Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Partage de souvenirs positifs entre femmes

26 avril 2025
Partage de souvenirs positifs entre femmes

C’était le thème de l’Atelier de soutien psychologique à Deir al- Balah dans le Sud de la bande de Gaza dont Abu Amir envoie le compte rendu le 25 Avril au soir

Par un matin gris et morose, l’un de ces matins typiques de la guerre, entre le vrombissement incessant des avions et les gémissements des tentes éparpillées à ciel ouvert, le camp “Al-Suwaidi” à Deir al-Balah a été le théâtre d’un événement humain exceptionnel, semblable à une bouffée de chaleur au cœur d’une tempête. Là, où des déplacés vivent depuis des mois sous des toiles qui ne protègent ni du froid ni de la chaleur, vingt-cinq femmes venues de différentes régions de la bande de Gaza se sont réunies pour participer à une séance de soutien psychologique intitulée « Partage de souvenirs positifs », organisée par l’ UJPF.

La séance n’était pas une invitation à l’oubli ou au déni de la douleur, mais plutôt une tentative simple d’ouvrir une petite fenêtre dans le mur de la catastrophe, permettant à ces femmes de respirer un peu de l’air de la vie, de se rappeler qui elles étaient avant que leurs maisons, leurs souvenirs, et leur stabilité ne leur soient arrachés.
« Nous ne sommes pas ici pour oublier ce qui s’est passé, mais pour retrouver ce qui reste de lumière en nous. Qui étiez-vous avant la guerre ? Avant le déplacement ? Avant la douleur ? Aujourd’hui, nous allons nous souvenir, non pour fuir, mais pour revivre. »

Une technique de psychologie appelée « évocation positive stimulée par les sens », visant à activer les souvenirs de sécurité et de réconfort dans le cerveau.
« Quelle est la première image qui vous vient à l’esprit lorsque vous pensez à votre maison ?
Quel son remplissait vos matins ?
Quelle odeur reste gravée dans votre mémoire ? »

Un exercice intitulé « Tempête émotionnelle » a suivi, demandant aux femmes d’écrire ou de dessiner un souvenir heureux sans contrainte. Exercice a accompagné de techniques de respiration profonde et de relaxation musculaire, favorisant un accès à un espace plus sûr.

Peu à peu, les récits ont commencé à émerger, timides, brisés. Une femme, en essuyant ses larmes, a levé la tête et dit :
« Je me suis souvenue de l’odeur du pain que ma mère cuisait à l’aube… Je me levais juste pour la voir pétrir. L’odeur de la maison ressemblait à une étreinte. »
Une autre,
« Mon mari nous réunissait chaque soir dans notre petit jardin. Aujourd’hui, il n’y a plus ni maison, ni enfants… mais ce souvenir m’a réchauffée. »

L’animatrice a ensuite proposé un exercice appelé « ancrage émotionnel », consistant à associer un souvenir positif à un geste corporel, comme poser la main sur le cœur, afin de pouvoir le rappeler plus tard en reproduisant ce geste. Une jeune femme dans la vingtaine, le sourire timide, a levé la main :
« Je me suis souvenue du mariage de ma grande sœur… les youyous, les rires, les robes. J’ai eu l’impression de sourire de tout mon cœur, pour la première fois depuis des mois. »

Puis, un troisième exercice intitulé « La boîte à souvenirs » a été mis en place. Des papiers colorés ont été distribués, chaque femme y a inscrit un souvenir heureux, puis les a déposés dans une boîte. L’animatrice a ensuite lu quelques-uns de ces souvenirs à voix haute : des souvenirs de la mer, des jeux d’enfants, d’une chanson chantée par un père, ou du coucher de soleil vu depuis un balcon.

Après l’un de ces souvenirs, une femme a murmuré les yeux brillants :
« Chaque jour, nous pensons à ce que nous avons perdu. Mais aujourd’hui, j’ai compris qu’il y a encore du beau en nous… et qu’on peut y retourner quand la tempête fait rage. »

La session s’est terminée avec la technique des « journaux de gratitude quotidiens », où l’on a demandé à chaque femme de consacrer un moment chaque jour à écrire une chose positive, aussi petite soit-elle : une tasse de thé, le rire d’un enfant, ou une minute de silence apaisant.

À la fin de la rencontre, les mots ne suffisaient plus à décrire ce qui s’était passé. Les regards disaient tout. Ces femmes avaient compris qu’il leur restait quelque chose qu’aucune bombe ne pouvait leur enlever : une belle mémoire, un souvenir qui donne de la force, des racines profondes capables de refleurir. La séance « Partage de souvenirs positifs » a prouvé qu’elle n’était pas un simple moment de conversation, mais un outil réel pour reconstruire ce qui reste de l’âme. Elle a créé un espace chaleureux au cœur du chaos, renforcé le sentiment d’identité des femmes et leur a rappelé que la joie ne s’efface pas, et que l’espoir, même vacillant, ne meurt jamais.

Cette séance, empreinte d’émotion et de vérité humaine, a montré à quel point une seule rencontre de soutien psychologique peut transformer la réalité des femmes déplacées. Dans un environnement dominé par la peur, la privation et l’incertitude, ces ateliers sont un véritable souffle de vie, rétablissant un peu d’équilibre émotionnel et permettant aux femmes de se réapproprier une part d’elles-mêmes presque perdue.

Offrir un espace sécurisé et bienveillant où les femmes peuvent exprimer leurs émotions et renouer avec leurs souvenirs positifs n’est pas un luxe en temps de guerre, mais une nécessité vitale pour la survie. Ces ateliers ne guérissent pas les blessures physiques, mais touchent celles, plus profondes, qui ne se voient pas, et plantent des graines d’espoir prêtes à éclore au milieu des ruines.

Lien vers les photos et vidéos

https://drive.google.com/drive/folders/1_njnNuLg75jAyBiroVCgOoDR1_IHZBLi

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