliquée au Liban en 2006 puis à Gaza. Cette doctrine repose sur l’idée de détruire totalement les infrastructures civiles afin de dissuader la résistance. Eizenkot déclara : « Nous utiliserons une force excessive, non pas une fois mais plusieurs, pour détruire tout ce qui entoure les combattants ». Cette doctrine transforme les civils en cibles directes au nom de la dissuasion.
Il est à noter que la communauté internationale, malgré ses condamnations répétées, n’a imposé aucune sanction sérieuse à Israël, renforçant ainsi son sentiment d’impunité. Les États-Unis, allié stratégique, ont fourni une couverture diplomatique permanente au Conseil de sécurité grâce à l’usage du veto, rendant toute responsabilité internationale presque impossible. Cette situation politique et juridique a contribué à la persistance de ces politiques, et même à leur radicalisation.
De plus, le discours politique israélien contemporain reste marqué par la dimension démographique. La droite au pouvoir considère les Palestiniens comme une « bombe démographique » menaçant le caractère juif de l’État. D’où des politiques telles que la loi « sur l’État-nation » de 2018, stipulant que le droit à l’autodétermination en Israël est un « droit exclusif du peuple juif ». Cette loi a marginalisé totalement les citoyens palestiniens d’Israël et légalisé la discrimination ethnique. Dans ce contexte, le ciblage collectif des Palestiniens apparaît justifié comme moyen de préserver la « pureté de l’État ».
Même des organisations israéliennes de défense des droits humains ne sont pas restées silencieuses. B’Tselem a qualifié Israël de « régime d’apartheid », soulignant des politiques délibérées en Cisjordanie et à Gaza visant à contrôler les Palestiniens par la force militaire. Le rapport de B’Tselem de 2021 affirma clairement que l’occupation n’était pas temporaire, mais un projet structurel basé sur l’exclusion et la domination. Ce discours, venant de l’intérieur même d’Israël, révèle la contradiction entre le récit officiel et la démocratie prétendue.
L’examen de l’ensemble de ces faits et déclarations démontre qu’il ne s’agit pas de « guerres ponctuelles », mais d’une politique continue visant à affaiblir les Palestiniens au maximum. C’est ce que la littérature juridique appelle une « stratégie de génocide lent », où la force militaire, le siège et les politiques légales s’associent pour créer une réalité insupportable pour les Palestiniens. Et lorsque des responsables comme Bennett ou Shaked prononcent des déclarations déshumanisantes, elles ne restent pas de simples mots, mais deviennent des politiques concrètes, traduites par le nombre de victimes civiles, les villages détruits et les quartiers réduits en ruines.
En définitive, l’expérience historique et politique révèle que l’effort israélien pour imposer une équation fondée sur le meurtre ou le déplacement du plus grand nombre possible de Palestiniens n’est pas une simple accusation extérieure, mais confirmé par les paroles et actions des dirigeants. L’idéologie religieuse et nationaliste a fourni une couverture doctrinale, le soutien international a offert une immunité politique, tandis que l’institution militaire a été l’outil d’exécution directe. Entre tout cela, ce sont les Palestiniens qui paient le prix le plus lourd en vies, en terres et en droits fondamentaux, dans une lutte inégale qui illustre comment une doctrine sécuritaire peut se transformer en projet d’exclusion à long terme.
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