Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Israël n’a pas cessé la guerre à Gaza

3 novembre 2025
Israël n'a pas cessé la guerre à Gaza

Le 3 Novembre Abu Amir envoie un texte de réflexion et d’analyse sur le gouvernement de guerre en Israël dont la survie politique est devenue tributaire de l’escalade.

Depuis que Benjamin Netanyahou a annoncé son approbation du plan du président américain Donald Trump visant à mettre fin à la guerre et à conclure un échange de prisonniers et de dépouilles entre Israël et le mouvement Hamas, il semblait qu’une nouvelle phase du conflit s’orientait vers l’accalmie. Mais à peine les détails ont-ils commencé à émerger que la scène s’est de nouveau enflammée, cette fois au sein même du gouvernement israélien. Netanyahou s’est retrouvé pris au piège entre ses engagements politiques et ses partenaires extrémistes de la coalition au pouvoir, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, qui refusent toute trêve ou cessation des hostilités avant l’élimination totale du Hamas et l’assurance d’un contrôle israélien complet sur la bande de Gaza. Ces deux hommes constituent aujourd’hui un véritable casse-tête dans le paysage politique israélien, car non seulement ils exigent une escalade militaire, mais ils menacent aussi de faire tomber le gouvernement s’ils sentent que Netanyahou s’oriente vers une concession ou vers un accord ne comportant pas la destruction complète de la résistance.

Ces pressions ont plongé Netanyahou dans une impasse politique extrêmement délicate. D’un côté, il sait que l’opinion publique israélienne veut le retour des prisonniers et des corps ; de l’autre, il comprend que sa survie politique dépend du soutien de ses partenaires extrémistes, pour qui toute accalmie serait une défaite historique pour Israël.

Le Hamas, pour sa part, a abordé le plan de Trump d’une tout autre manière. Le mouvement considérait qu’Israël ne cherchait qu’à conclure l’échange puis à se retirer, comme par le passé — c’est-à-dire récupérer les prisonniers et les corps contre un retour au statu quo ante. Mais la surprise est venue des conditions israéliennes : désarmement total, démantèlement de la structure militaire et politique du Hamas et garantie d’un contrôle sécuritaire israélien sur Gaza. Le Hamas a catégoriquement refusé ces exigences, y voyant une tentative d’être anéanti complètement. Les négociations se sont alors interrompues, ouvrant une nouvelle phase de la guerre, marquée par une double dynamique : manœuvres politiques et escalade militaire.

Netanyahou, confronté à une crise interne aiguë, a trouvé dans la poursuite des opérations militaires un moyen de consolider son gouvernement et de satisfaire ses partenaires. Il a adopté une politique de « terre brûlée » à Gaza, détruisant massivement infrastructures, habitations et camps, notamment dans les zones proches de la « ligne jaune », définie internationalement comme zone tampon. Celle-ci est désormais complètement ravagée, l’objectif étant de créer un vide géographique susceptible d’être transformé plus tard en zones de colonisation, comme le souhaite l’extrême droite. Netanyahou lui-même sait pourtant que ce projet est irréalisable à l’heure actuelle, faute de légitimité internationale et face au refus global d’une annexion dans de telles circonstances.

Malgré cela, l’armée israélienne poursuit ses opérations à un rythme soutenu, multipliant assassinats ciblés et frappes dites préventives, sous prétexte d’empêcher de futures attaques ou de traquer les dirigeants de la résistance. En réalité, Israël n’a pas cessé la guerre : elle en a simplement modifié la forme et les outils. C’est désormais une guerre politique et sécuritaire, moins visible mais tout aussi dévastatrice.

Au Liban, les assassinats et attaques contre les cadres de la résistance se poursuivent. Netanyahou tente de convaincre l’opinion israélienne que la guerre continue et qu’Israël conserve l’avantage, car reconnaître un arrêt des opérations reviendrait à admettre un échec, une option politiquement intenable pour lui dans une coalition aussi fragile.

Dans ce contexte, Israël traverse une crise interne sans précédent — une crise identitaire autant que politique. La société israélienne est profondément divisée entre un courant extrémiste qui veut prolonger indéfiniment la guerre et un autre qui estime que sa poursuite mènera à la ruine du pays. Le fossé s’élargit entre une institution militaire consciente des limites de la force et des dirigeants politiques qui utilisent la guerre comme instrument de survie.

Avec l’augmentation des pertes humaines et matérielles et la multiplication des critiques internationales, Israël perd une part importante de sa légitimité. Le pays tente de la restaurer en présentant la guerre comme une nécessité sécuritaire, mais ce récit convainc de moins en moins, face à l’ampleur des destructions à Gaza et à la souffrance des civils.

Malgré ses efforts pour justifier la poursuite du conflit, la vérité est claire : Israël mène aujourd’hui une double bataille existentielle — contre ses ennemis à l’extérieur et contre lui-même à l’intérieur. L’État ne sait plus vraiment ce qu’il veut : la paix ou la domination, la fin du conflit ou sa perpétuation à des fins politiques. Dans cette confusion, la guerre devient un outil pour prolonger la durée de vie du gouvernement plutôt qu’un moyen d’atteindre des objectifs précis.

Chaque fois que la confiance du public envers Netanyahou vacille, il relance l’escalade militaire à Gaza ou au Liban pour se présenter comme le chef fort, capable de protéger Israël. Mais cette stratégie est désormais démasquée, même au sein de la société israélienne, qui commence à comprendre que son gouvernement la conduit d’une guerre à l’autre sans issue.

Sur le plan régional, la guerre israélienne ne se limite pas à Gaza : elle s’étend au Liban, à la Syrie et même à la Cisjordanie, dans le cadre de ce qu’Israël appelle « l’axe de l’hostilité ». L’objectif est de maintenir une tension permanente jusqu’à l’émergence de « la nouvelle Israël » rêvée par l’extrême droite — un État qui ne vit que par la guerre et ne s’étend que par la force. Mais la réalité est toute autre : la communauté internationale rejette de plus en plus la politique de destruction totale, le soutien américain commence à s’éroder sous la pression humanitaire, et la société israélienne elle-même n’a plus l’enthousiasme d’autrefois pour une guerre qui épuise l’économie et accentue l’isolement du pays.

Israël traverse ainsi une phase de douloureux bouleversements — une quête d’identité et de modèle politique dans un environnement régional et international en mutation. Ce processus pourrait durer des années, car il ne s’agit pas seulement d’une guerre militaire, mais d’un affrontement profond sur le sens même de l’État et son avenir.

Netanyahou, prêt à tout pour rester au pouvoir, a lié son destin à celui de la guerre, tandis que ses alliés exigent une victoire totale — c’est-à-dire la destruction de Gaza et la chute du Hamas. Une équation impossible dans le contexte actuel. Israël semble donc condamnée, à court terme, à tourner en rond dans un cycle sans fin d’escalade et d’accalmie, d’assassinats et de bombardements, de promesses politiques et d’explosions militaires — autant de tentatives pour repousser l’inévitable constat : l’État né il y a des décennies en quête de sécurité est devenu aujourd’hui un pays en quête de lui-même, miné par la peur, la haine et l’extrémisme.

Son chemin vers cette « nouvelle Israël » rêvée sera long, semé de guerres, de tragédies et de divisions — car désormais, ses batailles ne se jouent plus seulement contre ses ennemis extérieurs, mais aussi contre une réalité intérieure qui s’effondre lentement sous le poids de ses propres contradictions.

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