Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Le temps est figé à Gaza : bombardements sans fin, famine impitoyable

12 juin 2025
Des centres de distribution qui sont des centres de mort

Dans ce texte du 11 Juin Abu Amir écrit qu’il ne sait plus par où commencer dans cette répétition effroyable : Gaza sacrifiée entre la douleur d’hier et l’horreur du présent.

À Gaza, la souffrance s’endort pour se réveiller avec un nouveau drame. Je ne sais plus par où commencer. Les mots tombent de mon esprit comme la poussière tombe des décombres d’une maison détruite, éparpillés sans ordre, oscillant entre la douleur d’hier et l’horreur du présent. Le même scénario se répète chaque jour, comme si le temps s’était figé dans un moment de bombardement sans fin. Chaque matin ressemble au précédent, chaque minute reproduit la même catastrophe. J’ouvre les yeux sur des cris qui déchirent le silence de l’aube, sur les hurlements de femmes ayant perdu leurs enfants, sur du sang qui coule sur des routes tapissées de peur, sur une ville conduite vers la mort à chaque heure, sans répit.
Le jour n’apporte pas de lumière, seulement des explosions successives qui rasent les rues, détruisent les maisons. La nuit n’apporte pas de calme, mais une pluie continue d’obus qui tombe sur les tentes des déplacés, les corps affamés, tandis que le bruit des avions ne quitte jamais le ciel.

Dois-je commencer par ce ciel devenu un ennemi impitoyable ? Ou par cette terre qui n’est plus un refuge mais un cimetière collectif pour des innocents dont le seul tort est d’avoir choisi de rester ? Les tentes où les enfants trouvent abri sont devenues des cibles. Les maisons pleines de souvenirs familiaux sont devenues des ruines gémissantes. Les cœurs, autrefois emplis d’espoir, sont désormais vides, habités seulement par la peur – cette peur qui s’insinue dans les âmes sans prévenir, jusqu’à ce que Gaza toute entière devienne un corps blessé, une âme brisée.

Aujourd’hui, Gaza est dévorée à la fois par la guerre et la famine, comme une proie sans défense, dont le corps est violé en plein jour et l’humanité piétinée dans le silence de la nuit. Cette ville autrefois pleine de vie, où les rires des enfants résonnaient parmi les marchands de pain et de fleurs, est devenue une scène ouverte d’anéantissement. Il n’y a plus de lieu sûr, plus de quartier épargné. Des enfants tombent en martyrs alors qu’ils couraient après un ballon. Des femmes fouillent les décombres des boulangeries détruites à la recherche d’un morceau de pain. Des hommes creusent à mains nues pour retrouver leurs proches sous les décombres, tandis que la défense civile, jadis un espoir, n’a plus rien sauf la volonté : elle tente de sauver des vies avec des mains nues, armée seulement de douleur.
Et au cœur de cette désolation, un autre visage de la tragédie est apparu, aussi cruel que les bombardements, peut-être même plus : un chaos sécuritaire sans précédent, gouverné par la loi de la jungle. Il n’y a plus d’autorité pour rendre des comptes, plus de loi pour dissuader. Les rues de Gaza sont devenues le théâtre de milices armées, libres de voler, de tuer, de piller, imposant leur contrôle sur les derniers signes de vie. Les affamés sont devenus des proies, n’ayant que leurs corps frêles et leurs yeux vides, attendant des heures dans des files d’espoir, dans l’attente d’un camion d’aide. Et dès qu’il apparaît, la scène tourne au cauchemar sanglant : les gangs ouvrent le feu sur les pauvres sans défense, tuant ceux qui osent s’approcher, non pour sécuriser l’aide, mais pour la voler et la revendre au marché noir, où la nourriture est vendue à un prix que les affamés ne peuvent pas payer.

Dans un autre recoin de l’histoire apparaissent les centres de mort déguisés, établis par l’occupation sous le nom de « centres de distribution d’aide », sous couvert d’entreprises américaines. Mais ils ne sont que des pièges mortels, attirant chaque matin des milliers d’affamés avec l’espoir de recevoir un peu de nourriture, pour ensuite n’offrir que quelques centaines de portions. C’est alors que débute la cohue, la lutte, le chaos – un chaos de faim qui dévore la dernière parcelle de dignité. Les cris des hommes se mêlent à ceux des femmes, et en un instant, les soldats ouvrent le feu. Des dizaines tombent. Les blessés sont transportés dans des tissus déchirés, les corps laissés au sol, parfois enterrés sous la foule. Ce matin, 30 personnes ont été tuées sur ce lieu qui distribue la mort, pas la nourriture, et des dizaines d’autres sont blessées.
Netzarim, un nom autrefois rarement mentionné, est devenu aujourd’hui l’épicentre de la douleur. Le plus grand centre de distribution, visité chaque matin par plus de trois cent mille personnes, venues à pied, affamées, malades, depuis le nord et le centre de Gaza. Ils arrivent avant l’aube, certains ne portant qu’un tissu pour se couvrir de la poussière, d’autres un seau vide avec l’espoir de le remplir de nourriture. Mais là-bas, l’espoir est tué par les balles, enterré sous les coups, anéanti par la cruauté de l’occupation.
Mais le centre de Netzarim n’est pas seul à piéger les citoyens affamés dans des guets-apens mortels. Au sud, à Rafah, le même scénario se répète, comme une copie conforme du drame de Netzarim, comme si la malédiction de la famine se déplaçait pour toucher tout le territoire.
À Rafah aussi, un autre centre s’est dressé sur les ruines de l’espoir. Chaque matin, des milliers s’y rendent depuis leurs tentes déchirées et leurs maisons détruites. Les hommes portent leur douleur, les femmes leur eau et leurs larmes, tous espérant un peu de farine, de riz, ou même un repas avarié – qu’importe, pourvu qu’ils ne rentrent pas les mains vides. Là aussi, le chaos surgit : les gens se bousculent, les mains s’entrechoquent, les cris s’élèvent, puis survient un silence lourd quand les soldats ouvrent le feu, et la tragédie se répète : morts au sol, blessés hurlants, affamés fuyant.
Ces centres de mort ne sont pas des centres de distribution, mais des pièges à ciel ouvert, gérés comme des théâtres de misère et d’humiliation, diffusés chaque jour au monde – un monde qui ne voit pas, ou qui refuse de voir. À Gaza, même l’aide est conditionnée par le sang, même la survie demande un permis accordé par une arme, et même la vie… est devenue un luxe.
Au milieu de cet effondrement, l’occupation ne se contente pas de tuer les corps, elle vise plus profondément : semer les graines d’une nouvelle discorde, en soutenant directement des milices qu’elle présente comme des « forces de sécurité », prétendant assurer l’ordre et faciliter l’aide humanitaire. Mais en réalité, ce ne sont que de nouveaux bras pour remodeler Gaza selon ses intérêts, un substitut artificiel au Hamas, noyau d’une nouvelle réalité sans dignité ni souveraineté – de simples outils obéissants aux ordres.
Les gens de Gaza ne font plus confiance à personne. Tout est devenu suspect. L’ami peut devenir ennemi, le voisin un traître, le trottoir un piège. Les liens sociaux sont brisés, les murs des maisons ne protègent plus rien. La faim a changé les âmes, la peur a déformé les cœurs, les larmes se sont taries. Pleurer est devenu un luxe. Survivre, un rêve lointain.
Gaza saigne. Saigne sans répit, gémissant sous le poids d’une guerre aux multiples visages : guerre de bombes, guerre de faim, guerre de trahison, guerre de complot – toutes se déroulant en même temps. Un tableau qui ne ressemble à aucune autre tragédie, une tragédie unique dans sa cruauté, grandissante dans son injustice, et consacrée chaque jour comme une honte mondiale impardonnable.
Deux photos et une vidéo hallucinante !
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