Carnaval antillais de Montpellier : Delafosse met la ville sous couvre-feu

Le Poing Publié le 19 février 2025 à 10:04 (mis à jour le 19 février 2025 à 10:14)
Le RATFUT se revendique de la continuité du Karnaval des Gueux et du carnaval antillais de Montpellier. Ici l'édition 2020 du carnaval antillais (Photo de Virginie Ouhlen/DR)

Des critères exclusivement sécuritaires sont évoqués par le maire de Montpellier pour justifier l’interdiction du “vidé”, le cortège de rue du carnaval antillais, ce samedi 22 février. Ultra populaire, juvénile, incontrôlé et festif, cet événement paraissait complètement insolite au regard des modèles montpelliérains. Sans quoi, on aurait sans doute réfléchi à deux fois avant d’intimer l’ordre de rester chez elles à plus de dix mille personnes

Les carnavaliers montpelliérains savaient trop bien, depuis un paquet d’années, ce qu’il en coûte de vouloir maintenir la tradition absolument occitane et rebelle du “Carnaval des Gueux”. C’est à coup de matraques, de gazages, de nasses et de comparutions directes que la sociale-démocratie montpelliéraine, alliée aux préfets les plus droitiers, a tenté obstinément d’en venir à bout, chaque soir du Mardi-Gras année après année. En vain, du reste. On peut leur concéder qu’en procédant ainsi ils avaient fait de ce rendez-vous spontané un haut-lieu de l’esprit libertaire insoumis. Au point d’y voir argument suffisant pour soumettre cette dissidence culturelle et politique au rouleau compresseur d’une répression implaccable. Montpellier, ville apaisée.

Le carnaval antillais de Montpellier n’a rien à voir avec ça. Il est né voici bientôt vingt ans, d’associations d’étudiants caraïbéens. Diverses péripéties en ont fait peu à peu un rendez-vous attirant depuis la France entière. Voire les Antilles. Depuis une paire d’années, la participation tournait autour des dix mille personnes, très juvénile, dans une atmosphère exubérante de musiques, de costumes, y compris très dénudés en cette période hivernale. Chaud les coeurs. C’en était profondément insolite, décalé et hors standard dans le calendrier événementiel montpelliérain.

Il n’y a qu’à voir le parcours, longtemps confiné depuis le quartier de la Rauze, pour finir sur le parvis de l’Hôtel de Ville, rare manifestation capable de mettre joie et couleur sur une place froidement métallique, encore plus déserte les samedis qu’en semaine. Puis l’an dernier, toujours les sémi-périphéries, du parc Tastavin au quartier Lemasson, jusqu’au parc Montcalm de l’autre côté de l’avenue de Toulouse. Puis cette année : plus rien. Videz le vidé. Interdiction de défiler.

Le 12 février dernier, la Ville de Montpellier a fait connaître l’interdiction de ce cortège annoncé pour le samedi 22 février. Argument massue : la sécurité. Sébastien Cote, adjoint chargé de la politique ultra-sécuritaire de Michaël Delafosse, a martelé : « Ces organisateurs ne sont pas sérieux. Ils ont menti à la Ville et à la Préfecture ». Explication : « Ils déposent des dossiers annonçant trois à quatre mille participants. L’an dernier nous en avons compté onze mille. Résultat : les effectifs engagés par la police municipale ont été débordés. Il y a eu des incidents, une agression au couteau, l’interruption de la circulation sur l’avenue, pendant trois quarts d’heure un jour de match. Nous leur avons fait remarquer que leurs chiffres ne sont pas réels. Nous les avons reçus. Ils n’en ont tenu aucun compte. Sans doute savent-ils qu’en reconnaissant la taille réelle de leur événement, ils devraient faire face à des frais supplémentaires ».

Au reste, ce carnaval a sa motivation commerciale, plusieurs soirées à entrées payantes se succédant au Parc des Expositions. Celles-ci ne sont pas concernées par l’interdiction municipale. Laquelle s’abat donc sur le volet ouvert, gratuit, peu contrôlé, diurne et public, du rendez-vous. Tout à sa logique obstinément sécuritaire, l’entourage de Michaël Delafosse a-t-l mesuré la résonance de sa décision, à un moment où l’actualité ultra-marine, de Kanaky à Mayotte, et jusque dans les rues martiniquaises résonne des lourds passifs coloniaux non liquidés ?

Une pétition circule en ligne, avec ses huit mille signatures à ce jour. Les oppositions, autant écologique (Roumégas), qu’indépendante (Serge Martin) et de droite (Isabelle Perrein) en passant par une association de commerçants, ont bondi sur la dénonciation d’une décision mortifère, attentatoire à l’image de la ville. Plusieurs figures antillaises veulent y voir des implicites de mépris pour la culture caraïbéenne, dont le carnaval est un fleuron (autre chose que les corsos fleuris accompagnés de rigides majorettes, défilant derrière des barrières métalliques comme s’en glorifient des villes du pourtour méditerranéen parmi les plus flippantes politiquement).

Procède-t-on toujours d’une manière aussi expéditive ? On se souvient du moment où la gestion du FISE a soulevé de lourdes questions. On est parvenu à s’entendre. Souvenons-nous de l’époque où les corpos étudiantes (tout sauf politisées) rivalisaient de galas géants dans les salles les plus officielles, Corum compris, comme lancées dans une compétition à tous les débordements alcoolisés et autres, aujourd’hui impensables avec #MeToo. On ferma longtemps les yeux sur cette belle jeunesse par ailleurs conforme. Est-on si sûr que la Pride aux 15.000 participants est si exempte de risques ? A sa dernière édition, l’obstination du Delafosse-Bloc à refuser de partir en cortège derrière un PinkBloc hérissé de drapeaux palestiniens a créé une heure de tension extrême où la foule ne parvenait pas à s’extraire du Peyrou, bloquée contre ses portails étroits. Etc.

Tout rassemblement est à risques. Alors imaginons – par pure fiction – que l’enseignement catholique lance un rassemblement de type sportif par exemple, et qu’ils s’y révèlent des problèmes délicats en matière d’organisation. Alors on parie que les services municipaux se mettraient aussitôt en quatre pour assurer que l’événement puisse se tenir évidemment. Mais pour un carnaval antillais, c’est tellement plus simple, et tellement montpelliérain au fond, de décréter un couvre-feu.

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