« Une joie revancharde » | Poing de vue d’un manifestant sur le 1er mai à Montpellier

Au cœur de la manifestation du 1^er mai à Montpellier, deux journalistes du Poing, pas bien sûr qu’une personne de la rédaction soit mandatée pour écrire le récit de la journée, interrogèrent une connaissance : – « Et toi, ça ne te dis pas d’écrire », – « Ben si ». Et c’est parti :

1^er mai 2023, Place Albert 1^er – Montpellier. Après des semaines de luttes, diverses et cohérentes à la fois, si doutes et morosité avaient gagné quelques esprits fatigués, enfin rayonnait le Soleil dans une ambiance festive. Face à un gouvernement déterminé à imposer à coup de LBD, grenades et 49.3 une énième réforme antisociale, sans perdre leur sang froid, tous les gens ayant le cœur à gauche défilèrent avec bonne humeur. D’une joie revancharde. Même si colères et engagements se manifestèrent de différentes manières.

10H29. Devant le Quartier Généreux s’animait avec toujours plus d’entrain un atelier de préparation de pancartes, tandis qu’une batucada se préparait à faire danser jeunes et vieux. Bien alignés, le cortège syndical entamait sa traditionnelle procession en s’élevant vers le Peyrou. Les dominants devant et les moins puissants derrière. Bien que la Police redoutait surtout le Black Block, en formation plus en arrière. Restait à voir quand et comment la colère s’exprimerait. Pour le moment, l’absence de force de l’ordre garantissait un maintien de la paix, et, d’une ferveur quasi religieuse, le défilé poursuivit son ascension. Alors que quelques révoltés collaient ici et là des affiches anticapitalistes, les mêmes chants et les mêmes slogans étaient scandés par une majorité revivant tranquillement les mêmes scènes. Une routine régulière représentant pour certains la signification matérialisée de l’impuissance d’une puissance syndicale encore trop idolâtrée, et dont les entreprises des icônes les dirigeants avaient de quoi questionner, quant aux stratégies de luttes à adopter en cette troisième décennie du 21ème siècle. Mais le temps de la marche était ici à la cohésion joyeuse. Après tout, l’illusoire espoir d’une victoire syndicale était encore perceptible dans les croyances et discours des plus convaincus. Pour le reste, la faute en reviendrait à tout ceux et celles qui ne s’étaient pas mobilisés. Question de responsabilité individuelle et non collective, ni structurelle. Le gouvernement aime cet état d’esprit atomiste culpabilisant son prochain, et dont les dominants détiennent le secret par quels biais l’activer. Au travers de médias d’État, le réactiver afin de diviser pour mieux régner, autant que faire se peut en nos esprits ayant profondément intériorisés ces mécanismes rhétoriques collectivement peu structurant. Mais nous sommes nombreuses et nombreux à progressivement déconstruire ces schèmes limitant nos facultés à nous organiser.

Imaginons un peu l’ennui de ces keufs qui, confinés entre un gyrophare et des flammes tricolores, statuent près du Peyrou. Sûrement aussi blasés que lassés de voir défiler les mêmes gens depuis des années, que peuvent-ils bien se dire dans l’espace clôt qui les contient ? Un réfractaire curieusement empathique alla leur demander en toquant fortement sur leur capot, suivit de jets de projectiles envers ces représentants de l’État, soudainement très seuls face à des centaines de gens en ayant gros sur la patate. Enfin la colère populaire approchait, touchait ce pouvoir intouchable, d’autant plus inaccessible que les corps intermédiaires étaient sciemment démolis, et que la case des services publics s’était accélérée sous le règne de Manu 1er. La flicaille s’effaça rapidement, mais l’impulsivité donnée à des cordes très sensibles libéra la colère dans une autre forme de manifestation, plus destructrice.

Les vitrines de quelques banques impopulaires et autres assurances peu rassurantes se fissurèrent dans la galvanisation d’années de frustration, à extérioriser pour ne pas imploser. Une catharsis organisée à l’abri de parapluie, pour le plaisir des yeux des plus frileux, dans le spectacle d’une destruction orchestrée. A qui récupérera qui dans la grande hystérie médiatique ? Ici, les dégâts infligés à l’arrêt de tram Observatoire réveillèrent les tendances moralisatrices de quelques bourgeois, peut-être inquiets que leurs chers impôts servent à payer les réparations, ou juste incapables de comprendre la légitimité d’une telle violence. Habituellement, c’est la police qui détient ce droit, ce pouvoir de meurtrir sans avoir à s’en justifier aucunement.

Après quelques engueulades entre corps et esprits aux sociologies inconciliablement différentes, bien que confrontés aux mêmes violences étatiques dans des champs restreignant les libertés de tous, la police intervint en jouant une carte interdite : la nasse. Afin d’isoler les éléments les plus radicaux, une poignée d’hommes casqués coupa le cortège en deux, au niveau de l’arrêt Gare Saint-Roch. Sans surprise, la confrontation mena à une petite pluie de gaz. Une diversion en aval, qui, tandis que les manifestants refluaient sans courir (jeunes, vieux et enfants confondus), permit à une ligne de boucliers de couper le cortège en amont. Entre les deux cordons armés, un camion syndical et la majorité du block.

D’une situation on ne peut plus explosive, un policier côté Saint-Roch s’empressa de faire signe au camion d’avancer. L’appel d’air libéra un espace mettant à nu des personnes, qui revêtirent de beaux habits, tandis que le chauffeur comprit qu’il ne fallait pas toujours suivre les ordres venant d’autorité n’allant pas dans le même sens que la lutte initialement défendue. Continuant de presser la foule en avant, l’ordre fut donné aux policiers de cesser leur bain de foule, l’impression de maintien de l’ordre étant peut-être validée par la hiérarchie, ou au contraire le simulacre ne pouvait durer, tant la situation au niveau du carrefour devenait absurde et contre productive. Bref, la manif’ se poursuivit en direction de la Comédie. Puis jusqu’à la pref’, où la batucada finit d’égayer cette matinée ensoleillée.

Si l’incertitude perdure quant au retrait de la réforme, tout en maintenant la pression sur le gouvernement, il est toujours temps de continuer à questionner les stratégies de luttes actuelles, anciennes et nouvelles, dans toutes leurs différences et structures pyramidales pour les plus grosses organisations. Non pas qu’il faille composer sans les uns ou qu’avec les autres, mais plutôt comment ensemble horizontalement coordonner les multiples stratégies, afin de faire converger nos puissances d’action. Et ce au-delà de différences d’approches, de visions, d’imaginaires et de manières de faire, qui dans le fond aspirent toutes à préserver les services publics, pour que la majorité puisse décemment vivre. Pour ce qui est de comment procéder, pour commencer, libre à nous toutes et tous de nous ouvrir vraiment aux avis d’autrui. Et une fois dépasser ce « putain de facteur humain », ne resterait qu’à construire en étant plutôt pour que contre. En osant l’utopie rêvée. Encore et encore.

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