Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Histoire d’une ville qui s’appelait Gaza

14 décembre 2025

Un très beau texte d’ Abu Amir le 13 Décembre…presque un poème

Au tout dernier bord de la mer, à l’endroit où la couleur de l’eau change lorsque le touche le coucher du soleil, il existait une petite ville que les oiseaux connaissaient mieux que les humains. Une ville qui ne grandissait pas en superficie, mais qui grandissait dans le cœur. Elle s’appelait Gaza.

Gaza ressemblait à une femme sortie du ventre de la tempête, portant dans ses yeux un peu de la patience de la terre, et un peu de l’entêtement des pauvres qui savent que rester en vie n’est pas un luxe, mais un devoir. Ses ruelles étroites étaient comme de vieux airs musicaux, gardant la mémoire des pas des enfants, des voix des marchands et des rires des femmes sur les balcons.
Et la mer, ce gardien éternel, observait tout en silence, comme s’il connaissait les secrets de la ville depuis la première vague qui avait battu son rivage.

Mais les villes, même les plus innocentes, ne peuvent échapper à des destins tracés sur des cartes auxquelles elles n’ont jamais eu leur mot à dire.

L’histoire commença un jour où l’aube trembla. Ce n’était pas le frémissement habituel de la brise marine, mais un bruit étrange… un son qui ressemblait à la chute d’une étoile du ciel. Gaza ouvrit les yeux, et comprit que la lumière qui l’inondait n’était pas celle d’un nouveau soleil, mais un éclair attaquant les maisons au loin.

À cet instant, la ville comprit qu’elle avait rendez-vous avec un autre temps… un temps que n’avait traversé aucune ville auparavant.

La population de Gaza n’était pas grande comparée à celle des villes du monde, mais trop grande pour être ignorée, et trop profonde pour se dissoudre dans le silence.
Plus de deux millions d’âmes étaient enfermées dans des frontières que l’on ne pouvait voir que du ciel : des limites de ciment et de fil barbelé, encerclant un peuple comme s’il s’agissait d’une erreur à corriger, ou d’un chapitre d’un livre que quelqu’un voulait déchirer.

Gaza savait qu’elle était prisonnière, mais une prisonnière dont le nom survit dans la mémoire ne meurt jamais. Cependant, elle ne savait pas encore que les jours à venir transformeraient ses pierres en cendres et les cœurs de ses habitants en blessures ouvertes sur le monde.

La nuit, les drones planaient comme des oiseaux noirs en quête de proie. Ils faisaient un bruit fort, mais ce qu’ils diffusaient vraiment, c’était une peur qui traversait les murs et venait se loger dans les cœurs des enfants.

Ils surveillaient la ville dans ses moindres détails : la cuisson tardive sur un petit feu,
la chambre éclairée par la dernière bougie, la mère qui essaie d’apaiser son enfant,
et l’homme debout sur le toit cherchant dans le ciel une étoile qui ressemblerait à la paix.

L’obscurité tomba quand l’électricité fut coupée. La nuit devint double : nuit du ciel, et nuit de la peur.

Gaza était la bien-aimée de la lune, mais durant ces nuits-là, il semblait qu’elle ne pouvait plus lui offrir sa lumière.

Puis l’eau fut coupée, et la soif devint un souvenir inscrit dans la mémoire.
La nourriture fut interdite ; le pain devint une chanson que l’on ne chantait que rarement. Les médicaments furent empêchés d’entrer ; les douleurs commencèrent à habiter la ville comme la poussière l’habite.

Mais Gaza, malgré tout, n’a jamais fermé son cœur. Elle savait que l’amour seul ne vainc pas la guerre, mais qu’il rend l’âme plus forte.

Puis commença le bombardement. Un bombardement qui ne ressemblait ni à la pluie, ni à l’orage, mais à de vieilles malédictions tombant du ciel sans pitié. Chaque frappe faisait trembler la terre, mais la terre ne cédait pas. Chaque frappe annonçait la mort, mais la mort elle-même semblait hésiter devant le nombre des victimes.

Des maisons pleines de souvenirs s’effondrèrent.
Des cahiers d’écoliers brûlèrent avant que leurs propriétaires ne les lisent.
Des jouets d’enfants disparurent sous les décombres.
Des mères appelaient leurs enfants dans le vide.
Des hommes portaient les pierres de leurs maisons comme s’ils portaient une part de leur âme.

Et malgré tout cela, le monde se contentait de regarder. Ils disaient : « Conflit ».
Mais Gaza savait qu’elle n’était pas une partie dans un conflit, mais la cible de quelque chose de plus grand que la guerre : une tentative d’effacer une ville de l’histoire.

Dans les hôpitaux, il n’y avait plus de place pour les lits. Le sol devint le matelas des blessés. Les enfants furent placés côte à côte pour sentir qu’ils n’étaient pas seuls.

Les médecins travaillaient sans sommeil, sans outils, sans énergie,
mais ils travaillaient avec amour. Avec une âme qui ne se mesure pas.

Et malgré tout, il y avait toujours une petite lumière. Une lumière qui surgissait de sous les ruines, du cœur des cris, de la main qui sortait de la poussière pour en saisir une autre.

Et par une nuit parmi les longues nuits de terreur, survint ce que les gens n’avaient jamais vu. Un éclair blanc apparut dans le ciel, blanc jusqu’à l’aveuglement,
blanc jusqu’à la terreur, blanc au point que la nuit entière s’enfuit. La nuit devint jour pendant une minute, puis revint, plus sombre que toutes celles qui l’avaient précédée.

Les gens dirent : ce n’est pas seulement une arme, c’est l’annonce de la fin d’une génération entière.

Dans les ombres épaisses, des petites villes s’effondrèrent, des quartiers entiers disparurent, des rues devinrent des cimetières, et les cimetières eux-mêmes s’élargirent jusqu’à ce que la terre n’ait plus de place.

Et pourtant, au milieu de la perte, au milieu d’une douleur qui coupe le souffle, Gaza restait debout.

La résistance n’était pas un mot, mais un corps qui tremble sans tomber.
C’était une mère rassemblant ses enfants parmi la fumée,
et un homme courant vers un endroit dangereux simplement parce qu’il avait entendu un son ressemblant au cri d’un enfant.
C’était un vieillard levant ses mains au ciel pour lui demander : « Pourquoi tout cela ?
Et pourquoi, malgré tout cela… sommes-nous encore en vie ? »

Mais vivre à Gaza n’est pas une habitude.
Vivre à Gaza est un acte de résistance.
Une respiration difficile mais nécessaire.
Une promesse non écrite que la ville ne capitulera pas.

Et à la fin — ou ce qui semblait être la fin — Gaza resta debout.
Debout malgré les ruines. Malgré les blessures. Malgré l’oppression. Malgré les tentatives de l’effacer de la carte.

Elle resta parce qu’elle n’est pas une ville de pierres, mais une ville de mémoire.
Une ville de larmes, de rêves, de prières et de patience.
Une ville dont aucune ruine ne peut effacer l’histoire, dont aucun bombardement ne peut effacer les noms, dont aucun silence international ne peut éteindre la voix.

Elle resta parce qu’elle est, tout simplement, Gaza.
Et les villes qui naissent de l’entêtement… ne meurent jamais.

Et Gaza restera, quels que soient les cycles de guerre, une ville qui crée sa propre lumière. Elle restera une mère reconstruisant sa maison à partir des cendres.
Elle restera une enfant cherchant son jouet pour dire au monde : « L’histoire n’est pas terminée. » Elle restera un homme creusant dans les pierres pour trouver quelque chose qui prouve que la mémoire est plus forte que la mort.
Elle restera un long poème que personne ne peut déchirer.
Elle restera une mer dont les vagues ne peuvent être occupées.
Et elle restera un nom s’élevant des gorges brisées comme une prière :
Gaza…
La ville qu’ils ont essayé de faire taire, mais dont la voix est restée plus forte que toutes les bombes.

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE AGORA SUIVANT :

Chronique " Gaza Urgence Déplacé.e.s" | Une éducation qui continue de triompher à Gaza