Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Gaza, nos pas , nos racines : soutien psychologique à Deir- al Balah

18 juillet 2025
Nos pas, nos racines, une empreinte dans la terre

Au cœur de la douleur et de la dispersion, à l’ombre des tentes qui portent désormais les noms de villages oubliés, les équipes de l’UJPF poursuivent leurs efforts humanitaires et psychologiques pour apporter du soutien aux personnes déplacées. Car nourriture et abri ne suffisent pas à panser les blessures : l’âme, elle, a besoin de retrouver sa première essence, ces récits que nous avons vécus à l’ombre des figuiers et des oliviers, dans le giron de cette terre qui a grandi avec nous et que nous avons fait grandir. Mots d’Abu Amir le 18 Juillet

Cette semaine, les équipes ont organisé une séance spéciale : « Nos pas, nos racines : nous laissons une empreinte et racontons les histoires de la terre », dans le camp de Al-Durra, à l’ouest de Deir al-Balah. Quarante femmes déplacées y ont participé, certaines dans la cinquantaine, d’autres plus jeunes, toutes poursuivant, entre mots et émotions, l’ombre d’une patrie volée sans préavis.
L’origine de cette séance réside dans un besoin urgent de fortifier les esprits et de créer une forme d’appartenance alternative, spirituelle et symbolique, maintenant que les maisons sont en ruines, que les arbres brûlés sont réduits en cendres, et que les senteurs qui emplissaient les ruelles sont devenues poussière et douleur. Quand la terre est arrachée au corps, il faut la replanter dans le cœur, pour que la mémoire ne se perde pas et que l’âme ne se brise pas. Ainsi, l’objectif de la séance était de reconstituer les racines à travers les récits, de bâtir sur la nostalgie ce qui peut devenir résilience.

La rencontre a débuté par une activité d’accueil intitulée « Nos racines nous appellent ». Les participantes étaient invitées à se souvenir d’un « mot » ou d’un « élément » qui les reliait à leur terre. « Le figuier », « Le four à pain traditionnel (taboun) », « Le parfum des fleurs de citronnier », « Le rire de grand-mère à la tombée du jour », « L’appel à la prière au crépuscule ». Ces mots ont servi de pont vers la mémoire, un temps où les bombardements ne couvraient pas le chant de la vie.
Puis est venue la deuxième activité, « Ma terre raconte mon histoire ». Les femmes se sont assises en cercle chaleureux, entouré d’histoires, comme si la patrie revenait sous forme de voix. Une femme dans la cinquantaine a déclaré :
« Je croyais que tout était fini… même les souvenirs avaient perdu leur éclat. Mais quand on nous a demandé de parler d’un objet cher, le vieil olivier devant notre maison m’est revenu en mémoire. Je n’y avais pas pensé depuis des mois. C’est comme si mon âme m’était revenue. Aujourd’hui, je le raconte chaque soir à mes petits-enfants, son ombre, les histoires de nos ancêtres. Je veux qu’ils sachent qui nous sommes, même s’ils ne voient jamais l’arbre de leurs propres yeux. »
Une jeune mère a ajouté :
« Mes enfants me demandent toujours notre ancienne maison. Et je me sens trahie, parce qu’ils ne s’en souviennent pas. Lors de la séance, en comprenant que le mot protège le lieu, j’ai décidé de leur raconter chaque soir une nouvelle aventure de notre maison. Cela me suffit pour sentir que notre mémoire est toujours vivante. »
Une autre femme a dit :
« Quand j’ai perdu ma maison, j’ai eu l’impression de me perdre moi-même. Dans la cour, il y avait un plant de vigne que ma mère avait planté le jour de mon mariage. Il grandissait sous mes yeux. Je ne sais pas s’il est encore vivant. Mais aujourd’hui, en parlant de récits, j’ai replanté une nouvelle nostalgie dans mon cœur. »
Mais la séance n’était pas seulement un retour vers le passé, elle était aussi une construction concrète de la résilience. Lors de l’activité « Petits pas, grands effets », chaque participante a exprimé un geste simple pour préserver une partie de son héritage. Elles ont écrit :
« Je vais réorganiser mes affaires comme dans ma maison. »
« Je vais écrire le nom de mon village sur la porte de ma tente. »
« J’apprendrai à mon fils l’hymne du village que nous chantions chaque matin. »
Ces gestes représentaient une résistance intérieure, des ponts d’identité face à l’effacement forcé.
Pour renforcer le sentiment d’appartenance collective, une activité intitulée « Nous créons une carte de mémoire » a été organisée.
Les femmes ont dessiné sur une grande toile des symboles : un épi de blé, une maison en pierre, une clé, un four taboun, un palmier, et les noms de leurs villages. La toile n’était plus un simple morceau de coton, elle est devenue carte de l’âme, mémoire collective vibrante, refusant l’oubli et allumant l’espoir.
Et parce que chaque mémoire a sa prière, et chaque racine son vœu, la séance s’est clôturée par l’activité « La voix des ancêtres ». Les femmes ont levé les mains en prière :
« Ô Seigneur, protège la terre de nos ancêtres »,
« Fais que nous retournions reconstruire nos maisons »,
« Que nos enfants n’oublient jamais le chemin du retour. »
Les larmes coulaient en silence, mais c’étaient des larmes de naissance, non de désespoir.
Et parce que la tension du déplacement n’offre aucun répit au corps, des activités de soutien psychologique ont été intégrées à la séance. À chaque étape, le groupe s’arrêtait pour pratiquer des exercices de respiration profonde, avec des instructions simples :
« Fermez les yeux, respirez profondément, imaginez que vous marchez sur le sol de votre village, que l’air porte l’odeur du pain de votre mère. »
Cette séance n’était pas simplement une rencontre féminine, mais un acte de résistance, une reconstruction de l’identité sur les ruines du déplacement, un rappel que même si nous perdons tout, le récit demeure, et que les femmes savent transformer la douleur en racine, et la mémoire en patrie.
La séance a prouvé qu’un « petit pas » pouvait rendre une tente à une mère, un sourire à un enfant, et des racines à la terre.
Lien vers les photos et vidéos
https://drive.google.com/drive/folders/1OoxN94bE1KvEFtyksfoB5tl0XcOGOVZH

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