De Cali à Montpellier, un mouvement de soutien au peuple colombien prend forme

Le Poing Publié le 12 mai 2021 à 19:36 (mis à jour le 17 mai 2021 à 13:30)
Photo de Samuel Clauzier

Samedi dernier un rassemblement de soutien à la mobilisation colombienne se déroulait place de la Comédie : si vous étiez de sortie dans le centre à ce moment-là, difficile de passer à côté de cette faille spatio-temporelle qui a duré jusqu’à l’heure du couvre-feu – comme si l’air de la place montpelliéraine s’était transporté quelque part entre Cali et Popayán. Durant plusieurs heures nous avons assisté à une alternance entre prises de parole, minute de silence, danse, chants et slogans de soutien au mouvement social Colombien. Mais que se passe-t-il de l’autre côté de l’Atlantique ?

En France le silence médiatique sur la situation est assourdissant, tant dans la presse nationale que régionale : rien sur les chaines d’information en continu, un bref article portant à confusion dans le Midi Libre avec une photographie du rassemblement pris depuis les balcons de la rédaction du journal – comme aux grandes heures des gilets jaunes, un quotidien local plus que jamais fidèle à sa réputation de reporter de salon. Pourtant, la Colombie est en proie à un soulèvement populaire d’ampleur depuis la fin du mois d’avril, face à la politique ultra-libérale du gouvernement d’Ivan Duque (1). Deux semaines que la contestation bat son plein, notamment dans la ville de Cali au sud-ouest du pays (véritable épicentre du mouvement). Deux semaines qu’une répression sanglante s’abat sur les manifestants, condamnée par l’ONU et par l’union européenne : un bilan d’au moins 47 morts est dressé par les ONG locales Temblores et Indepaz (2), bien plus lourd en réalité. Les témoignages qui nous parviennent de Colombie sont glaçants et font état de violations répétées des droits humains fondamentaux, avec des assassinats et disparitions d’opposants politiques, des détentions arbitraires ainsi que des cas de violences sexuelles. Face à cette situation dramatique, la diplomatie française reste muette. Seule une tribune publiée par une centaine d’élus français, principalement d’opposition, demande une réaction de la part du président de la République et du ministre des affaires étrangères, sans qu’elle soit suivie d’effets pour le moment (3).

Peut-être qu’Emmanuel Macron est plus soucieux des liens commerciaux avec son homologue colombien que du respect de l’intégrité physique des contestataires – en témoigne une rencontre diplomatique chaleureuse au début du mois d’avril 2019 (4) – ou bien est-ce lié à l’agenda sécuritaire que l’exécutif entend imposer avec les appareils médiatiques en vue de l’élection présidentielle ? Car en France le ton martial contre les mouvements sociaux et les quartiers populaires est aussi de mise depuis le début du quinquennat Macron : l’actualité de ces dernières semaines n’y fait pas exception, entre tribunes militaires et surenchère policière permanente. Les plateaux télés sont pris d’assaut par des figures politiques allant de la droite à l’extrême-droite et autres syndicats policiers factieux, aux discours désinhibés. On appelle à « défendre la police », on exulte, on hurle, on brandit l’armée contre les quartiers pauvres : on veut y entrer, assiéger ces « zones de non-droits », quitte à tirer dans le tas (5). L’atmosphère est morbide, comme si chacun ne parvenait plus à mesurer le poids de ses mots. Dans l’indifférence générale, c’est  pourtant ce qui se fait de l’autre côté du globe : on entre dans les quartiers et on tue. On tue des jeunes, on tue des filles, on tue des fils, des mères, des frères et des espoirs.

En France, les médias et les figures politiques sont enclins à une indignation à géométrie variable dès que le sujet touche à la géopolitique, notamment celle de l’Amérique latine : les candidats ne manquent pas quand il s’agit d’accabler un pays comme le Venezuela ou tout pouvoir à connotation vaguement socialiste. Dès lors qu’un gouvernement ultra-libéral ou à la droite de la droite utilise les armes, de préférence achetées à la France ou aux États-Unis, face à sa population, silence radio. On croirait entendre résonner les vers écrits par Renaud il y a presque 40 ans : « Lorsqu’en septembre on assassine un peuple et une liberté / au cœur de l’Amérique latine, ils sont pas nombreux à gueuler ; Un ambassadeur se ramène, bras ouverts est accueilli / le fascisme c’est la gangrène de Santiago à Paris». Un lointain écho dont il serait salutaire de se rappeler : ils étaient pourtant nombreux à « gueuler » quand le Chili sombrait dans la dictature en 1973. Au lendemain du coup d’état de Pinochet, la France était en pleine ébullition. Militants, partis politiques, figures culturelles, étudiants ou simples citoyens, tous se sont mobilisés pour la cause chilienne. On accueillait des réfugiés, on lançait des manifestations, on montait des campagnes de dons et de soutien à la lutte. Un véritable mouvement de solidarité, fondamentalement internationaliste, prenait racine.

Aujourd’hui l’enjeu est d’une envergure semblable. Le réveil du peuple colombien, après celui des équatoriens et des chiliens, pour ne citer que ceux-là, pourrait être une source d’inspiration pour nos luttes à venir, tant la détermination des manifestants force l’admiration.

Pour vous expliquer les causes et les sources du soulèvement en cours, Le Poing s’est entretenu avec David Gortiz, franco-colombien et initiateur du rassemblement de soutien à la Colombie de samedi dernier, et Mara Larca, étudiante colombienne à Montpellier et membre de la branche internationale du mouvement citoyen « La Movida » (un QR code est disponible en fin de page pour soutenir financièrement la cause colombienne).

Entretien avec David Gortiz

Pour quelles raisons un soulèvement populaire se déroule en Colombie depuis maintenant deux semaines ?

L’élément déclencheur se situe dans le projet de réforme fiscale autour de la TVA porté par le gouvernement Duque, que l’on nomme « réforme tributaire » : le but est simple, taxer des produits essentiels pour les colombiens comme par exemple les œufs – raison pour laquelle vous verrez de nombreuses références à cet aliment, notamment sur les pancartes lors des manifestations. Il faut savoir qu’en Colombie, une énorme partie de la population se nourrit dans des marchés paysans. A Bogota, on peut faire ses courses dans des grands magasins comme dans des petits marchés où la production paysanne est très présente, les aliments y sont moins chers et il est possible d’acheter directement en vrac. Ces produits sortent des circuits de distribution classiques et échappent à la taxation, ce que le gouvernement veut réformer. La gestion de la crise du Covid est aussi décriée, avec une aggravation de la pauvreté.

Deux autres réformes sont à l’origine de la contestation même si l’on en parle peu : la réforme de la santé et la réforme des retraites. Le cumul de ces attaques successives envers les classes populaires et moyennes ont fini par faire descendre le peuple dans la rue. Cette situation rappelle le moment déclencheur du mouvement des gilets jaunes en France, où un cumul de politiques inégalitaires finit par précipiter une explosion sociale avec l’arrivée de la « taxe carbone ». D’ailleurs, juste avant le début du mouvement en Colombie une amie m’avait proposé de faire une vidéo comparative entre les deux mobilisations. Des années de casse sociale s’écoulent, jusqu’au jour où la mesure de trop vient faire déborder un vase déjà plein depuis longtemps. Les évènements suivent la même trame politique en Colombie : le président Yvan Duque a demandé à son parti de retirer le projet de taxation, ce qui a été fait – tout en pensant que la suppression du projet de loi initial permettrait d’éteindre la mobilisation. C’est désormais trop tard car la mouvement s’est enraciné.

Comment évolue la lutte depuis la fin avril, et comment s’organise-t-elle ?

Le gouvernement ne cache pas sa volonté de renégocier ce projet de loi avec les syndicats des grands entreprises colombiennes (type MEDEF), certains partis politiques (plus ou moins alliés, pas dans l’opposition dure), et donc de temporiser sur le conflit politique en cours avec une large partie de la population. A côté de cela les manifestants sont criminalisés, la répression est sanglante. Malgré tous ces éléments le mouvement obtient des victoires : le ministre en charge de la réforme de la TVA a démissionné, il y a quand même quelque chose de fort qui se passe. Les gens ne décolèrent pas, car il part avant d’être jugé, avant que « le vent tourne ». La population est dans la rue et s’unit au travers d’une véritable convergence des luttes, c’est très fort au niveau national.  Il y a aussi de des sources inspirations  : dans notre esprit de solidarité latino-américaine, nous considérons le Chili comme un « pays frère » qui nous a véritablement ouvert la voie en terme d’organisation. Les premières lignes qui tiennent la tête de manifestation en Colombie à l’aide de boucliers s’organisent de la même manière, suivies des deuxièmes lignes pour les jets de projectiles, une troisième qui « nettoie » et s’occupe des blessés…

Un autre point également fondamental dans l’organisation colombienne : le rôle de la garde indigène qui provient des environs de Cali, constituée d’une multitude de groupes d’indigènes. Elle est à l’origine de plusieurs coups d’éclat dans la mobilisation, avec la capture d’un policier infiltré – ensuite jugé par un tribunal populaire – ou encore le déboulonnage de plusieurs statues de conquistadors espagnols (une en plein Bogota, le conquistador de toute la Colombie, et celle de Cali). Sur le plan symbolique ces évènements sont très puissants, les indigènes sont considérés comme des « grands-frères » par les personnes impliquées dans la lutte en raison de leur expérience du combat contre les paramilitaires, les narcotrafiquants et l’armée. Quelque mois avant le début de la mobilisation, en octobre je crois, les indigènes ont convergé sur Bogota à travers une « minga social » pour se rassembler devant le palais du président en exigeant l’arrêt des massacres et de la spoliation des terres. Notre émotion était grande quand nous avons appris que la garde indigène se mobilisait pour aller sur Cali il y a quelque jours. Beaucoup de vidéos de leur arrivée circulent sur les réseaux, sur des vieux bus des années soixante en brandissant le drapeau multicolore de l’empire inca – un drapeau que l’on a vu en Bolivie, en Équateur, au Pérou ou encore au Chili. Il y a ce côté aussi qui n’est pas seulement nationaliste. La question afro-colombienne est également très importante, cette communauté représente 20% de la population avec un héritage fort depuis l’esclavage – un groupe social qui dispose d’une constante de lutte ancienne, ils sont à l’origine de nombreux blocages routiers dans la mobilisation en cours. L’écrasante majorité de la population soutient ce mouvement, jusqu’aux célébrités qui n’ont pas l’habitude se prononcer sur le plan politique. 

D’après nos informations la mobilisation est très jeune, qu’en est-il des autres parties de la population ?

Dans les quartiers populaires il y a eu aussi des personnes âgées mortes à leur domicile, asphyxiées par les gaz lacrymogènes.  En ce qui me concerne je pense que le premier axe de lecture à avoir en Amérique latine c’est une question de classe : les inégalités sont énormes, la Colombie est le troisième pays avec les plus d’inégalités au monde. Après au niveau des générations, les anciens ont connu la douleur du véritable conflit armé qui a duré 70 ans et dont la période la plus dure se situe autour des années 1980-1990, une période où il y a eu beaucoup de massacres à la campagne par les paramilitaires, les guérillas et l’armée. Donc ces gens-là ont connu ces moments tragiques et peuvent faire valoir une volonté d’un arrêt total des violences, tant du côté de la police que des manifestants. Ce ne sont pas forcément des personnes opposées à la mobilisation mais qui rejettent toute forme de violence : cette question est totalement différente entre un pays comme la Colombie et la France par exemple. La Colombie est une société violente où tout se règle par la violence. Mais ces dernières années il y avait eu un changement plutôt positif à ce niveau, avec une ouverture du pays au tourisme. Quand j’étais petit et que j’allais en Colombie les gens me faisaient part de leur inquiétude, désormais de plus en plus de monde se déplace pour découvrir le pays.

Quels sont tes liens avec la mobilisation sur place ? Est-il difficile d’obtenir des informations sur l’évolution de la situation ? Sur la répression en cours ?

La répression la plus brutale se trouve à Cali au sud-ouest du pays, qui est une ville véritablement assiégée, avec des coupures d’eau et d’électricité organisées par le pouvoir – même s’il font croire que ce sont les manifestants, qui n’auraient aucune raison de se priver eux-mêmes de ces ressources essentielles. Internet est grande partie censuré, ce qui est terrible pour la diffusion de l’information à l’étranger. Le décompte des violences n’évolue que très peu ces derniers jours : dans le même temps je reçois énormément de vidéos attestant de blessés par balle, sans que le bilan ne s’alourdisse en conséquence. On sait que des gens meurent de ces blessures, mais ils n’entrent pas obligatoirement dans les chiffres publiés par les ONG. L’ancien président Alvaro Uribe – soutien de l’actuel chef de l’état – a aussi été mis en garde directement par Twitter pour appel à la violence (de la même manière qu’avec Trump).

De l’autre côté, Anonymous réalise un travail incroyable. Ils ont piraté le compte du Sénat, de la police et de l’armée afin d’obtenir des informations utiles à la lutte. Il y a une véritable dimension internationale dans cette mobilisation, ce n’est pas le grand public qui en parle certes mais je pense que dans ce genre de combat nous avons surtout besoin de personnes déterminées, prêtes à donner d’elles-mêmes et à médiatiser les luttes. Aujourd’hui les violences sont filmées, visibles aux yeux de tous via leur diffusion sur les réseaux sociaux. En Colombie les assassinats ont toujours existé, depuis le pacte de paix signé il y a 4 ans avec les FARC il y a eu 1150 leaders sociaux ou activistes tués. Ces meurtres sont perpétrés par des organisations criminelles tandis que l’état ferme les yeux.

Beaucoup de vidéos d’exactions commises dans les quartiers pauvres – assassinats, humiliations, violences – circulent sur les réseaux sociaux. Aucun sigle militaire ou policier n’est visible. Qui sont ces personnes ?

En Colombie on appelle « paramilitaire » tout groupe qui utilise ce type de méthode. Ce sont des policiers qui portent l’uniforme la journée, puis l’enlèvent la nuit pour effectuer le même travail en étant payés par leurs supérieurs ou des politiciens. Ce sont aussi des tueurs à gages payés par des narcotrafiquants ou des groupes politiques : tous ces éléments sont liés, le réseau narco-criminel fait partir intégrante de l’appareil politique colombien – depuis la fin des années 1990 et de la période Escobar on a décidé de lier les deux pour en théorie « avoir moins de morts » en opposition avec la guerre frontale livrée contre les trafiquants au Mexique. Actuellement on peut trouver de nombreuses vidéos sur les réseaux sociaux où l’on voit des hommes en civil sortir des casernes de police avec des armes à la main, ou encore des ordres donnés à l’intérieur d’une caserne par un policier à des hommes au garde à vous mais sans uniforme. 

Pour comprendre cette situation, je peux vous parler de l’exemple dit des « faux-positifs ». Sous la présidence d’Alvaro Uribe entre 2002 et 2010, les nombre d’exécutions extra-judiciaires a explosé (6). Aujourd’hui nous sommes sûr qu’il y en a eu au minimum 6402, mais on parle plutôt de 12 000/14 000 personnes. C’est simple : si tu es un jeune homme pauvre d’un quartier rural, un homme vient te proposer un travail au champ par exemple. Tu montes dans une camionnette, on t’assassine puis on transporte ton corps à l’autre bout du pays sur un front d’affrontement avec une guérilla pour faire passer ta mort pour celle d’un guérilleros. En Colombie j’ai pu rencontrer Luz Marina Bernal, son fils avait entre 18 et 20 ans et souffrait d’une hypertrophie de la jambe et de la main droite. L’armée l’a fait passer pour un des commandants de la guérilla (en raison de ses yeux bleus et de son teint clair, traits similaires avec un cadre de la guérilla), en plaçant directement une mitraillette dans sa main hypertrophiée après sa mort. Ils l’ont exécuté en lui tirant plusieurs balles dans la tête et dans le corps avant de l’habiller d’un treillis militaire après son décès (il ne portait donc pas d’impact de balle, son visage lui était méconnaissable). Même chose pour les bottes qui n’étaient pas à sa taille. Voilà un exemple des nombreux cas d’assassinats évoqués, toujours avec le même mode opératoire : un drame qui puise sa source dans la politique du chiffre instiguée par Uribe – sous pression des États-Unis, désireux d’en finir avec les guérillas communistes. Cette stratégie a mené à ce que les policiers et les militaires touchent des primes pour chaque guérillero assassiné, débouchant sur ces tueries de masse.

Les vidéos qui circulent ne sont donc absolument pas un fait nouveau, c’est une manière de faire en Colombie. Recevoir une menace de mort est un fait courant, terrifiant même : vous tombez parfois sur des tracts avec la mention du groupe paramilitaire des « aigles noirs », votre nom, votre adresse, des accusations de collusions avec les puissances communistes d’Amérique latine et une mise en demeure de cesser vos activités sous 24h, sous peine de voir votre famille exécutée. C’est une raison qui pousse beaucoup de colombiens à l’exil. Une figure de l’opposition a vu son directeur de campagne assassiné il y a peu, et il est régulièrement menacé de mort.

Le gouvernements a retiré sa réforme fiscale, quelle sont les principales revendications des manifestants ? 

Une des revendications principales c’est la véritable application du processus de paix initié avec les FARC il y a quatre ans. Dans ce processus il y a ce que l’on appelle la « juridiction spéciale pour la paix » qui est un tribunal pénal créé spécialement pour juger les crimes en Colombie. C’est cet organe judiciaire qui est censé juger les crimes de guerre dont les exécutions extra-judiciaires dont je vous ai parlé. Le président actuel qui a la majorité au parlement fait tout pour saboter ce processus, aujourd’hui à l’arrêt.

Un autre point important de ce processus de paix est la réforme agraire, une question centrale en Amérique latine. La guerre civile colombienne a provoqué la spoliation de millions d’hectares pour la culture de la drogue mais aussi en raison de la hausse de la production et de l’exportation de certains produits (bananes, mangues, cacao, avocats). Certaines parties de la population ne disposent pas de titre de propriété pour leurs terres – notamment la communauté indigène, paysanne, et afro-colombienne qui est allée cultiver la terre après la fin de l’esclavage en 1851. Profitant de ce défaut historique de documents officiels liés à la propriété, les paramilitaires sont venu confisquer les terres des paysans. Puis ils sont partis, les champs étaient libres et les multinationales sont arrivées. Le point sur la réforme agraire dans le processus de paix prévoit une commission de « justice, vérité et réparation » pour restituer les terres aux personnes spoliées. Un autre pan concerne aussi dans le passage de cultures illicites à des cultures licites, ce qui dérange fortement les narcotrafiquants. 

Enfin, au-delà de ce qui concerne le processus de paix les manifestants exigent une réponse à plusieurs revendications très simples : une aide minimale basique pour que les plus démunis puissent survivre pendant la crise, un arrêt des poursuites judiciaires et des assassinats d’opposants, une réforme de l’institution policière (avec notamment la suppression de l’ESMAD équivalent des CRS en Colombie), une justice rendue pour les personnes assassinés et violentées, une juste répartition de l’impôt pour que les plus riches paient pour la crise Covid-19 et un véritable retour à la démocratie – dans un pays gangrené par la corruption et les assassinats d’opposants.

Comment vois-tu la réaction internationale et le traitement médiatique réservé à la situation colombienne ? Qu’est-ce que tu espères des différentes mobilisations de soutien au peuple colombien à travers le monde ?

Du point de vue de la communauté internationale, nous attendons aujourd’hui de la dignité mais aussi un « rendu » de ce que nous offrons au monde entier. Les gens profitent de notre café, de notre chocolat, de l’or que l’on extrait dans notre pays, de notre pétrole, de nos mangues, de nos avocats, on est un pays qui exporte beaucoup et c’est notre richesse. Nous voulons de la justesse, c’est une question coloniale pour moi : les scandales dans lesquels la France est mêlée au travers de ses entreprises sont nombreux. Nous connaissons Veolia, BNP Paribas, qui ont véritablement du sang sur les mains en Colombie.

Pour ne citer que deux exemples : Total prospecte sur des nappes de pétrole, en payant des paramilitaires pour déplacer les populations et avoir accès aux terres convoitées. La Colombie c’est 7 millions de déplacés interne, ce qui en fait le deuxième pays en terme de déplacés après la Syrie. 7 millions de personnes qui vivent entre les bidonvilles de Cali, de Bogota ou de Medellin. BNP Paribas finance également un mégaprojet de barrage électrique qui a pour le moment coûté la vie à 6 personnes  et en a déplacé plusieurs centaines en aval de l’installation (7).

Nous attendons donc une réaction de l’état français, qui ne peut advenir qu’avec l’aide d’une forte pression populaire. L’image de la Colombie a changé, elle n’est plus uniquement liée à la violence et nous aimerions que partout dans le monde les peuples nous soutiennent dans cette direction. Des attentats aux gilets jaunes, ce qu’il se passe en France nous a toujours touché, nous avons toujours voulu marquer notre solidarité avec les français. Les colombiens attendent un juste retour de ce qu’ils ont pu donner par le passé.

Aujourd’hui nous avons besoin de dons matériel et financiers : dans des villes comme Cali tout manque, l’urgence est absolue. Plus qu’une aide éphémère nous souhaitons mettre quelque chose en place sur le long terme car la situation va durer, comme au Chili. L’important c’est de maintenir une pression. Nous avons besoin que l’information soit relayée et diffusée par des personnes à l’étranger (c’est déjà le cas), nous avons aussi reçu de l’aide des colleuses féministes sur Montpellier… En Amérique latine le lien avec la France est très fort, on doit en grande partie l’indépendance de nos pays à la révolution française et Napoléon Bonaparte. Il existe un mini-série documentaire qui vient de sortir sur l’ancien dictateur combien, elle s’appelle « Matarife » – disponible sur Youtube et doublée en français (8). La série commence en posant la question suivante,  « pourquoi le français est-elle la langue la plus importante, même avant l’anglais ? Car la France est la patrie des droits de l’homme ». Le lien entre la France est l’Amérique latine est unique. Quand les argentins viennent en Europe, ils utilisent l’expression « on traverse la flaque d’eau » pour signifier la proximité entre les deux continents. Vous retrouverez même le bonnet phrygien sur l’écu colombien, quand le processus d’indépendance colombienne s’est déclenchée un des héros de ce mouvement avait traduit la déclaration universelle des droits de l’homme, les devises nationales sont construites sur le même modèle que la France… Autant de liens qui nous unissent dans une histoire commune.

Suite à cette discussion avec David Gortiz, Le Poing a pris contact avec une étudiante colombienne installée en France depuis plusieurs mois, membre de la branche internationale de “la Movida”.

Entretien avec Mara Larca


Peux-tu nous présenter le mouvement la Movida ?

La Movida est un mouvement citoyen basé en Colombie, son nom signifie « mouvement pour la vie » avec pour principal but de donner une voix à ceux qui n’en ont pas, à tous les colombiens où qu’il se trouvent dans le monde. Son objectif est aussi de répondre aux nombreuses violations des droits fondamentaux, et de soutenir la mobilisation en cours en Colombie. A Montpellier il existe une branche de la Movida, créée récemment, avec un comité international afin d’apporter un soutien aux manifestants depuis l’étranger.

De quelle manière La Movida intervient-elle pour aider la mobilisation colombienne ?

Sur place nous travaillons avec l’ONG « Human Rights Watch International » qui récolte de l’argent pour aider les personnes en difficulté. La Movida est répartie en plusieurs comités, chacun avec un domaine spécifique : le comité juridique qui aide toute personne en difficulté face au gouvernement, notamment en apportant une aide juridique avec des avocats,  le comité de communication en charge des annonces et le comité d’aide aux premières lignes – les manifestants qui sont les plus exposés aux violences des forces de l’ordre.

Sur Cali, la situation est extrêmement grave : tous les produits de première nécessité manquent. La Movida recherche des personnes aux alentours pour envoyer les produits dont les gens ont besoin sur place. Nous travaillons aussi avec le CRIC (le conseil indigène de Cauca), un mouvement représentatif de la communauté indigène en Colombie – composé par la garde indigène et l’autorité traditionnelle ancestrale.

Comment peut-on aider la Movida, sur place ou depuis l’étranger ?

Sur place il y a un comité organisateur pour chaque mobilisation, il suffit de prendre contact avec celui-ci. Des « questions filtres » ont été mises en place avant de pouvoir de s’impliquer, suite à plusieurs cas d’infiltrations policières. Nous avons aussi un groupe WhatsApp qui permet de s’organiser au sein du comité d’organisation composé d’une vingtaine de personnes, lui-même divisé en petits comités avec des domaines réservés. Nous nous réunissons bientôt sur Montpellier pour permettre des donations financières depuis l’étranger.

Informations pour effectuer un don à la Movida via Paypal



Sources :

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

Flics, militaires : la tentation du coup de force