« La démocratie, ça ne se joue pas le samedi après-midi »

18 mai 2019

C’est ce que E. Macron a annoncé ce vendredi 17 mai 2019, alors en déplacement à Biarritz dans le cadre de la préparation du prochain G7. Il entend ici que les gilets jaunes, ce mouvement social inédit qui évolue en France en réaction à sa politique, n’ont pas à être dans les rues. Pour lui, les Gilets Jaunes feraient mieux de participer au système électoral en présentant un programme et se faire élire s’ils ne sont pas contents.

Ce mépris du président envers ces personnes démontre bien la perspective antisociale et antidémocratique des élites politiques, sujettes aux élites économiques. On y voit aussi la continuité avec les personnages politiques qui ont aussi fustigé les mouvements sociaux tel que Sarkozy, Valls, etc.

Tout commence dès que, pour l’élite politique bourgeoise, le mouvement se politise. En effet, beaucoup de politiques, notamment de droite ont décrié le fait que les personnes qui composent ce mouvement se politisent alors qu’elles se sont dites apolitiques.

D’un côté, il y a un abus de langage car les gilets jaunes touchent à une multitude de sujets politiques. Ils ont surtout un sentiment apartisan puisqu’ils ne se retrouvent dans aucun des partis participants à la compétition politique de la démocratie bourgeoise. Ils les voient comme une caste à part et ne veulent pas voir leur mouvement récupéré par celle-ci.

De l’autre, dans l’apolitisme qu’ils annoncent, c’est avant tout un moyen d’exprimer un détachement de la politique classique. Ils ont bien compris que la démocratie représentative représente tous les intérêts sauf l’intérêt populaire. Ils ont besoin qu’on les entende directement, sans qu’il y ait un intermédiaire qui déforme ou manipule leurs propos. Un renouveau politique sur des bases horizontales se fait sentir grâce à ce mouvement.

Ce qui est problématique, dans ce genre de déclaration tenu par le président, c’est le fait de dramatiser et de rendre négatif le processus de politisation des citoyens. Il est normal que des citoyens dans un système  politique se politisent afin d’y participer. C’est particulier de considérer anormal ou mauvais la politisation alors que nous connaissons une crise du politique, de la politique, du système politique. La contradiction qui apparaît veut que les élites politiques souffrent d’un manque de légitimité, puisque leur base électorale fond par désintérêt de la politique perçue comme corrompue, mais qu’en même temps, les élites politiques se dressent contre la politisation des citoyens qui leur donne de la matière pour étoffer la critique qu’ils ont du système. N’est-ce pas plutôt une façon détournée des élites politiques de nous dire que c’est mieux quand les gens n’ont pas conscience de ce qu’il se passe ? Que c’est mieux pour ces élites lorsque les citoyens se contentent de voter pour maintenir l’illusion d’une démocratie qui agirait dans leur intérêt ? Que, pour eux, ce n’est pas au peuple de décider de ce qui est bon pour lui car il ne possèderait pas assez de ressources culturelles à cette fin ? Aristocratie, quand tu nous tiens … 

Viens s’ajouter à cela et aux nombreuses revendications sociales et économiques du moment (se résumant très sommairement à une meilleure qualité de vie, une meilleure écoute de leurs revendications ainsi qu’un système bien plus démocratique) une volonté de rompre avec le système actuel. La révolution est appelée par tous les gilets jaunes comme on peut souvent l’entendre dans les manifestations et le lire sur les réseaux. Des moyens spectaculaires et beaucoup plus violent qu’une simple manifestation balade-merguez sont employés. Ca a le mérite d’interpeler le pouvoir publique qui s’oblige à trouver une réponse à donner aux problématiques soulevées. D’abord des clopinettes pour calmer le jeu puis de la répression pour museler la contestation grandissante et insatisfaite. Cette insurrection encore dans l’œuf fait peur aux détenteurs du pouvoir puisque aujourd’hui, la contestation se dote de moyens pour s’attaquer à la société capitaliste et à l’ordre établi. Ces moyens sont aussi utiles pour répondre aux violences des forces de l’ordre, représentation physique de l’État par des individus payés pour tuer, mutiler, briser toute personne contestataire afin de maintenir l’ordre établie et perpétuer la société capitaliste (justifiant ainsi que l’on ne puisse pas attendre qu’ils nous rejoignent). Au final, il ne reste plus tellement de moyens pour se faire entendre. Une bonne partie n’a plus rien à perdre parce qu’on leur a déjà tout pris. La violence qui en échappe est qu’un cri de désespoir envers cette société malade mais aussi un cri d’espoir et de ralliement pour l’avènement d’une société nouvelle. Un changement est possible et nécessaire mais beaucoup n’osent pas se lancer par soucis de se défaire du peu de confort qu’ils possèdent. Quand tous réaliseront qu’ils n’ont que leurs chaînes à perdre, l’Etat bourgeois tombera et le départ d’une nouvelle société sera possible.

Ainsi, les samedis pourraient être plus calmes si les gilets jaunes étaient entendus. Les samedis pourraient se dérouler sans incidents si les forces de l’ordre ne faisaient pas usage de la force. Les samedis n’auraient même pas lieux si la société était plus progressiste, plus juste, plus solidaire. Mais ce n’est pas le cas. D’autres choix comme celui de l’inégalité, des fausses réponses, de la répression et de l’enrichissement personnel ont été pris.

C’est donc vrai : les samedis ne sont pas les moments pour faire le jeu de la démocratie bourgeoise. Les samedis sont des moments d’insurrection. Les samedis doivent permettre notre émancipation. Les samedis sont les points de départ du changement.

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La répression en marche (dessin)