Socialisme ou Macronie : réponse à l’éditorial du 31 mars

7 avril 2020
Pour Bruno Le Maire, ministre de l'économie, les nationalisations envisagées auront pour « but de protéger les grandes entreprises françaises »

Cet article rédigé par un des membres de la rédaction du Poing a été publié sur l’Agora car une partie de la rédaction insiste sur le caractère ironique de l’éditorial en question.

Le mardi 31 mars paraissait dans les colonnes du Poing un édito intitulé « Il faut un nouveau capitalisme : épidémie de socialisme dans la Macronie ». Au cœur de ce papier, différentes annonces et déclarations de l’exécutif relatives aux mesures économiques exceptionnelles liées à l’épidémie de Covid-19 et à la crise qu’elle génère. Certaines d’entre elles sont présentées sous un jour favorable : face à l’inadaptation du marché dérégulé, l’État prendrait simplement des mesures de bon sens pour limiter la casse. « Il se passe quelque chose », nous dit-on, qui « sera difficile à assumer par nos dirigeants ». Les possibles nationalisations, réquisitions, et interdictions de licenciements seraient le signe que face à une telle crise, l’État bourgeois n’a d’autre choix que de mettre le holà, freiner un peu le capitalisme, le rendre « plus respectueux des personnes » et « soucieux de lutter contre les inégalités », selon l’expression de notre ministre de l’économie, qui constitue l’introduction dudit édito. Idée que, feignant de s’en moquer, l’auteur finit par justifier malgré lui. Bien sûr nous dit-on, le gouvernement ne s’est pas découvert une « soudaine passion soviétique » ; à côté de ces mesures, figurent d’autres qui, elles, « se situent dans la pure continuité de l’idéologie libérale des Marcheurs » : on continue à envoyer les travailleurs à leur besogne malgré le risque sanitaire et on liquide le Code du Travail par ordonnances. Mais tout de même, l’impact de l’épidémie de coronavirus sur l’économie est tel qu’il aurait provoqué une « épidémie de socialisme en Macronie ».

Nous nous inscrirons ici en opposition à cette analyse. Les quatre mesures mises en avant (nationalisations, réquisitions, interdiction de licenciements et non versement des dividendes) nous les voyons, elles aussi, dans la pure continuité de la politique antisociale du gouvernement, qui n’a d’autre objectif que de sauvegarder le mode de production capitaliste.

Le non-versement des dividendes : pas de cadeau ?

Il convient tout d’abord de signaler qu’à l’heure actuelle, aucune mesure contraignante n’a été prise en ce sens. En revanche, Bruno Le Maire a su se montrer persuasif : les entreprises qui verseront des dividendes à leurs actionnaires devront rembourser les aides exceptionnelles déployées pour cause de coronavirus, avec des intérêts, et ne pourront obtenir de prêt avec la garantie de l’État. En somme, le gouvernement conditionne ses cadeaux aux entreprises au non-versement des dividendes.

De plus, face à l’avantage indéniable que peut représenter un report de charges fiscales et sociales et un prêt garanti par l’état, quel sacrifice représente le non-versement de dividendes ? Notons bien que la « redistribution » des bénéfices sous forme de dividendes n’est pas nécessairement le signe de l’efficacité du système capitaliste. Il s’agit bien souvent d’un renoncement à investir, d’un renoncement, donc, pour l’individu capitaliste, à persévérer dans le schéma d’accumulation du capital. Preuve de l’état catastrophique de l’économie capitaliste. Rappelons également que les dividendes représentent le revenu personnel de l’individu capitaliste, une part de la valeur qu’il arrache au labeur du prolétaire. Leur non-versement permet à l’entreprise d’adjoindre cette manne à son capital et donc d’assurer une meilleure reprise dès lors qu’elle sera possible. En « sacrifiant » son dividende, le bourgeois se sacrifie pour lui-même. Et bénéficie des aides d’État, qui créé pour lui les conditions favorables à la réalisation de profit au détriment du prolétariat.

Pour des informations plus poussées sur la question des dividendes, lisez cet article.

Réquisition ou poursuite d’activité ?

Le mot sonne bien, on croirait presque entendre expropriation ou, encore plus naïf, socialisation. Mais la réquisition est encadrée par le droit bourgeois qui, comme toujours, est plein de respect pour la propriété privée des moyens de production. La loi (Art. L. 2215-1- 4° du Code général des collectivités territoriales) stipule que l’État, s’il réquisitionne une entreprise, lui doit « rétribution », qui doit « compenser les frais matériels directs et certains » résultants de ladite réquisition. Encore mieux, « dans le cas d’une réquisition adressée à une entreprise, lorsque la prestation requise est de même nature que celles habituellement fournies à la clientèle, le montant de la rétribution est calculée d’après le prix commercial normal et licite de la prestation ». Qu’en conclure ? S’il est bien entendu utile de réquisitionner des pans de l’industrie pour produire les masques et matériels qui manquent cruellement aux travailleurs dans ce contexte de crise sanitaire, il n’y a pas là matière à applaudir au socialisme : non seulement cela ne remet pas en cause les rapports de production existants, mais dans ce contexte d’arrêt de la production cela peut même représenter une aubaine pour la poursuite d’activité de certaines entreprises et, par conséquent, pour le maintien d’un certain chiffre d’affaire. Payée encore une fois avec les deniers publics, les nôtres. Preuve en est que LVMH a reconverti ses usines de parfums en usines de gel hydroalcoolique avant même que l’on parle de réquisitions. Plus facile à vendre dans ce contexte. Et si cette entreprise avait été réquisitionnée, son chiffre d’affaire n’aurait pas baissé d’un centime.

Licenciements contre chômage partiel

Nous serons rapides sur ce point, étant donné qu’Édouard Philippe a lui-même démenti l’intention du gouvernement d’interdire les licenciements. Ceci dit la proposition vaut le détour tant elle peut paraître trompeuse. L’interdiction des licenciements le temps du confinement n’aurait pas été un désastre pour la bourgeoisie et ses profits. L’une des premières mesures du gouvernement à destination de l’emploi a été d’étendre le chômage partiel pour que presque toutes les entreprises puissent en bénéficier. Ainsi, le temps de la crise, les salaires (minorés à 85 %) des travailleurs ne pouvant pas travailler sont pris en charge par l’État et non plus par l’employeur. Aucun besoin de licencier donc, et on s’épargne même les indemnités de licenciement que doit toute entreprise à ses salariés dans le cas de licenciements pour toute autre raison qu’une faute grave. Mieux vaut pour les entreprises mettre leurs employés au chômage partiel et attendre de voir l’état de leurs finances lors de la reprise de l’activité pour envisager la suite. Si les bénéfices manquent, il sera toujours possible de licencier à ce moment là, et ne pas le faire avant n’aura pas coûté quoi que ce soit aux patrons.

Nationaliser les pertes

La question des nationalisations est la plus complexe et la plus tendue de celles qui nous occupent. Le gouvernement a en effet annoncé qu’il n’excluait pas des nationalisations dans le cadre de la crise. Une liste d’entreprises serait déjà prête à Bercy, en cas de besoin. La même réflexion que pour les réquisitions s’impose ici : si le mot de nationalisation est doux à l’oreille des socialistes que nous sommes, il ne faut pas s’y tromper. Il y a nationalisation et nationalisation. Et celles que prévoit le gouvernement ne sont, selon les termes mêmes du MEDEF, pas « illogiques ». Comprendre : elles s’inscrivent dans la logique de la sauvegarde du mode de production capitaliste.

Qu’entend-on par nationalisation ? Il s’agit pour l’État de prendre possession de plus de 50 % du capital d’une entreprise. Pour cela il est nécessaire de faire voter une loi, laquelle prévoit obligatoirement l’indemnisation des actionnaires. Il s’agit donc, vu d’un certain angle, d’une simple opération d’achat, forcée certes, d’actifs par l’État dans une entreprise. Dans ce contexte particulier, quel est le sens de telles mesures ? Les nationalisations envisagées auront pour « but de protéger les grandes entreprises françaises », dixit notre ministre de l’économie. Pour le plus grand bonheur de G. de Roux de Bézieux, président du MEDEF, qui déclarait le 23 mars sur France Info à ce propos : « Bien sûr. Il ne faut pas avoir de tabous en la matière. […] Il faudra effectivement que l’État soit là si besoin pour venir au secours des entreprises qui seraient dans une situation financière très difficile. » Effectivement, la crise est dure pour certaines entreprises, même les plus grosses. À cause de l’arrêt de la production, qui ne signifie pas l’arrêt de certains frais fixes, certaines d’entre elles enregistrent des pertes records, les liquidités commencent à manquer. La reprise pourrait être, pour elles, difficile voire impossible. Elle nécessiterait un déploiement de fonds considérable, à perte pendant longtemps. Les investisseurs privés ne veulent ou ne peuvent tout simplement pas réaliser cet effort, qui n’est rentable qu’à long terme et qui, dans les cas les plus difficiles, comporte le risque d’un échec de la relance. C’est là qu’intervient la nationalisation : en devenant actionnaire majoritaire de telles entreprises, c’est l’État qui assume cet effort et ce risque. Avec les deniers publics, c’est-à-dire avec l’argent du prolétariat. Et bien entendu, pas question d’en empocher les bénéfices ! Bruno Le Maire l’a bien précisé ce vendredi 3 avril : les nationalisations sont à durée limitée. Dès lors que les entreprises dont l’État aura pris le contrôle redeviendront viables et rentables, les parts de ces dernières seront revendues. De quoi se rembourser un peu, mais certainement pas à hauteur de l’investissement. Il s’agit donc, selon l’expression consacrée, de socialiser les pertes pour privatiser les profits. Bien loin du socialisme.

Qu’avons nous appris ? Que contrairement à ce que cherche à démontrer l’édito du 31 mars, il n’y a aucune « épidémie de socialisme en Macronie ». La bourgeoisie et son gouvernement restent fidèles à eux-mêmes. Le capitalisme n’est pas remis en cause d’un iota. Toutes les mesures prises ou envisagées par l’exécutif n’ont qu’un horizon : la sauvegarde du mode de production capitaliste et le maintien, au maximum, des profits de la bourgeoisie, au prix de la sueur du prolétariat. Ce serait se fourvoyer que de penser que, si cette crise expose bel et bien les contradictions du mode de production capitaliste, elle pousse naturellement l’État bourgeois à prendre les mesures de régulation qui s’imposent. Au contraire, il persévère dans sa logique de classe, qui s’exprime dans les injonctions, forcées, à ne « pas arrêter le pays ».

Cette persévérance ne s’exprime pas uniquement, ni même principalement, dans les points que nous avons explicités. Le gouvernement tient son rôle par des attaques inédites contre les droits des travailleurs. Si ces attaques ne datent pas de l’état d’urgence sanitaire – citons pour exemple la réforme des retraites- ni même du mandat d’Emmanuel Macron, elles connaissent avec lui une accélération et une prise de puissance incroyable. Ayant, grâce à lui, la possibilité de légiférer sans contrôle parlementaire, fantoche de toute façon, et sans opposition des dirigeants des organisations syndicales, qui refusent de briser l’union nationale en refusant d’appeler à l’abrogation de la loi d’état d’urgence sanitaire, l’exécutif a pris des ordonnances (décortiquées dans cet article du Poing ) limitant de fait le droit de grève, permettant aux employeurs d’imposer à leurs salariés de déposer leurs congés payés et leurs RTT pendant le confinement, mettant fin aux 35 heures et au repos dominical.

Ne nous y trompons pas : la période qui s’ouvre n’est qu’un nouvel épisode de la lutte des classes, dans lequel le prolétariat subit et va subir des attaques d’une rare ampleur.

Et soulignons au passage qu’il n’y a de réquisitions ou nationalisations qui vaillent que celles qui entraînent le contrôle ouvrier sur les moyens de production, sans contrepartie aucune. Toute autre revendication, telles que celles portées par l’ensemble des partis de « gauche » et par les directions syndicales, ne ferait que s’inscrire dans le cadre de l’union nationale, alors que, justement, si cette crise démontre bien une chose, c’est que la nécessité du socialisme est une question brûlante d’actualité.

Damas pour Le Poing

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