Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Guide sarcastique de gestion du danger à Gaza

26 décembre 2025
Horriblre photo du ministre de la défense israélienne Israël Katz

Ce jour de Noël, Abu Amir envoie un texte qui analyse finement les mots prononcés par le ministre de la défense israélien: « Quand le moment viendra »

À un moment qui semblait en apparence anodin, le ministre de la Défense, Israël Katz, a dit il y a quelques jours une phrase courte et feutrée. « Quand le moment viendra nous établirons des noyaux de colonisation dans le nord de la bande de Gaza»
Une phrase qui n’élève pas la voix, ne frappe pas la table et n’agite pas une carte, mais qui fait quelque chose de bien plus dangereux : elle laisse la porte ouverte et demande à tout le monde de s’habituer au fait qu’elle le soit, ni fermée ni brisée, simplement entrouverte juste assez pour qu’un projet entier s’y infiltre en rampant. Cette déclaration n’annonce pas une décision, ne la nie pas, et ne s’engage sur rien, sinon sur le fait de ne s’engager à rien. Et c’est là que commence le véritable sujet. Car nous n’avons pas affaire à une politique claire, mais à une gestion psychologique du temps, à un langage conçu pour accomplir le sale boulot sans se salir.
« Quand le moment viendra » n’est ni une promesse ni une menace, mais une vaste zone grise, utilisable à toutes fins. Une phrase écrite au crayon dans la marge de l’histoire, en attendant d’être réécrite à l’encre plus tard. Cette souplesse est l’essence même de sa dangerosité : elle permet à son auteur d’apparaître sage aujourd’hui, déterminé demain, et hésitant quand il le faut, sans être accusé de mensonge ou de recul. Comme si la décision était un être vivant que l’on place en incubateur politique jusqu’à ce qu’il grandisse loin des projecteurs.

Parce que la politique aime les masques, le mot « colonies », lourd et chargé, qui éveille les sensibilités et tire les diplomates de leur torpeur, n’a pas été utilisé. Il a été remplacé par « noyaux », un mot petit, doux, presque scientifique, qui suggère des débuts innocents, comme si nous étions face à une expérience de laboratoire et non à une transformation démographique.
Le « noyau » n’est pas ici une description de taille, mais une ruse linguistique. Il dit au monde : n’ayez pas peur, ce n’est qu’un test. Il dit à l’opinion israélienne : ne vous inquiétez pas, ce n’est qu’un commencement. Et il dit à la terre elle-même : prépare-toi, la prolifération arrive. Un noyau n’est jamais planté pour rester un noyau, mais pour grandir. Et cela, le langage le sait bien avant la géographie.

La déclaration est, en réalité, un message en trois versions, chacune destinée à un public différent, avec une tonalité différente.
Pour l’intérieur israélien, c’est un rappel feutré que le projet n’a pas été annulé, ni oublié, ni enterré sous les décombres de la guerre. Mais, en même temps, ce n’est pas maintenant, pas encore, pas d’une manière qui mettrait le gouvernement dans l’embarras ou ferait exploser ses contradictions. C’est une promesse sans date, un signal sans engagement, un morceau de sucre donné aux courants avides de colonisation pour les maintenir calmes, sans contraindre l’institution sécuritaire à agir prématurément. Comme si la phrase leur disait : le projet est vivant, il est simplement reporté pour un temps.

Pour l’extérieur international, la déclaration est rédigée dans une langue rassurante jusqu’à la froideur : pas de décision finale, pas de mesure officielle, pas de document juridique, seulement un « langage du futur ». Quelque chose qui ne mérite ni communiqué de condamnation, ni réunion d’urgence, ni pression réelle. Le monde aime les phrases insaisissables, parce qu’elles ne l’obligent à prendre aucune position. Ainsi, le projet le plus dangereux se transforme en « hypothèse linguistique », que l’on peut contourner dans les communiqués, repousser dans les réunions, ou faire semblant de ne pas entendre.

Quant au troisième message, c’est le plus lourd, le plus cruel. Il est adressé aux habitants du nord de Gaza, et aux Palestiniens en général. Il dit simplement : cette terre n’est pas temporaire, ni une étape passagère, ni un simple théâtre d’opérations. C’est un espace susceptible d’être redéfini. Même si rien ne se produit maintenant, il suffit que la phrase soit prononcée. Car la phrase, à elle seule, suffit à semer le doute. Et le doute suffit à tuer la stabilité. Ici, nul besoin de bulldozer ni de colon : il suffit de laisser l’éventualité suspendue au-dessus des têtes. Car vivre sous une possibilité permanente n’est pas une vie.

L’ironie noire, c’est que tout cela se déroule sous la bannière de « l’attente » : attendre le moment, attendre les conditions, attendre l’instant opportun. Comme si le temps était innocent, comme si le moment allait arriver de lui-même sans être fabriqué. Or la réalité dit que le temps, ici, n’est pas un facteur externe, mais un outil, que l’on presse, que l’on étire, que l’on utilise pour tester les réactions. Chaque ballon d’essai lancé dans l’air n’est qu’une question cachée : quelqu’un a-t-il crié ? Quelqu’un a-t-il protesté ? Quelqu’un s’est-il lassé de protester ? Et s’il ne se passe rien, ce n’est pas du silence, mais un consentement différé.

Toute la scène ressemble à un jeu de longue haleine, où l’on ne demande pas au monde d’approuver, mais simplement de s’habituer. On ne demande pas à la victime de se rendre, mais seulement d’attendre. Et l’attente, ici, est un acte politique en soi : une attente qui épuise les nerfs, vide la colère, et transforme la catastrophe à venir en nouvelle prévisible plutôt qu’en choc. Ainsi, lorsque le « moment viendra » réellement, il sera venu parce que tout le monde aura été épuisé par l’attente, non parce que la justice aura été convaincue, ni parce que le droit aura changé.

Et à la fin de ce tableau, loin du langage, des noyaux et des ballons, se tiennent les habitants de la bande de Gaza, ceux-là mêmes qui viennent de sortir de la mort, de sous les décombres, d’entre les bombardements, et qui tentent de redéfinir des choses simples : une maison, une rue, une mémoire, un enfant qui dort sans effroi.
Mais cette phrase, avec sa légèreté meurtrière, vient leur dire que survivre ne signifie pas être en sécurité, que rester en vie ne signifie pas la stabilité, et que l’avenir lui-même est posé sur une étagère, en attente du « moment approprié ».
Ici, on ne tue pas les corps, mais l’espoir. Et l’espoir est la dernière chose que possède celui qui est sorti vivant de la mort. Lorsqu’on lui dit que la terre sur laquelle il se tient pourrait être un « noyau » pour autre chose, le message n’a pas besoin de crier pour parvenir. Il arrive avec une froideur mortelle : tu peux survivre aujourd’hui, mais ne t’attache pas à demain. Car demain est reporté… jusqu’à ce que le moment vienne.

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