Eau : les multinationales toujours gagnantes !
Le Poing, n°20 – La régie publique de l’eau était une promesse phare du candidat Philippe Saurel aux élections municipales. C’était il y a plus d’un an. Aujourd’hui, Saurel est maire de Montpellier et président de la métropole, laquelle a la compétence de l’eau et de l’assainissement. Au 1er janvier 2016, la régie publique va effectivement voir le jour. Mais qu’en partie seulement. C’est que le lobby de l’eau reste très important à Montpellier et ne lâchera pas facilement ses juteux profits.
Une régie publique vaseuse
« L’objectif est d’avoir une gestion qui soit la plus économe et la plus responsable possible », assure devant la presse René Revol (Direct Matin Montpellier Plus – 15/04/15). Si la théorie est révolutionnaire, la pratique l’est beaucoup moins. D’ailleurs, une régie publique de l’eau est une bonne nouvelle, en théorie. Ce mode de gestion fait baisser en moyenne de 20% le prix de l’eau. Mais quand les journalistes en demandent plus sur le sujet à Saurel et Revol, ils se font moins diserts : « nous y reviendrons ultérieurement avec précision », répondent-ils à Midi Libre. Depuis, la baisse de prix semble évaporée dans les méandres des promesses de campagne. Tout comme la régie publique pleine et entière qui entrera en vigueur au 1er janvier 2016. Elle ne concerne au final que 13 communes de la métropole sur 31. Et cette régie ne concernera que la distribution de l’eau et pas l’assainissement dont deux contrats restent entre les mains de Véolia « pour un montant de 95 M€ ! Une façon de se consoler… », ironise Midi Libre. Les multinationales sont donc encore bien présentes dans la gestion de notre eau pour le plus grand bonheur de leurs actionnaires. Ainsi, en confiant l’assainissement en délégation de service public (DSP) à Veolia, Saurel et Revol leur assurent de substantiels profits. À lire, le magazine de la métropole de mai dernier, on apprend qu’avec l’assainissement, Veolia conserve la partie la plus rémunératrice représentant 41% du prix de l’eau ! L’eau potable, autrement dit la distribution, représente 37% du prix et les redevances « Agence de l’eau et TVA » 22%.
Le verre de la régie est donc à moitié vide ou à moitié plein selon que vous voulez voir la réalité en face ou croire à la communication. Car cette régie, même publique, va continuer à rapporter gros aux entreprises privées. Ainsi, dans sa revue de presse du 28 mars 2015, Montpellier journal nous apprend que « Naldeo (…) vient d’emporter le marché d’assistance Maîtrise d’Ouvrage pour « l’accompagnement organisationnel, juridique, financier et technique pour la mise en place de la régie de l’eau potable et de l’eau brute ». Le marché court jusqu’au 30 juin 2016. Montant : 446 136€ TTC. Ce qui n’empêche pas Saurel de seriner dans la propagande officielle de la métropole : « Bien commun de l’humanité, l’eau sera bientôt notre bien public ». Et l’élu du Parti de Gauche de poursuivre : « L’eau est un bien commun de l’humanité. Sans eau, un être humain ne survit pas plus de 3 jours ». Et sans l’eau, combien de temps une multinationale survivrait-elle ? Ce n’est pas à Montpellier que nous aurons la réponse.
Les multinationales sont comme un poison dans l’eau
L’encre des statuts de la régie de l’eau, appelée « Aqua d’Oc – Régie des eaux de Montpellier Méditerranée Métropole », est à peine sèche que cette gestion soi-disant publique sème le doute. Certes, les statuts attestent que c’est « la régie à autonomie financière et personnalité morale » qui a été choisie. « La régie publique la plus démocratique », écrit le collectif Eau Secours 34 qui lutte depuis six ans pour le retour en régie. « C’est une victoire », insiste même l’association. Le Conseil d’administration de la régie est composé de 20 membres : 14 élus de la métropole ; 4 membres issus d’associations ; une personnalité qualifiée et un représentant du personnel. « Nous demandions le maximum autorisé de représentants non élus de la Métropole (50%) mais nous n’en avons obtenu que 30% », déplore tout de même le collectif.
La régie va créer un Observatoire de l’eau à l’image de Paris : « C’était aussi une des exigences de Eau Secours 34 pour introduire un peu de démocratie directe dans la gestion de l’eau », poursuit le collectif sur sa liste de diffusion. D’ailleurs, ce dernier reste vigilant : « La régie à autonomie financière et personnalité morale est une condition nécessaire mais non suffisante pour une gestion de l’eau qui soit sociale, écologique et démocratique. Il reste encore beaucoup de batailles à mener pour Eau Secours 34. La prochaine bataille portera sur la convention d’objectifs liant la métropole de Montpellier à la régie publique. »
Pendant ce temps-là, Veolia va continuer à s’engraisser sur le dos d’Aqua d’Oc. Dans le cadre de la régie, « un responsable des systèmes d’information (statut privé) va être embauché un peu plus tard », poursuit Eau Secours 34, véritable expert du dossier qui explique que « la régie doit faire l’acquisition des logiciels de facturation, de gestion patrimoniale du réseau etc. et former le personnel à leur usage. » Et le militant de glisser : « Je crains que cela ne soit pas possible pour le 1er janvier 2016 et qu’il faille sous-traiter facturation et gestion patrimoniale à Veolia par des marchés publics d’un an. » En clair, la régie publique va passer un contrat de délégation de service public avec Veolia pour assurer la mission ! Et ce ne serait que le début d’une longue série de contrats DSP pour la régie : « Les appels d’offres pour les marchés publics (environ 80) vont dans un premier temps être traités à l’aide du logiciel de Montpellier Métropole avant que soit mis en place une structure spécifique à la régie (acquisition d’un logiciel et embauche d’un rédacteur marchés publics). » La régie publique ne serait alors qu’une coquille publique vide délégant un maximum de missions à des entreprises privées.
Et ce n’est pas Gregory Vallée, le tout nouveau directeur d’exploitation de la régie embauché sous statut privé, qui y aura quelque chose à redire. Il a été choisi parmi quarante candidats venant essentiellement de Veolia et Suez. Le conseil d’administration de la régie a décidé de ne pas attribuer le poste à un candidat venant de l’ancien délégataire. Ils ont donc choisi un candidat sortant d’un concurrent de Veolia : la Lyonnaise des Eaux. Gregory Vallée a été « Chef d’Agence » pendant « 6 ans 11 mois », nous apprend son profil professionnel diffusé sur le web. Il semble bien qu’à Montpellier, il soit difficile de se défaire des multinationales qui y sont comme un poison dans l’eau.
HydroGaïa : le salon du business de l’eau
Les multinationales et les élus ne se cachent même pas. Leurs relations cordiales s’étalent régulièrement en public à l’image du salon annuel HydroGaïa organisé au Parc des expositions de Pérols. Cette année, le thème était « Eaux et développements économiques » avec une conférence d’ouverture consacrée à « L’eau dans la ville de demain : les enjeux économiques. » Le programme des rencontres surfe sur la même vague à l’instar de la session 1 au titre évocateur : « L’eau, au cœur du développement économique. » Avec d’autres collectivités, la métropole tenait un stand dans ce salon réservé aux professionnels du secteur. René Revol y est même allé présenter la future régie publique. Mais il n’a pas eu les honneurs du salon. Sa présentation a été reléguée au stand de la métropole et non pas sur la scène des conférences.
HydroGaïa n’est pas trop dans la veine de la gestion publique et citoyenne de l’eau, loin de là. Ainsi, un militant d’Eau Secours 34 ayant assisté à la dernière édition de cette « foire des marchands de tuyaux » a pris un malin plaisir à noter scrupuleusement les propos tenus lors des conférences. Ce qui a de quoi laisser le citoyen croyant encore à une gestion publique de l’eau plus que perplexe. « C’est de pire en pire chaque année », note le scribe en introduction. Et dans son « florilège des interventions », on trouve Alain Griot du Ministère de l’Écologie pour qui « la réglementation française est trop contraignante pour les entreprises privées », « le code des marchés publics doit être assoupli » et « la transposition des directives européennes sur les marchés publics et les concessions doit être l’occasion d’assouplir la réglementation ». De son côté, Benoît Gillmann de Swelia (à lire ci-dessous) estime que « le principe de précaution tue l’innovation ». L’eau, bien commun de l’humanité et base de la vie ne devrait pas souffrir du principe de précaution ? Non, répond donc le lobby de l’eau business.
Swelia, le lobby de l’eau
À Montpellier, l’eau est un petit monde où l’entre-soi est de mise, élus compris. Ainsi, HyrdoGaïa, tout comme Swelia sont des structures permettant de mettre de l’eau dans les tuyaux pour qu’entreprises privées et collectivités convolent tranquillement sur la même barque pendant que les citoyens rament pour payer leurs factures. Swelia est un club de 100 entreprises dans le Languedoc-Roussillon « pour un chiffre d’affaires consolidé d’un milliard d’euros », annonce son site Internet. Son Conseil d’administration est composé de 23 entreprises dont les multinationales Bouygues Énergies et services, Lyonnaise des Eaux (l’ancien employeur du directeur de la régie publique qui ne sera donc pas dépaysé) ou encore Veolia eau.
Swelia est très proche de la métropole de Montpellier et de son vice-président en charge de la régie publique. Le 20 mars dernier René Revol organisait une « journée de réflexion sur les enjeux de développement économique » main dans la main avec Benoît Gillmann, président de Swelia, ce même monsieur qui trouve que « le principe de précaution tue l’innovation ». Le thème de la sauterie ? « L’eau : enjeu et composante de santé publique ». D’après la métropole, « 130 participants, entrepreneurs, collectivités publiques, syndicats mixtes du territoire » étaient réunis et ont participé au cocktail de 12h30. La collectivité ne dit pas si les élus et les dirigeants d’entreprises ont trinqué à l’eau. Quoiqu’il en soit, René Revol, qui se faisait en campagne électorale l’opposant farouche des multinationales, parade désormais en grandes pompes avec elles. Il a même prononcé un discours officiel mis en valeur par un beau calicot aux couleurs de Swelia, le lobby de l’eau.
En France, l’eau est une affaire de gros sous et Montpellier n’échappe pas à la règle. Le film « Water makes money » dans lequel la ville est en bonne place reste d’actualité. Les multinationales sont encore bien présentes et pour longtemps. Les élus restent leurs complices en mettant sur pied des « machins » comme une régie publique fantoche. Et les habitants ne vont pas tarder à découvrir le pot aux roses. Pour le moment, René Revol et Philippe Saurel restent d’une discrétion de violette sur le prix de l’eau qui théoriquement devrait baisser en gestion publique. Le mètre cube baissera-t-il vraiment ? Suspense ! Quoiqu’il en soit, en 2016, la métropole, Swelia et HydroGaïa vont continuer à faire la part belle à Veolia et ses amis pour le plus grand bonheur de leurs actionnaires. Le poison des multinationales infusera encore longtemps dans l’eau des Montpelliérains.
Nicolas Séné
Cet article est une enquête du blog Pas de roses sans épines
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