Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Sous une tente de mots, soutien psychologique dans le camp Al-Isra à Gaza
29 mars 2025Abu Amir envoie le compte rendu d’une séance de soutien psychologique pour les femmes déplacées du camp d’ Al- Isra au nord de Gaza : activité réalisée par les équipes de l’UJFP
Un groupe de femmes déplacées s’est rassemblé sous l’une des nombreuses tentes du camp. Ce n’était pas une rencontre ordinaire, et les participantes n’étaient pas de simples chiffres dans les statistiques de la guerre. C’étaient des femmes déracinées par la violence, essayant de recoller les morceaux de leurs âmes « Renforcer la dignité et l’espoir chez les femmes déplacées ». Dès le début de la séance, les animatrices se sont assises parmi les femmes, sans barrière, habillées simplement, avec une voix douce, comme des proches ou des amies. La séance a commencé par des mots de bienvenue chaleureux, suivis de moments de silence volontaire, pour permettre aux cœurs de s’ouvrir après un long mutisme. La parole fut ensuite libérée, et les mots jaillirent comme une vague de confidences retenues depuis des mois.
L’une d’elles, dans la trentaine, vêtue d’une abaya sombre, avec un visage marqué par des nuits sans sommeil, déclara : « J’ai fui Beit Lahia pour Beit Hanoun, puis à Shuja’iyya, et enfin ici. À chaque déplacement, j’ai l’impression d’être arrachée à ma propre peau. Je ne sais plus qui je suis. »
La séance n’était pas une conférence, mais un espace de survie. Elle abordait divers sujets exprimés dans le langage du cœur, et non dans celui des livres. La discussion a commencé autour de la dignité comme un droit inaliénable, même sous les bombes. Une question simple, mais profonde
« À quand remonte la dernière fois où tu t’es sentie avoir de la valeur ? »
Le silence régna, puis les confidences émergèrent lentement, comme une ancienne plaie qui saigne à nouveau :
— « Quand j’ai aidé une voisine à accoucher sous les bombardements. »
— « Quand j’ai partagé le repas de mes enfants avec une veuve qui n’avait rien. »
La séance a ensuite évolué vers des exercices collectifs axés sur la reconstruction du lien avec soi-même. Chaque femme devait écrire un mot, juste un, qu’elle aime à propos d’elle-même. Certaines furent déconcertées :
« Je m’étais oubliée, madame », dit une femme d’une cinquantaine d’années en essuyant ses larmes du bord de son voile.
Les animatrices ont abordé la pensée positive non comme un slogan vide, mais comme un outil de survie. Elles ont expliqué comment s’accrocher à un seul fil de lumière dans l’obscurité. Les participantes ont appris à remplacer des phrases comme « Je suis faible » par « Je tiens bon malgré tout ». Les exercices étaient simples. Une femme releva soudain la tête et dit :
« Je ne suis pas brisée… je suis juste fatiguée. »
La séance s’est poursuivie par une séquence de méditation guidée. Les voix se sont apaisées, l’animatrice invitant les femmes à respirer lentement, à poser leurs mains sur leur cœur et à sentir le battement de la vie. On leur dit : « Maintenant, il n’y a ni passé, ni bombardement, ni déplacement… juste ce moment en sécurité. »
Certaines ont fermé les yeux pour la première fois depuis des semaines.
Puis vint le moment des récits. Rien n’est plus fort qu’une confession dite dans un cercle de sécurité.
« Quand la maison de nos voisins a été bombardée soudainement, je faisais cuire des lentilles. Je suis sortie avec mes enfants, pieds nus, pendant que la marmite bouillait encore sur le feu. L’explosion était assourdissante, la poussière partout. Je ne sais pas comment j’ai porté mon petit garçon de cinq ans et couru dehors. Depuis ce moment… il ne parle plus. »
Une autre femme parla d’une voix hésitante et d’un regard absent :
« C’est ma cinquième tente. Je l’installe pour la cinquième fois… Je passe d’un endroit à un autre comme si je cherchais mon âme parmi les ruines. Je ne compte plus les jours par dates, mais par les lieux où j’ai dormi. Ma seule valise est un sac noir rempli de souvenirs en miettes ; aucune photo n’a survécu, aucun miroir pour voir mon visage que je ne reconnais plus. Le froid me mord chaque nuit, et pourtant… chaque matin, j’allaite ma petite fille, et je lui chante doucement, comme si la guerre n’avait pas tout volé. Je chante… pour qu’elle n’entende pas ma voix pleurer. »
Des idées concrètes ont été proposées pour renforcer l’estime de soi : réserver un moment par jour pour prendre soin de soi, même s’il ne s’agit que de boire un thé en silence, ou écrire une phrase sur une feuille : « Je mérite de vivre. »
De petits papiers furent distribués, et chaque femme devait y écrire un souhait. Les papiers se remplirent de mots tels que :
— « Je veux une maison à moi seule »
— « Je veux dormir sans peur »
— « Je veux serrer mes enfants dans mes bras sans les compter après chaque bombardement »
La séance n’a pas tout réglé, mais elle fut un début. Un début pour construire un espace intérieur sécurisé au cœur d’une réalité impitoyable. Les femmes sont reparties chargées de récits, mais certaines tenaient dans leurs mains un petit papier sur lequel était écrit :
« Je suis plus forte que je ne le croyais. »
À une époque où les maisons tombent comme des feuilles mortes, et où les instants de paix sont arrachés des bras des mères, le soutien psychologique devient plus qu’une nécessité… c’est une bouée de sauvetage. Permettre aux femmes de parler, de respirer, de pleurer sans honte, est un acte de résistance face à l’effondrement.
C’est une graine de vie semée dans une terre épuisée par la guerre. À chaque atelier, une petite fenêtre s’ouvre vers la lumière, l’espoir renaît malgré les ruines, et la dignité que la guerre a tenté d’écraser est retrouvée. Et même si le chemin reste long, une parole sincère, une écoute bienveillante, ou un simple exercice de respiration… peuvent faire toute la différence entre l’effondrement et la résilience.
Car à Gaza, où la douleur est devenue une habitude, le soutien psychologique devient un pilier de la survie, et une histoire réécrite… non à l’encre, mais avec des larmes transformées en force.
Lien photos et vidéos
https://drive.google.com/drive/folders/1N-kG7Rb2LxHwe1yWBqZahEa71lRr0y7k
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