Archives - International 1 février 2015

Burkina Faso : vers un nouveau souffle démocratique en Afrique de l’Ouest ?

 © Eugène trutat (1840-1910), Photographe

© Eugène trutat (1840-1910), Photographe

Le 31 octobre 2014 – Blaise Compaoré annonce, sous la pression populaire, sa démission de la présidence du Burkina Faso. Onze jours se sont écoulés depuis l’annonce de la tenue d’un vote portant sur un projet de changement constitutionnel visant à permettre sa réélection pour une 5ème fois d’affilée. C’en est trop pour son peuple, épuisé par vingt sept ans de règne sans partage. Le 30 octobre, jour du vote, des milliers de manifestants envahissent les rues de la capitale Ouagadougou, incendient l’Assemblée nationale et se mettent en marche vers le palais présidentiel. Le lendemain, Campaoré fuit le pays. Un pilier de la Françafrique s’effondre, balayé par la foule. Le début d’un renouveau pour l’Afrique de l’Ouest ?

« L’homme qui sait se rendre incontournable auprès des Occidentaux »(1)

Le 4 août 1983, le capitaine Thomas Sankara parvient à la présidence du Conseil national révolutionnaire de Haute-Volta à la suite d’un coup d’État soutenu par son ami de longue date, le capitaine Blaise Compaoré.

Résolument intègre et progressiste, Sankara va placer son pays, rebaptisé Burkina Faso (« Pays des hommes intègres »), sur la voie du changement en faveur des classes populaires. Il entreprend une série de réformes de grande envergure pour combattre la malnutrition, la déforestation et les inégalités homme-femme et met en place des dispositifs participatifs pour intégrer le peuple burkinabé à la vie politique du pays(2). Il s’affiche d’emblée comme hostile à toute ingérence de la « communauté inter-nationale » et plus particulièrement aux diktats de la France et de ses alliés dans la région.

Cette rupture soudaine avec la Françafrique est particulièrement mal digérée par certains. En 1986, Compaoré, alors numéro deux du régime, rencontre un certain Jacques Chirac, alors Premier ministre de François Mitterrand, mais aussi Charles Pasqua, condamné depuis dans de nombreuses affaires, dont une concernant des ventes d’armes à l’Angola et Jacques Foccart, conseiller de l’ombre de la présence française en Afrique(3). Une partie de la fine fleur néo-colonialiste de l’époque en somme.

Un an plus tard, Sankara est assassiné, très probablement sur ordre de son « ami » Compaoré(4) qui prend le pouvoir et annonce la reprise des rela-tions diplomatiques et économiques avec la France et la Côte d’Ivoire.

Ainsi débute un règne de plus d’un quart de siècle assuré par des changements constitutionnels fréquents et marqué par de nombreux assassinats politiques, par des soutiens plus que douteux dans les guerres civiles au Libéria, en Angola, en Sierra Leone, au Mali et en Côte d’Ivoire et par une défense des intérêts occidentaux dans la région, notamment français.

Les girouettes de la « communauté internationale » n’avaient rien vu venir

Le parallèle avec la chute de Ben Ali est saisissant : la diplomatie française s’est entêtée dans un soutien sans faille. Si dans le cas tunisien, Alliot-Marie avait proposé au dictateur le « savoir-faire de nos forces de sécurité » deux jours avant sa fuite(5), dans le cas burkinabé, la France a été jusqu’à assurer elle-même la fuite de Compaoré vers la Côte d’Ivoire ; refuge idéal puisque dirigé par l’un de leurs « amis communs » Alassane Ouattara. Ce soutien logistique de la France apparaît comme une ingérence inadmissible pour le peuple burkinabé puisqu’elle soustrait un homme, soupçonné de nombreuses exactions, à la justice de son pays. Preuve évidente de la réalité de la Françafrique, comme s’il en fallait, cette réaction précipitée traduit bien l’absence de vision à long terme de la diplomatie française, transformée depuis un certain temps en VRP de luxe pour les grands groupes privés.

Le constat est le même pour la « communauté internationale » prise dans son ensemble. Depuis quelques années, Compaoré bénéficie en effet d’une image d’ « homme de paix ». Impliqué dans la plupart des guerres récentes d’Afrique de l’Ouest, il a pourtant été nommé médiateur dans différents conflits régionaux, notam-ment au Togo, au Mali et en Côte d’Ivoire. En mars 2008, son régime a même intégré le comité des Droits de l’homme de l’ONU. Une manière, peut-être, de fêter les dix ans de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo(6), alors en pleine enquête sur François Compaoré, le frère du président ? Ou de le remercier d’avoir alimenté en armes et en hommes le conflit au Libéria et en Sierra Leone qui, en dix ans, fît près d’un demi-million de victimes(7) ?

Parions plutôt qu’il s’agit là d’honorer un bon élève de la mondialisation. L’homme s’est en effet depuis longtemps plié aux injonctions du FMI et de la Banque Mondiale et a même reçu les félicitations du jury, composé entre autres de Dominique Strauss Kahn(8), lors d’un voyage aux Etats-Unis en 2008. On le félicite peut-être pour la 181ème place occupé par son pays en termes de développement humain(9) ?

A la même occasion, Compaoré reçoit les louanges du gouvernement américain qui salue sa « vision d’homme d’Etat » et son travail pour « la paix et la stabilité en Afrique »(10). « Homme d’Etat », qui, en 2001, a autorisé, dans le plus grand des secrets et en violation des différentes conventions internationales, le géant américain Monsanto à effectuer des essais de coton Bt (OGM) dans le pays, plus gros producteurs de coton de la région. Depuis 2003, le développement des cultures transgéniques est même devenu une priorité du gouvernement burkinabé malgré l’opposition constante des petits producteurs(11). « Homme d’État » qui apparaît aussi comme particulièrement conciliant avec la France et les Etats-Unis sur la question du déploiement de forces militaires visant à couvrir le Sahel(12). En somme, un « homme d’Etat qui sait se rendre incontournable auprès des Occidentaux ».

Seulement voilà, cette image d’« homme de paix » n’est qu’une façade pour les grandes réceptions diplomatiques. Elle ne lui a donc été d’aucune utilité face à son propre peuple.

A la surprise générale des encenseurs intéressés, il n’a fallu que quelques jours pour faire tomber le « bon élève » de son piédestal. Au rythme des « Blaise dégage ! » l’opposition est parvenue à constituer un front uni contre la réforme constitutionnelle, symbole de son omnipotence. Bien que par pur opportunisme, quelques cadres du CDP (parti politique de Compaoré) aient rejoint l’opposition dès janvier 2014, contribuant ainsi à affaiblir le président, c’est véritablement l’engouement populaire des manifes-tations qui l’a poussé à la démission.

Ce mouvement trouve sa source directement dans la société civile au sein de laquelle la jeunesse urbaine se mobilise, depuis quelque temps déjà, autour d’associations d’un nouveau genre. La plus importante d’entre elles, le Balai citoyen, a été créée au début de l’été par deux artistes burkinabés, le rappeur Smokey et le reggae man Sam’s K Le Jah. S’appuyant sur l’exaspération de la jeunesse, la popularité de ses deux leaders et la mémoire de Sankara, l’association a rapidement pris de l’ampleur, au point de devenir l’un des acteurs principaux des événements. De quoi rappeler à tous les citoyens que la mobilisation n’est jamais vaine et à tous les autocrates de la planète qu’on ne gouverne pas éternellement coupé de son peuple.

Le début d’un renouveau en Afrique de l’Ouest ?

Le mouvement a malheureusement du mal à se constituer en une véritable force alternative.

L’opposition politique s’est majoritairement constituée autour d’anciens partisans de Compaoré (on peut citer Salif Diallo, ministre de l’agriculture dans les années 2000 et porteur de la politique de collaboration avec Monsanto) ou d’ultra-libéraux lésés (comme Zéphirin Diabré, homme d’affaires ayant travaillé entre autres pour AREVA et animé un groupe de réflexion sur les matières premières au MEDEF).

L’armée est, elle aussi, sur le qui-vive puisqu’elle a fourni tous les présidents de ce pays depuis 1966.

Difficile donc de voir dans quelle direction va évoluer la situation, mais espérons qu’enfin une vraie transition démocratique ait lieu en faveur du peuple et non en faveur d’un réseau d’élites, qu’elles soient civiles ou militaires.

Difficile donc de voir dans quelle direction va évoluer la situation, mais espérons qu’enfin une vraie transition démocratique ait lieu en faveur du peuple et non en faveur d’un réseau d’élites, qu’elles soient civiles ou militaires.

Quoiqu’il en soit, le symbole est là : l’inamovible Blaise s’est fait balayer par son peuple. De quoi donner des idées à d’autres ? Là encore, difficile de faire des paris sur l’avenir, mais l’événement a suscité un élan d’enthousiasme dans de nombreux pays africains comme en attestent les réseaux sociaux. Bien que n’ayant eu que très peu d’influence dans les événements au Burkina Faso (moins de 4% des habitants ont accès à internet), ils participent à leur rayonnement. Les noms des présidents Nguesso (Congo-Brazzavile), Kagame (Rwanda), Kabila (Congo) ou Mugabe (Zimbabwe) sont régulièrement repris comme étant les prochains sur la liste. Les régimes du Togo, de la Guinée équatoriale, de l’Ouganda et du Soudan en prennent aussi pour leur grade. De quoi laisser présager un « Printemps Africain » ?

Nous verrons ; cependant, gageons que la « communauté internationale », France et Etats-Unis en tête, n’hésitera pas là encore à «_intervenir_» en fonction des intérêts en jeu. Le contexte dans la région paraît en effet instable. Ebola sévit sur la côte et des mouvements djihadistes se développent au Sahel. Cependant, la réponse militaire n’est pas une solution. Comme l’a déclaré le politologue Bertrand Badie au sujet du conflit ivoirien : « Lorsque la guerre est le produit d’une pathologie sociale, elle appelle un traitement social et pas seulement un traitement militaire »(13). Ainsi il est avéré que la grande pauvreté dans la région est à l’origine de l’ampleur prise par les phénomènes djihadistes ou sanitaires, comme Ebola. L’Occident est en grande partie responsable en orchestrant le pillage de ces pays par les multinationales et se doit désormais de stopper les interventions à des fins économiques pour mettre en place de véritables politiques d’aide aux populations ; sous peine d’alimenter un ressentiment à son égard déjà bien présent au sein des populations laissées pour compte par la mondialisation.

Mario Bilella

(1) Selon l’expression de Zéphirin Diabré, personnage de l’opposition
(2) Liste non exhaustive, sur le sujet voir Bruno Jaffré, Biographie de Thomas Sankara : La patrie ou la mort…, Paris, L’Harmattan, 2007
(3) « Le Burkina Faso, pilier de la Françafrique», Le Monde diplomatique, janvier 2010
(4) De nombreux témoignages convergent vers cette version notamment celui de Prince Johnson devant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone : « C’est Campaoré qui a fait tuer Sankara »
(5) Lors d’une intervention devant l’Assemblée nationale, le 12 janvier 2011
(6) L’assassinat de Norbert Zongo en 1998 est devenu un symbole des exactions du régime de Campaoré
(7) «  Le Burkina Faso, pilier de la Françafrique », Le Monde diplomatique, janvier 2010
(8) « Visite du président du Faso aux USA », Lefaso.net
(9) Rapport sur le développement humain 2014, PNUD
(10) Propos tenus par Madame Frazer, sous-secrétaire d’Etat, le 15 juillet 2008
(11) Sur cette question : lire « Monsanto à l’assaut du Burkina Faso », Le Monde diplomatique, février 2009
(12) « La France réorganise ses troupes en Afrique », Survie.org

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