Burkina Faso : « Le putsch le plus ridicule du monde »
Le Poing, n°20 – En octobre 2014, Blaise Compaoré, à la tête du pays depuis 27 ans, est forcé de quitter ses fonctions. Un conseil national de la transition se met alors en place pour organiser des élections prévues en octobre 2015. Mais les fidèles du président déchu tentent à plusieurs reprises de saboter la transition. Jusqu’à ce coup d’Etat raté, le 16 septembre dernier.
Avant de viser son cinquième mandat à l’automne dernier, le président burkinabé est au sommet de sa carrière politique. Considéré par la France comme l’un des hommes les plus sûrs de l’Afrique de l’Ouest, le dirigeant africain est souvent appelé comme médiateur des conflits de la région(1). Arrivé au pouvoir suite à l’assassinat de son demi frère et leader pan-africaniste Thomas Sankara, Blaise Compaoré fera de la stabilité de son régime sa carte de visite à l’international.Qu’importe si l’homme est impliqué dans l’assassinat de son demi-frère ou que ses différentes élections sont souvent contestées, Compaoré est un allié de poids dans la lutte contre le « terrorisme » au Sahel et les Etats-Unis comme la France disposent de bases militaires importantes(2) au « pays des hommes intègres »(3).
Cette stature internationale n’empêche pas les Burkinabés de protester vivement contre le projet de référendum visant à modifier la constitution pour briguer un cinquième mandat.
La société civile et les partis de l’opposition s’organisent et le régime s’effondre en quelques semaines. Le conseil national de la transition, composé de civils et de militaires, se met en place dans la foulée. Des élections doivent être préparées en octobre 2015 mais les réseaux de l’ancien Président sont tenaces.
Un putsch mené par les fidèles du régime
Comme dans la plupart des régimes autoritaires habitués aux putschs en tout genre, c’est avec l’aide d’une garde rapprochée disciplinée que Compaoré arrive au pouvoir. Rebaptisé par la suite régiment de sécurité présidentiel (RSP), celui-ci est chargé d’assurer la sécurité du président en exécutant toutes les basses œuvres du régime(4). Avec 1 300 hommes, le régiment est aussi réputé capable de faire face à l’armée régulière burkinabaise.
Le chef du RSP n’est autre que Gilbert Diendéré, l’ancien numéro 2 du régime de Compaoré. À la chute de ce dernier, Diendéré place Isaac Zida, ancien numéro 2 du RSP, comme premier ministre. Les hommes de l’ancien régime, toujours en place dans ce corps spécial de l’armée, se pensent à l’abri. Mais Zida ne sera pas le pantin espéré.
Que pouvait espérer Diendéré ?
Le 16 septembre dernier Diendéré et quelques hommes prennent d’assaut le palais présidentiel gardant avec eux le président de la transition et le premier ministre. C’est que le gouvernement de la transition est devenu de plus en plus menaçant pour le RSP. Symbole de l’ancien régime, sa dissolution est voulue par le peuple.
Mais c’est une nouvelle loi qui va pousser les hommes de Diendéré à tenter leur dernière chance. Le conseil national de la transition vote l’exclusion aux prochaines élections de toute personne ayant soutenu personnellement la modification constitutionnelle voulue par Compaoré. Il s’agit en somme, d’éviter que les anciens fidèles du régime, peu soucieux du cadre démocratique, reviennent au pouvoir. Diendéré voit donc l’étau se resserrer. Démis de ses fonctions avec une future dissolution du RSP, si ces amis politiques ne peuvent plus le protéger, celui-ci pourrait répondre devant la justice de ses implications comme dans l’assassinat de Sankara.
Le coup est tenté mais très vite le putsch vire au fiasco. En pleine transition démocratique, le peuple burnikabé ne soutient pas une seconde les hommes du RSP et les réseaux sociaux organisent vite l’insurrection(5). L’armée régulière qui demande de son côté que soient supprimé les privilèges du régiment spécial rejoint rapidement le mouvement.
L’étrange attitude de la CEDAO
Si on peut entendre la rue burkinabaise parler du putsch « le plus ridicule du monde », il n’en est pas du même ressort pour les représentants de la CEDEAO. Regroupant les principaux Etats de la région, la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a l’habitude de régler les conflits dans la région. Bien plus respectée pour ses injonctions au néo-libéralisme économique que pour son plaidoyer en faveur du respect des règles démocratiques, la CEDEAO va vite prendre le parti des putschistes. Condamnant le coup d’Etat tout en négociant la sortie du général, balayé par les insurrections populaires en moins d’une semaine, les dirigeants de la région rédigent une déclaration pour le moins étonnante.
Parmi les quatorze mesures demandées, au moins deux sont jugées inacceptables par l’insurrection(6). Le texte demande l’amnistie pour les putschistes ainsi que le retrait de la loi prévoyant l’exclusion des candidats fidèle à l’ancien régime.
Comment condamner un coup d’Etat tout en prévoyant l’amnistie pour les concernés ? En réalité, ce triste épisode montre le peu d’intérêt porté par les dirigeants de la région aux revendications populaires.
Le peuple burkinabé est désormais un exemple pour les autres pays du continent. Au Congo par exemple, le vieux Général Sassou N’digué prévoit lui aussi de changer la constitution. Et si c’était le prochain ?
Valentin Prelat
(1) « Le Burkina Faso, pilier de la Françafrique, Le Monde diplomatique », janvier 2010. (2) « Pour Washington et Paris, le Burkina est une caserne militaire », Survie, 4 mars 2015. (3) Traduction littérale du Burkina Faso. (4) « Burkina Faso : le Général Diendéré inculpé pour crimes contre l’humanité », RFI, 16 octobre 2015. (5) « Comment ce magnifique peuple du burkina a mis en échec le coup d’Etat », Blog Mediapart Bruno Jaffré, 16 septembre 2015. (6) « Burkina : le projet de sortie de crise de la CEDEAO reprend les revendications des putschistes », Thomas Sankara website, 21 septembre 2015.
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