Témoignages de Gazaouis : la survie s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – parties 77 et 78 / 11 et 12 mai

14 mai 2024

Brigitte Challande, journaliste montpelliéraine, recueille régulièrement depuis le début de l’attaque de l’armée israélienne des témoignages de civil.es palestinien.nes, également publiés sur les sites de l’International Solidarity Mouvement (ISM) et d’Altermidi. Les récits envoyés quotidiennement à Brigitte Challande par Abu Amir et Marsel prennent leur source dans une observation documentée à la fois sur le terrain et à partir de différentes déclarations officielles ou médiatiques.

 

Brigitte Challande, 12 mai 2024. Au retour des 24h de l’occupation de la Place de la Comédie, à Montpellier (les 10 et 11 mai), pour un cessez-le-feu immédiat et contre l’intervention israélienne à Rafah, je trouve ce texte d’Abu Amir :

« La réalité des opérations israéliennes et l’attentisme de la communauté internationale

Les médias israéliens et internationaux ont rapporté que selon l’occupant, l’invasion de Rafah était une opération limitée de l’armée d’occupation. Mais ce que nous voyons et entendons est différent, car l’occupant a annoncé sa décision d’étendre la portée de ses ‘opérations’ militaires et a demandé aux habitants d’évacuer de nouveaux quartiers de Rafah. L’armée d’occupation a également lancé un avertissement urgent aux habitants de la zone de Jabalia et des quartiers environnants, ainsi que de la zone de Beit Lahia, leur demandant d’évacuer ces zones le plus rapidement possible et de se diriger vers la zone « sûre » située à l’ouest de Gaza-ville. Les bombardements se poursuivent sur toutes les zones de Gaza sans exception, et il y a des dizaines de morts et de blessés. L’occupant a également averti l’hôpital koweïtien qu’il fallait évacuer cet hôpital qui est le dernier à fonctionner à Rafah.

Aujourd’hui, je me suis rendu à Rafah pour transporter un ami et sa famille de Rafah à Deir al-Balah, en raison du manque de voitures et du coût élevé du transport. Mon ami vivait à Gaza-ville avant le 17 octobre, et depuis le début de l’agression, il a déménagé pour vivre avec sa famille dans la ville de Rafah, plus précisément dans le camp de Yabna, au centre de Rafah. Depuis l’invasion de la ville, il a décidé de se rendre dans la zone de Mawasi Rafah et y est resté deux jours, mais il a été surpris par le départ des personnes déplacées de cette zone, et en quelques heures, la zone était presque vide. Lorsque je suis arrivé, j’ai été surpris de constater que la plupart des tentes avaient été enlevées. La zone de Mawasi Rafah est considérée comme une zone sûre, selon la classification de l’armée d’occupation. Mais la population ne fait plus confiance aux déclarations et aux promesses.

De quoi parlons-nous ?

Depuis le début de l’agression contre notre secteur bien-aimé, nous parlons de massacres, de tueries et de déplacements. C’est devenu un programme quotidien imposé aux habitants de la bande de Gaza. J’ai été étonné par la position ridicule adoptée par la communauté internationale, faite de dénonciations et de déclarations sans intérêt et inutiles. La communauté internationale attend-elle l’anéantissement de la population de la bande de Gaza pour forcer l’occupant à cesser le feu ? Oui, ce génocide a bel et bien eu lieu. La communauté internationale attend-elle que des crimes de guerre soient commis à Gaza ? Oui, de nombreux crimes de guerre ont été commis et des charniers sont constamment découverts.

À partir d’aujourd’hui, nous ne devons pas seulement parler des crimes de l’occupant, mais nous devons aussi parler de ceux qui le soutiennent et de ceux qui façonnent sa politique. Le monde regarde Gaza comme le spectateur d’une série ou d’un film historique qu’il regarde et qu’il oublie une fois la série terminée.

Non, Messieurs, il ne s’agit pas d’une série ou d’un film. Il s’agit d’un peuple soumis à un génocide. Vous qui appelez à l’humanité, aux droits de l’homme, au droit des enfants à vivre et à la liberté des femmes, tout cela a été tué et brûlé sous les yeux du monde, et tout ce que vous avez dit jusqu’à présent ne sont que des banalités auxquelles l’occupant n’a pas prêté attention. »

Brigitte Challande, 13 mai 2024. Le 12 mai au soir, nous recevons des nouvelles de Marsel : « Bonsoir camarades, nous allons toujours bien, selon le concept palestinien de l’expression “nous allons toujours bien”.

Après le déplacement de la majorité de la population de Rafah à la suite de bombardements aveugles et de déplacements forcés, la situation humanitaire est devenue inimaginablement catastrophique, comme le montrent les tweets des habitants du Gouvernorat du Nord et leurs menaces d’expulsion.

Nous travaillons pendant cette période à évaluer les énormes besoins de la population, et à identifier les besoins les plus urgents et les plus vitaux, ceux qui contribuent à sauver la vie des personnes déplacées à la lumière de ces conditions tragiques, qui imposeront sur nous la nature de l’intervention d’urgence en plus de poursuivre les activités du cinéma ambulant du camp. Nous sommes confrontés à un problème avec Internet, qui s’ajoute au reste des problèmes tels que l’eau, la nourriture, l’accumulation d’ordures, le manque de places pour les nouvelles personnes déplacées et bien d’autres problèmes… »

Dans un échange régulier avec Abu Amir, il fait le bilan de la situation aujourd’hui 13 mai. Depuis plus de 7 mois nous assistons à ce génocide, jusqu’à quand allons nous accepter ?

« La guerre contre Gaza en est à son 220ème jour : martyrs, blessés et déplacements continus…

L’intensité des bombardements israéliens continus s’intensifie dans diverses zones de la bande de Gaza, en particulier dans le gouvernorat de Rafah, au sud de la bande de Gaza et à Jabalia, au nord, et dans diverses zones du territoire : en particulier à l’est, dans la ville de Rafah et son passage, et à l’est du camp de réfugiés de Jabalia, où l’armée d’occupation a fait sauter des blocs résidentiels entiers, et plusieurs bâtiments à l’est de Rafah.

Cela survient alors que l’armée d’occupation a étendu aujourd’hui ses attaques sur diverses zones de la bande et que la guerre contre Gaza entre dans son 220e jour ; les forces d’occupation israéliennes ont commencé à pénétrer dans la région de Jabalia et l’aviation israélienne a également étendu ses raids sur le nord et le centre de la bande de Gaza, et les bombardements ont touché des dizaines de maisons dans le camp de Nuseirat, au milieu de la bande.

Annonce du Ministère de la santé de Gaza : Le bilan des martyrs et des blessés dus à l’agression israélienne en cours s’élève à 35.034 martyrs et 78.755 blessés depuis le 7 octobre 2023.

Sur le plan humanitaire : L’armée d’occupation continue ses bombardements contre les civils alors que la vague de déplacements de la ville de Rafah se poursuit pour le quatrième jour consécutif dans des conditions inhumaines.

Pendant ce temps, les déplacés ne savent pas où ils iront, compte tenu de la densité de population dans les camps de déplacés et dans les zones que l’armée d’occupation israélienne a récemment identifiées, affirmant qu’elles sont « en sécurité ».

La crise humanitaire s’aggrave, notamment avec la la fermeture des passages, la pénurie de vivres et l’incapacité de l’UNRWA et des institutions internationales à apporter de l’aide en raison de la fermeture des passages, ce qui a provoqué une flambée des prix sur les marchés, augmentant ainsi les souffrances de la population de Gaza de façon exponentielle. »

Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel sur les sites d’Altermidi et de l’ISM.

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se concacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’Union des Juifs Français pour la Paix (UJFP) en France.

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