Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Le soutien psychologique, une artère vitale pour Gaza!
22 juin 2025Le 21 et 22 Juin, Abu Amir envoie le compte rendu hebdomadaire de deux ateliers soutien psychologique pour les femmes effectué par son équipe : dans une tente délabrée plantée sur un sol instable au cœur du camp d’Al-Isra’ dans la ville de Gaza avec 21 femmes et 25 femmes à Deir al-Balah.
À Gaza, les guerres ne s’arrêtent pas avec la fin des bombardements, ni les pertes aux frontières des décombres. Une guerre silencieuse commence au cœur de chacun, s’acharne lentement, dévore l’âme et laisse des cicatrices invisibles, mais qui bouleversent chaque détail de la vie. Dans ce tableau, les femmes gazaouies sont en première ligne de chaque traumatisme. Elles portent leurs enfants au milieu des ruines, nourrissent la vie malgré la perte, jonglent entre les rôles de mère, de soutien financier, de survivante et de consolatrice, même si elles tremblent de l’intérieur. Le fardeau quotidien—la peur constante, la perte répétée de sécurité, d’habitation, de certitude—rend l’équilibre psychologique comme un luxe inatteignable.
Résilience psychologique et guérison en temps de crise
Elles étaient assises dans la tente,entourées de parois de toile, un refuge sécurisant, un endroit où l’on leur dirait : « Je suis là ».
La résilience ne signifie pas être toujours en forme, mais savoir se relever après une chute. Les chocs psychiques répétés affectent l’esprit et le corps, des symptômes comme l’insomnie, le retrait, les crises de larmes ou même l’engourdissement émotionnel ne sont pas un signe de faiblesse, mais le témoignage d’un corps dépassé par la douleur.
Premier exercice : l’« arbre de vie ». Chacune a dessiné un arbre la symbolisant : les racines représentant ses sources de force, le tronc son identité, les branches ses rêves encore en suspens. À mesure que les crayons glissaient, le silence s’est progressivement fissuré. Umm Khaled a dit :
« Je ne ressens plus rien, ni joie ni tristesse… Depuis que mon fils a été tué, je me réveille et jem’endors avec la même douleur ».
Une autre a avoué : « Je ris avec mes enfants, je cuisine, je nettoie, mais à l’intérieur je suis vide… j’ai une douleur comme une pierre sur le cœur ».
Il y avait seulement une écoute, uniquement un sentiment de sécurité.
Une séance de relaxation guidée :« Inspire par le nez…retiens… expire doucement par la bouche… à chaque expiration, libère une part de tension ».
À chaque inspiration, leurs visages se sont apaisés. Pour la première fois depuis longtemps, elles ont réalisé que juste respirer pouvait apporter un espace de répit.
Deuxième exercice, le « coffret de la douleur et le coffret de l’espoir », consistait à distribuer de petits papiers sur lesquels chacune devait écrire une douleur encore inavouée.
« Je n’arrive pas à me pardonner de ne pas avoir pu atteindre ma fille lors des bombardements ». « « Je suis fatiguée de faire semblant, fatiguée de dire aux gens que je suis forte ». Ces papiers ont été déchirés, un geste symbolique, comme pour enterrer ce qu’elles n’avaient jamais osé regarder en face. Puis chacune a écrit un petit souhait :
« Qu’on me voie comme une personne, pas juste comme une mère, une sœur, une épouse », « Que je dorme une nuit sans cauchemars », « Que je retrouve un rire du fond du cœur ».
Ces mots ont été mis dans le coffret de l’espoir. Un rayon de lumière s’est alors immiscé dans la tente – non pas celui du soleil, mais celui de l’intérieur.
« Qu’est-ce qui, si tu l’avais aujourd’hui, te permettrait de sentir que ta vie pourrait repartir sur son chemin ? »
« J’ai besoin d’un câlin, de quelqu’un qui m’écoute sans me dire “tiens bon” ».
« J’ai juste besoin d’une maison où je ne doive pas fuir, d’un toit stable sous lequel je puisse dormir sans avoir peur ».
Les mots se sont entrelacés, chacune révélant un fragment qu’elle n’avait pas encore partagé.
En conclusion de l’atelier, les femmes étaient assises en cercle, silencieuses, les mains posées sur leur cœur, les yeux fermés, scandant d’une voix intérieure et commune : « Je suis blessée, mais je tiens debout ». Elles ont reçu un petit livret contenant des exercices quotidiens pour préserver leur bien-être psychologique. En sortant de la tente, elles étaient chargées, comme à l’entrée, d’un fardeau de vie, mais portaient aussi un petit papier affirmant que chacune d’elles recelait une lumière, et que les voix libérées dans cette tente ne seraient pas oubliées.
Cet atelier est un espace où la tristesse peut être exprimée sans honte, où les larmes peuvent couler sans justification.
Cet atelier a démontré que la femme de Gaza n’a pas seulement besoin de pain et d’eau, mais de quelqu’un qui lui dise : « Tu n’es pas seule ». De ce que tu portes ne doit pas rester enfermé en toi, mais tu as le droit de vider ce fardeau. Elles sont sorties de cet atelier en réclamant davantage, non pour le luxe, mais pour survivre, pour protéger ce qu’il reste de leur âme de s’effondrer complètement. Elles exigent la répétition de ces rencontres, pour chaque tente, chaque quartier, chaque foyer blessé de souvenirs. Car le soutien psychologique n’est pas un privilège à Gaza… c’est une artère vitale, une fenêtre de salut, un espace indispensable pour garantir que ces femmes puissent continuer, non dans le silence, mais avec la force qui naît de la reconnaissance de leur vulnérabilité et de la conviction que la guérison n’est pas une illusion, mais un droit, un besoin, une responsabilité collective.
Lien vers les photos et vidéos
https://drive.google.com/drive/folders/1K7hp6uJs1_zzAQ3WSIcKaDUuschr5tzV
« Quand aurons nous un espace pour respirer ? »
Par un matin où la lumière du soleil se mêle à la poussière d’une vie lourde, sous un ciel témoin de nombreuses années de siège et de peur, vingt-cinq femmes se sont réunies dans le camp des Amis, à l’ouest de la ville de Deir al-Balah, dans un petit espace qui ne cache pas la fatigue sur les visages. Un atelier de soutien psychologique s’y est tenu, organisé par les équipes de l’UJFP, sous le titre : « Les droits fondamentaux et les moyens d’accès au soutien». Un espace soigneusement conçu pour offrir aux femmes la possibilité de prêter attention à elles-mêmes, et de poser une question : « Ai-je le droit au repos ? À la sécurité ? À être écoutée ? »
La séance a été ouverte avec des mots établissant un lien entre les droits fondamentaux de l’être humain, en particulier ceux des femmes, et la santé mentale. Expliquer que le droit à la sécurité, aux soins, à l’expression et à la prise de décision ne sont pas de simples slogans, mais des besoins psychologiques qui ne peuvent se réaliser qu’en les reconnaissant et en ayant la capacité d’y accéder. Clarifier le concept d’« autonomisation psychologique », qui se rapporte à la capacité de prendre des décisions, de dire « non », et de se protéger contre les abus. Aborder l’impact de « l’oppression prolongée » que subissent les femmes de Gaza — que ce soit à cause de la guerre, de la pauvreté ou des contraintes sociales — sur leur sentiment de valeur et de dignité. Souligner que, lorsque la femme est privée de son droit au choix, elle ne perd pas seulement ses droits civils, mais elle se fissure intérieurement et perd confiance en sa capacité à changer.
Le premier exercice « Cercles de sécurité », où il a été demandé à chaque femme de dessiner trois cercles concentriques : le premier représentant l’espace où elle se sent totalement en sécurité, le second les lieux où elle se sent parfois en sécurité, et le troisième ce qui lui inspire peur et menace. L’objectif était que les femmes renouent avec leur instinct psychologique, non avec ce qui leur est imposé de l’extérieur. L’une d’elles a levé sa feuille « Je n’ai pas de cercle de sécurité… « même ma maison n’est pas permanente, même mon lit ne me protège pas sous les avions. » Une autre a murmuré : « Mon premier cercle, c’est quand je suis seule, que je pleure, et que personne ne me demande de répondre ou d’être forte… là seulement, je ressens un peu de sécurité. »
L’activité s’est conclue sur la différence entre la sécurité extérieure — représentée par un lieu sûr et un toit paisible — et la sécurité intérieure, qui naît de la confiance en soi et de la capacité à se défendre. « Beaucoup de femmes à Gaza ne disposent ni de l’un ni de l’autre… mais aujourd’hui, nous essayons ensemble de reconstruire ces cercles. »
Ensuite l’exercice de la « Carte du soutien », où il a été demandé à chaque femme de noter les noms de trois personnes ou entités vers lesquelles elle peut se tourner en cas de besoin. Puis une question franche a été posée au groupe : « Qui parmi vous n’a personne ? » Six femmes ont levé la main. L’une d’elles : « Si je meurs dans la tente, on ne le saura que quand l’odeur se répandra. »
Une autre : « Même à ma mère, je ne peux pas parler, chaque fois que je le fais, elle me dit de patienter et elle me fait taire. »
L’animatrice a discuté de ces situations avec elles, soulignant que l’isolement psychologique est plus dangereux que la solitude sociale, et que la présence des gens autour de nous ne signifie pas forcément que nous sommes écoutées ou comprises.
Un petit livret intitulé « Où trouver du soutien ? » a été distribué. Il contient les adresses et numéros de centres psychologiques communautaires locaux et des lignes d’écoute dédiées aux femmes.
Puis vint une activité particulièrement marquante : « La voix forte ». Une feuille a été placée au centre du cercle, avec l’inscription : « J’ai le droit d’être traitée avec dignité, même quand je suis triste ». L’animatrice a demandé à chaque femme de la lire à haute voix, puis d’ajouter une phrase qui exprime ce qu’elle ressent. Les phrases ont fusé
« J’ai le droit d’être fatiguée, j’ai le droit de crier quand je suffoque. » « J’ai le droit de refuser, même si c’est mon mari ou le père de mes enfants. » « J’ai le droit de me reposer… mais je ne sais ni comment ni où. » L’objectif était que chaque femme entende clairement sa propre voix, et commence progressivement à retrouver ce sentiment de légitimité, ce sentiment que la guerre, la peur et la privation avaient effacé.
Vint ensuite un moment calme, dédié à une séance de relaxation collective.« Tu as droit au repos, tu as droit à la paix… La douleur ne signifie pas que tu es faible, mais que tu es humaine. » Ensuite, des feuilles colorées ont été distribuées aux femmes, avec pour consigne d’écrire un vœu qu’elles n’avaient jamais osé exprimer. Ces papiers ont été accrochés sur une corde à l’intérieur de la tente, comme un linge de l’âme, ou des souvenirs de cœurs ayant longtemps résisté au silence.
Les femmes ont quitté l’atelier toujours accablées par la même fatigue, mais quelque chose avait changé. Leur démarche semblait plus assurée, leurs regards plus ancrés, comme si le simple fait d’avoir parlé, d’avoir entendu « Vous êtes visibles », leur avait accordé une nouvelle légitimité à la douleur, à la voix, et à la revendication de plus que la simple survie.
Cet atelier a brisé ce silence, et ouvert la voie à une question essentielle : « Quand aurons-nous un espace où respirer ? » Les femmes ont quitté l’atelier en demandant davantage — non par luxe, mais par nécessité. Elles ont réclamé des centres fixes de soutien psychologique, des lignes d’urgence pour les femmes, quelqu’un pour écouter, pour leur dire : Oui, tu es épuisée… et tu as le droit d’être vue, tu as le droit d’être accueillie. Cet atelier a prouvé que la guérison commence lorsque la femme reçoit un instant de sécurité intérieure — même sous une tente, même pour un seul jour.
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