Archives - International 3 février 2015

Boko Haram : la misère et la corruption aux racines du terrorisme

ScanPointLa vaste offensive meurtrière des soldats de Boko Haram dans le nord du Nigeria s’étant déroulée le jour de l’agression contre la rédaction de Charlie Hebdo, cet événement tragique a été largement occulté par la plupart des dirigeants politiques du monde entier, y compris africains. Il serait néanmoins illusoire d’expliquer ce silence partagé uniquement par le retentissement des attentats parisiens. En réalité, si cela fait bien longtemps que la décomposition politique du Nigeria n’attire plus l’attention, c’est parce que cette situation sert les intérêts d’investisseurs étrangers peu scrupuleux, et de certains politiciens nigérians avides de pouvoir – surtout à l’approche des élections présidentielles de 2015.

Première puissance démographique et économique africaine, le Nigeria attire depuis longtemps les industriels occidentaux alléchés par l’odeur des impressionnantes réserves pétrolières(1). Il n’aura cependant échappé à personne qu’à ce vaste jeu de pillage des ressources naturelles, les dirigeants Chinois semblent désormais tout à fait résolus à y jouer un rôle actif, trop heureux de concurrencer leur rival américain(2). C’est dans cet état d’esprit que l’ancien Président Hu Jintao s’est rendu au Nigeria en 2006, et il a visiblement été convaincant puisqu’à l’issue de cette rencontre, son homologue nigérian avait alors déclaré : « Nous souhaiterons que la Chine dirige le monde et quand ce sera le cas, nous voulons être juste derrière »(3). Les milliards investis par Pékin ne sont pas passés inaperçus, et l’Etat-major américain a dès lors renforcé sa présence en Afrique(4).

Devenu ainsi un véritable terrain de jeu pour les multinationales, le Nigeria s’enlise alors dans un système de corruption généralisé au sein duquel différents clans s’affrontent sans fin pour s’accaparer la manne pétrolière(5). L’éternel perdant de ce pillage institutionnalisé demeure bien évidemment le peuple ; deux tiers des Nigérians gagnent moins de deux dollars par jour, et leur espérance de vie stagne à 52 ans(6). Privé d’or noir, les populations du nord subissent encore davantage la pauvreté, et en particulier les femmes ; 80% d’entre elles savent lire dans le sud, contre moins d’un quart dans le nord-est(7). Et c’est précisément dans cette région que la secte Boko Haram a vu le jour en 2002, ses fondateurs ayant bien compris que l’analphabétisme et la misère constituent un terreau fertile pour le recrutement de mercenaires n’ayant plus rien à perdre.

Se nourrissant des désillusions de la population, l’action de la secte s’apparente dans un premier temps à une véritable insurrection sociale basée sur une sorte de théologie de la libération en faveur des exclus de la croissance. D’ailleurs, lorsque leurs dirigeants mettent en avant des aspects religieux, comme la stricte application de la charia, c’est davantage pour dénoncer les ravages économiques du modèle occidental que par souci d’endoctrinement islamique. Comme le résume fort bien Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur au CNRS, il s’avère effectivement que « le mouvement Boko Haram est un révélateur du politique, non parce qu’il est porteur d’un projet de société islamique, mais parce qu’il catalyse les angoisses d’une nation inachevée et dévoile les intrigues d’un pouvoir mal légitimé »(8).

Rien ne prédestinait donc cette organisation à se livrer au terrorisme et au fanatisme religieux, et force est de constater que la répression féroce exercée par le gouvernement central est largement responsable de ce processus de radicalisation. La situation dégénère surtout à partir de 2009 lorsque l’armée lance une grande offensive contre les partisans de Boko Haram et exécute arbitrairement leur chef, Muhamed Yusuf(9). Dès lors, le nord du Nigeria sombre dans un cycle de représailles mortelles où les attentats-suicides de la secte viennent répondre aux exactions commises par l’armée nigériane. La ville de Baga est celle qui symbolise le mieux ce déferlement de violence : incendiée en 2013 par les forces de sécurité, ses habitants seront finalement décimés par Boko Haram début janvier 2015(10).

Ces massacres ne semblent pourtant pas déranger outre mesure l’actuel président nigérian, Goodluck Jonathan, qui semble bel et bien déterminé à exploiter et entretenir cette situation chaotique pour remporter les prochaines élections présidentielles et législatives de 2015. Il a toujours considéré les populations du nord comme lui étant hostiles, et préfère donc que le terrorisme les empêche de voter plutôt qu’un important bastion électoral d’opposition se constitue(11).

À l’heure où ces conflits meurtriers dépassent les seules frontières du Nigeria sans qu’aucune solution politique ne soit envisagée, espérons au moins que ces événements tragiques servent de leçon d’humilité à nos élites médiatiques qui ne cessent de nous faire croire que le principal problème de la France serait le terrorisme et l’insécurité.

Jules Panetier

(1) PARAULT Benoit. Le pétrole au Nigeria : un instrument au service de quel développement ?. Paris : L’Harmattan (1970)
(2) « Pourquoi les Etats-Unis sont devancés par la Chine en Afrique », Le Figaro, le 8 août 2014
(3) « La boulimie pétrolière de Hu Jintao », Radio France International, le 27 avril 2006
(4) La création en 2008 du Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) en est l’exemple le plus probant.
(5) « WikiLeaks : la corruption au Nigeria décortiquée par la compagnie Shell », Le Monde, le 8 décembre 2010
(6) « Nigeria Statistics », Unicef.org
(7) « Comment Boko Haram prospère sur les inégalités, l’analphabétisme, la corruption et l’arbitraire », Bastamag.net, le 16 janvier 2015
(8) « Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigeria : insurrection religieuse, contestation politique ou protestation sociale ? », Centre d’études et de recherches internationales, juin 2012
(9) « L’armée a employé les grands moyens contre la secte Boko Haram », Radio France International, le 31 juillet 2009
(10) « Point de vu : Que s’est-il vraiment passé à Baga, au Nigéria ? », Human Rights Watch, le 14 janvier 2015
(11) « Boko Haram : ‘‘Il y a une perte de contrôle très claire’’ des autorités », Radio France International, le 15 janvier 2015

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