Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Reconstruire Gaza à partir de son âme avant ses pierres
11 novembre 2025Une réflexion d’ Abu Amir le 11 Novembre : lorsque les cartes de guerre se transforment en plans de reconstruction qui décide du visage de la future Gaza ?
La destruction à Gaza n’a jamais été qu’un amas d’immeubles rasés, elle a toujours été un test de la valeur d’un lieu, et de la capacité d’une petite ville à porter ses blessures puis à se relever. Aujourd’hui, Gaza ne fait pas face à la question : Quand commencera la reconstruction ? Mais à une question bien plus profonde et complexe : Comment cette ville sera-t-elle redessinée ? L’enjeu ne se limite plus à des décombres à enlever, mais à un avenir urbain qui s’écrit en ce moment même: entre cartes, politique, économie, entre la vie des habitants, leurs souvenirs et leur droit à la terre.
Quiconque observe la scène comprend que la reconstruction ne sera pas un processus aléatoire, mais un chemin tracé avec précision, comme si les lignes dessinées par la guerre devenaient aujourd’hui les nouvelles lignes d’un urbanisme à venir. On parle beaucoup de la “ligne jaune” ; une ligne non officiellement déclarée, mais présente dans toutes les analyses urbaines, comme si elle marquait la frontière entre une zone destinée à connaître une reconstruction rapide et massive, et une autre qui pourrait être laissée dans une attente prolongée. À l’ouest, où se concentrent la densité de population, les institutions et la ville dynamique, les premières grues s’élèveront et les plus rapides plans de construction seront déployés. À l’est, qui représente plus de 58 % de la superficie de la bande, la reconstruction pourrait ne pas être prioritaire dans les premières années, non par manque de légitimité, mais parce que la nouvelle vision ne perçoit pas les terres uniquement comme des espaces résidentiels, mais aussi comme de nouvelles fonctions économiques et environnementales. L’est pourrait être redéfini comme un espace agricole et écologique, une respiration verte pour Gaza après des années de guerre et de cendres.
Mais avant que le ciment n’atteigne le sol, une étape politique incontournable s’impose : la question de la remise des armes. Ce point n’est pas un simple élément des discussions, mais la clé qui déterminera si Gaza s’engage vers la reconstruction ou reste suspendue à l’attente. Le Hamas semble aujourd’hui confronté à deux options sans troisième voie : soit accepter la remise des armes et intégrer un nouveau système politique ouvrant la voie à la reconstruction, soit s’accrocher au pouvoir, fût-ce au-dessus d’une ville dépourvue des conditions minimales de vie. Entre ces deux options se décidera la capacité — ou non — de la communauté internationale et des acteurs régionaux à financer la reconstruction. Car le monde ne reconstruira pas une ville sans garanties, ni des infrastructures sous une menace persistante.
Quant à la forme que prendra cette reconstruction, l’image semble aujourd’hui plus claire qu’au cours des dernières années. Ceux qui possèdent un logement enregistré et officiellement répertorié dans les registres municipaux recevront une compensation équivalente à la valeur de ce qu’ils ont perdu, selon un modèle similaire à l’expérience de ce qui fut appelé “le quartier saoudien” à Rafah avant sa destruction, où l’urbanisme était planifié, les cartes établies et les indemnisations liées à la propriété légale.
Mais Gaza n’a jamais été entièrement construite ainsi : de nombreux quartiers se sont développés sans permis, et des milliers de maisons ont été bâties sans planification. Celles-là ne seront probablement pas reconstruites à l’identique. Leurs habitants pourraient se voir proposer une alternative : des immeubles résidentiels modernes, faisant passer les familles d’une expansion horizontale non planifiée à une expansion verticale devenue la norme des villes contemporaines. Dans ce modèle, le logement ne sera plus uniquement un abri, mais un remaniement des modes de vie eux-mêmes, des relations de voisinage et du tissu social dans ses plus infimes détails.
Si pour certains cette vision représente une chance de reconstruire Gaza de manière plus moderne et mieux organisée, en corrigeant des décennies d’urbanisation anarchique et de surpopulation, pour d’autres elle suscite l’inquiétude : celle d’un redéploiement démographique imposé par la nécessité plus que par le choix. Car les populations n’ont pas seulement perdu des maisons, elles ont perdu avec elles la mémoire des rues, la proximité des voisins, la résonance intime des lieux, cette micro-identité née des ruelles que les plus modernes tours de béton ne pourront jamais restituer.
Les plans qui avaient fuité il y a des années résonnent aujourd’hui comme une prophétie accomplie : les phases et les frontières de développement urbain proposées à l’époque ressemblent fortement à ce qui se discute maintenant sur le terrain — comme si la reconstruction n’était pas née de l’après-guerre, mais s’inscrivait dans une trajectoire préparée étape par étape jusqu’à devenir une réalité inévitable. Si de nombreux détails demeurent flous, l’image globale laisse entrevoir un projet urbain d’envergure, destiné à transformer Gaza d’une ville se développant sous contrainte en une ville redessinée selon une nouvelle architecture de l’espace, de la population, des ressources et même des fonctions économiques.
Au cœur de cette grande vision, demeure cependant la question la plus humaine et la plus urgente, celle qui transcende toutes les cartes et politiques : où vivront les gens ? Et à quoi ressemblera leur vie après tout cela ? Reconstruire ne signifie pas seulement bâtir des routes et des murs, mais refonder un contrat social , redéfinir le lien entre l’humain et le lieu, entre le citoyen et l’État, entre le présent et l’avenir. Si cette reconstruction n’est pas fondée sur l’équité, l’inclusion et la prise en compte des blessures humaines avant celles du territoire, alors la ville pourra être bâtie, mais pas réparée. Les décombres reviendront sous une autre forme, même s’ils semblent plus solides.
Aujourd’hui, Gaza ne reconstruit pas seulement ses bâtiments, elle réécrit son sens en tant que ville — un espace voué à la vie, non au siège ; à l’agriculture et à l’urbanisme, non à la poudre et à la ruine. L’Est pourrait devenir un poumon vert, et l’Ouest s’élever en nouvelles tours. Les ruelles étroites pourraient laisser place à des avenues tracées au cordeau. Mais aucune carte ne pourra changer le fait que les habitants sont l’âme de la ville, et qu’une cité qui survit n’est pas celle qui se bâtit vite, mais celle qui se bâtit juste.
La reconstruction viendra , c’est peut-être là la seule certitude dans le chaos des incertitudes. Mais l’essentiel est qu’elle soit une reconstruction qui rende la vie, et non seulement la géographie ; qui rassemble et ne divise pas , qui soit équitable et non sélective , qui restaure la terre sans en arracher les siens , qui dessine l’avenir sans effacer la mémoire. Alors seulement, Gaza pourra se relever d’entre les ruines, ville différente — non parce que sa forme aura changé, mais parce qu’elle aura survécu par l’âme de son peuple avant ses pierres.
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