Chronique ” Gaza Urgence Déplacé.e.s” | Une fois de plus, Gaza revient sur la scène de l’exode

27 août 2025
Une Nakba continue

Le coeur du texte d’Abu Amir le 26 Août raconte l’exode perpétuel de Gaza, une Nakba continue ; quand la patrie se transforme en une valise ouverte sur l’inconnu.

Une fois de plus, Gaza revient sur la scène de l’exode, comme si l’errance avait été inscrite dans le destin éternel de ses habitants, un sort inéluctable dont nul ne peut se défaire. Comme si chaque famille palestinienne naissait déjà avec, dans sa valise, un billet pour un voyage forcé vers l’inconnu, un voyage qui commence par une course sous les bombardements et s’achève au bord d’une route, dans une terre vide, sans toit, sans mur et sans refuge. Du nord de Gaza, totalement vidé de ses habitants – Beit Lahia, Beit Hanoun et le camp de Jabalia transformés en villes fantômes où l’on n’entend plus que l’écho des murs détruits et des maisons incendiées – jusqu’aux quartiers de Zaytoun et Sabra, au sud de la ville de Gaza, où l’armée israélienne poursuit la démolition des maisons et l’effacement des quartiers morceau par morceau, comme si elle voulait déraciner la ville de son origine, la scène terrifiante se répète : un exode collectif qui arrache les hommes à leurs foyers, écrase leur mémoire et transforme leur vie en un voyage sans fin.
L’occupation israélienne applique une stratégie de tenaille : elle presse depuis le nord et le sud de la ville, avançant lentement vers son centre, comme si elle voulait étouffer les habitants pour ne leur laisser qu’un seul choix : l’exode vers le sud. Un exode qui ne porte plus l’espoir du retour, mais devient le signe d’une souffrance ouverte qui se renouvelle chaque jour.

Dans une étape encore plus grave qui ajoute au saignement de la douleur, des ordres d’évacuation ont été donnés aux hôpitaux de Gaza. Les médecins et les infirmiers ont été sommés de partir avec leurs équipements et ce qu’ils pouvaient emporter vers le sud de l’enclave, une scène qui équivaut à un crime accompli : fermer les hôpitaux revient à déclarer une mort collective pour les habitants de la ville, une tentative de liquider ce qui reste d’un système de santé qui lutte avec peine sous les bombardements et le siège. Ce scénario n’est pas nouveau : l’occupant avait déjà détruit toute l’infrastructure sanitaire dans le nord de la bande, fermé les hôpitaux et les cliniques, transformé les bâtiments médicaux en décombres, puis contraint les habitants à l’exode forcé. Aujourd’hui, il répète le même acte à Gaza-ville, la laissant sans soins, sans vie et sans habitants. La ville, autrefois cœur battant de la bande, se transforme peu à peu en cité déserte, vidée de son âme comme une maison privée de la chaleur de ses habitants.

Quant aux familles, surprises face à leur destin, elles répètent la même scène tragique : hommes, femmes et enfants marchent pieds nus sur les routes, portant ce qu’ils ont pu sauver d’affaires modestes, traînant derrière eux des charrettes usées chargées de matelas, de vêtements et d’ustensiles. Certains voyagent sur des charrettes tirées par des ânes, d’autres à pied, dans une marche de mort lente. Ces familles arrivent à Deir al-Balah et Nuseirat, étalent des nattes à même le sol et s’abritent sous le ciel. Les enfants pleurent sans cesse, affamés et effrayés, tandis que les mères retiennent leurs larmes en serrant leurs enfants contre leur poitrine, levant les yeux vers le ciel comme pour y chercher une réponse à la question douloureuse : où aller ensuite ? Quel avenir attend ces petits ? L’horizon qui se dessine n’est qu’un vide cruel, une étrangeté au sein même de leur patrie, un exil sans fin.

Le retour temporaire dont rêvaient les habitants du nord de la bande, après que l’occupant leur eut permis de regagner leurs zones détruites quelques semaines, s’est transformé en mirage. À peine avaient-ils tenté de reconstruire les vestiges de leur vie que l’occupant revenait détruire leur rêve une fois encore, les contraignant à fuir vers le sud. C’est une migration inverse, tragique, qui révèle l’âpreté d’une souffrance palestinienne ininterrompue, comme si cette terre refusait à ses habitants tout répit, les condamnant à une errance perpétuelle. Chaque fois qu’ils regagnent leurs foyers, ils se voient forcés de les abandonner à nouveau. Quelle vie peut naître sur des ruines toujours renouvelées ? Quelle douleur transforme le retour en exil, la stabilité en cauchemar et la maison en simple souvenir passager ?

L’occupation ne se contente pas du meurtre direct, elle insiste pour faire de l’exode lui-même une machine de torture lente. Elle sait que déraciner les gens de leurs foyers équivaut à les tuer plusieurs fois : tuer leur identité, tuer leur mémoire, tuer les détails de leur vie inestimable. Chaque maison détruite est l’histoire d’une famille, chaque quartier effacé est la chronique d’une vie entière anéantie, chaque hôpital fermé est une condamnation à mort pour des dizaines de malades en attente de soins ou de médicaments. Ce n’est pas seulement une guerre contre les hommes, mais une guerre contre la vie elle-même, contre la mémoire, contre l’avenir.

Au cœur de ce tableau sanglant, les enfants se tiennent en première ligne des victimes. Leurs petits visages, tachés de larmes d’exode, paraissent plus âgés que leurs années. Chacun porte dans son regard une nouvelle histoire d’exil, une histoire de peur, de privation et de faim, une histoire de mère qui pleure en silence, incapable de répondre quand son enfant lui demande : « Quand rentrons-nous à la maison, maman ? » Ces mères, qui fixent le vide en serrant leurs enfants, savent qu’elles n’ont pas de réponse et que le retour est repoussé à une date inconnue. Quant aux pères, leurs épaules ploient sous le poids de l’impuissance : incapables de protéger leurs familles, de garantir un morceau de pain ou un toit pour leurs enfants, ils se transforment en ombres silencieuses errant dans les rues, ne portant que le fardeau du désespoir et de la défaite.

C’est une scène qui suscite à la fois douleur et colère, un exode collectif qui se répète comme si le temps s’était figé à l’instant de la première Nakba, quand les Palestiniens furent arrachés à leur terre. Aujourd’hui, la scène se rejoue à l’identique, mais dans une version plus sauvage, une version où Israël pratique une politique de terre brûlée sans retenue, faisant de l’exode un instrument d’extermination douce, une méthode pour déraciner les Palestiniens de leurs villes et quartiers, étape par étape, jusqu’à ce que toute la bande ne soit plus que ruines. Pourtant, malgré cette tragédie ouverte, l’exode demeure un témoignage de la résilience palestinienne, de leur capacité à rester en vie malgré toutes les tentatives d’anéantissement, de leur détermination à porter leur identité même en étant dispersés à ciel ouvert.

L’exode à Gaza n’est pas un simple déplacement d’un lieu à un autre : c’est une blessure ouverte dans l’âme palestinienne, une blessure qui ne cicatrise pas car elle se répète à chaque génération, une blessure qui fait du Palestinien un être exilé dans sa propre patrie, condamné à partir encore et encore. Chaque vague d’exode est une reproduction de la Nakba, un rappel que l’occupation ne se contente pas de la terre mais veut écraser l’homme lui-même, le réduire à un être brisé et sans abri. Mais la paradoxe est que cet exode répété n’a pas tué la cause, il l’a rendue plus présente et plus enracinée dans la conscience de chaque Palestinien. Car chaque voyage d’exode porte en lui une détermination : cette terre est la nôtre, quoi qu’ils fassent pour nous en arracher.

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