Entre solidarité et gentrification : la Commune de Figuerolles, toujours libre ?

Le Poing Publié le 14 août 2024 à 11:14 (mis à jour le 14 août 2024 à 11:32)
Le quartier populaire de Figuerolles, à Montpellier, est connu pour sa florissante végétation sur les façades des maisons. Thierry Arcaix, historien du quartier, prend la pose devant l'une d'entre elles. (Photo de Irina Iwanesko)

Thierry Arcaix est historien de Figuerolles, le quartier populaire de Montpellier dans lequel il est né. Au cours d’une balade dans les rues qui l’ont vu grandir, il livre sa parole, où les données de chercheur se mèlent aux affects de l’(ex)-habitant

Article initialement paru dans le journal papier numéro 41 du Poing, consacré aux questions internationales, paru en mai 2024 et toujours disponible sur notre boutique en ligne.

C’est dans la petite rue Saint-Antoine, à Figuerolles, que l’historien et sociologue Thierry Arcaix est né. En arpentant les ruelles étroites du quartier, il revient sur ce qui  l’a poussé à faire de ce quartier populaire de Montpellier son terrain d’études  : «  Je suis d’ici, je suis né ici, j’ai encore la maison de ma mère, et je me suis dit : mais je ne connais pas ce quartier, donc je me suis penché sur son histoire, c’était nécessaire pour le comprendre. ». C’est ainsi qu’en 2012, après avoir quitté son travail d’instituteur et reprit ses études, Thierry effectue sa thèse en sociologie, qui sera suivie de deux livres sur le quartier de Figuerolles. 

Il remonte alors au-delà de sa construction, avant le XVIIème siècle : «  Figuerolles était une zone tampon autour des fortifications de la ville, on ne pouvait pas y rester, c’était trop dangereux. Puis en 1522, après la victoire de Louis XIII sur les protestants, les environs ont été sécurisés. À partir de là, les gens ont pu construire ». Le sociologue s’attarde tout particulièrement sur les sols, qui selon lui sont aux fondements du quartier. «  Les sols ici, sont comme des éponges, ils se gorgent d’eau. Donc il suffisait de creuser pour qu’il y en ait, c’est pour ça qu’il y a eu des jardins, ce n’était que ça. Puis ça a été peu à peu construit, maintenant ça a beaucoup changé », malgré la végétation omniprésente sur les façades des maisons.

Un village dans la ville

Puis, en continuant la balade, Thierry Arcaix se replonge dans le microcosme multiculturel dans lequel il a grandi, marqué par l’insoumission et la solidarité. 

Lors de la seconde guerre mondiale, Figuerolles sert de cachette aux résistants : « C’était réputé pour être un lieu d’accueil pour les gens qui ne voulaient pas être massacrés », après avoir abrité des déserteurs durant la première guerre mondiale. «  Les communistes qui étaient très présents à Figuerolles ont créé un réseau de résistants extrêmement développé. Comme il y avait de l’argile dans les sols, on s’en servait pour faire des tuiles, et pour pouvoir récupérer l’argile, on faisait des tunnels sur des kilomètres. Alors, pendant la guerre, les gens ont utilisé ces tunnels pour cacher les résistants et des armes. »

Simultanément, Pétain interdit le nomadisme et les agriculteurs quittent les champs pour aller trouver du travail en ville, forçant la population gitane à s’installer : «  Les gitans étaient en très bons termes avec les agriculteurs, ils faisaient des échanges, ils fournissaient des chevaux. Puis quand les agriculteurs sont partis ils leur ont laissé des remises, alors certains sont restés ici . » Remises que Thierry pointe du doigt lors de notre promenade, caractéristique du quartier car présentes dans pratiquement toutes les bâtisses. 

Dans les années 40, le quartier de Figuerolles abrite des populations italiennes, gitanes et espagnoles,  et est marqué par la présence du communisme et de la religion chrétienne : « ça a créé cette identité multiculturelle. » 

La Commune libre de Figuerolles

Au sortir de la guerre, cette unité entre les habitants se matérialise autour de la création de la commune libre de Figuerolles en 1947 par Louis Roucoule. « Arrivés à la libération, les gens du quartier se sont retrouvés un peu désœuvrés mais unis. La guerre, malgré les horreurs, a permis de mettre en avant les qualités humaines, des gens qui se faisaient une grande confiance. Donc, quand ils se sont rendu compte que la Libération donnait lieu à des restrictions, des rationnements et qu’il y avait des gens qui crevaient de faim, ils ont créé la commune libre de Figuerolles, pour récupérer de l’argent pour aider les gens. Ils faisaient des manifestations festives … ça à été un grand moment. Ils avaient une grande renommée. En parallèle, les prêtres menaient aussi beaucoup d’actions solidaires.» 

C’est cet esprit d’unité qui pour Thierry marque l’âme du quartier, ou plus précisément le marquait : « À Figuerolles il y a une tradition de rébellion qui a duré très longtemps, jusque dans les années 80. C’était réputé pour être un quartier qui ne balançait pas à la police. Bon, maintenant c’est fini. Les choses ont changé, maintenant les gens sont en pleine collaboration avec la police municipale, les mentalités ont évolué avec l’arrivée de la drogue dans les années 80. »

Gentrification

C’est autour d’un café, sur la place Salengro, à l’abri du vent, que Thierry Arcaix rapporte les évolutions qu’a connu Figuerolles : « Il y a eu un afflux de plus en plus important des populations et les choses se sont accélérées en se complexifiant. Surtout qu’elles sont d’autant plus nombreuses maintenant. Il y a des tas de microcosmesMaintenant, ce qui définit le quartier, c’est ce qu’il s’y passe, pas par les gens qui y sont. »

 En effet, Montpellier, comme toute Métropole, s’étend et s’urbanise. Figuerolles n’échappe pas à la règle et Thierry constate un double phénomène, d’une part le quartier s’embourgeoise : « Le prix de l’immobilier explose. C’est très dur d’acheter quelque chose ici, c’était moins cher avant. Ça n’avait jamais été très élevé. Le style architectural est bateau, c’est beau parce que c’est de la pierre, et à l’époque c’était fait avec soin. Ça a ce côté chaleureux, encore que beaucoup de bâtisses ont été abîmées, ce qui a enlevé ce côté XIX, XXème siècle. C’est le phénomène de la gentrification qui s’applique partout. Les Parisiens achètent des maisons… On a affaire à toute une vague de gens difficiles à vivre, parce qu’ils ont des clichés sur ce que ça devrait être, sur l’exotisme… ».  Selon le sociologue, les changements dans la population du quartier altère l’identité populaire de celui-ci, qui en constitue le cœur. 

Au bout de la rue du Faubourg de Figuerolles, qui part de la place où nous nous trouvons, se dresse la cité Gély. Elle se construit en 1957, sur l’ancienne propriété de Madame Gély, qui la cède à la ville de Montpellier afin d’en faire des logements sociaux, à la seule condition qu’une église soit construite sur le terrain. Si la cité concentre actuellement une majorité de population gitane, elle regroupait à ses débuts des ouvriers pour la marque Renault. «  La première construction de la cité Gély fut en partie financée par Renault pour pouvoir y loger ses employés. Donc au début, c’était pour conserver sa main d’œuvre. Mais au bout de quelques années, les gens ont commencé à bien gagner leurs vies et donc sont partis et on construit des villas dans les zones périurbaines. Puis petit à petit, la municipalité s’est trouvée débordée par la population gitane, ils ne savaient pas quoi en faire, les appartements étaient libres, donc on les a mis là. Puis avec le temps c’est devenu une sorte de ghetto, il y des trafics en tout genre… Dans l’ensemble c’est un drôle de milieu, qui attire des gens du même bord et qui en même temps est un repoussoir, il n’y a pas vraiment de commerce à l’intérieur », précise Thierry Arcaix.

Ghettoïsation et embourgeoisement sont le lot des processus de gentrification, accompagnés d’une sécurité zélée, notamment avec une présence bien plus marquée de patrouilles de police. Mais pour Thierry ce n’est que de la façade : «  Ici la police c’est pas vraiment de la sécurité, c’est plus des opérations coups de poing comme le fait Darmanin, ça passe à la télé et puis c’est tout. »

La mairie en embuscade 

Dans cette dynamique ‘‘d’amélioration’’ des quartiers, on retrouve les appels à projets de la mairie, avec le « permis d’imaginer ». Mais pour l’instant rien n’est lancé, l’appel à projet concernant le quartier devait paraître en janvier et n’est pourtant toujours pas sorti. C’est ce que nous raconte une habitante  de Figuerolles que nous croisons dans la rue et que connaît Thierry. Dans la même veine, il aborde dans la suite de notre entretien le sujet de la Carmagnole, un espace militant dédié à la culture et au débat politique, situé rue Haguenot. 

Forcés de quitter leurs locaux au commencement de l’année 2024, ses gestionnaires n’ont pour l’instant trouvé aucun substitut et continuent donc toujours d’occuper les lieux. La mairie avait en effet proposé leur aide pour trouver une solution, mais Thierry affirme « que c’est pas vraiment ce qu’ils veulent faire ». La carmagnole est donc à l’heure actuelle dans une impasse. Toujours est-il que les habitants ont envie de recréer du lien. 

« On constate une réémergence de la vie associative », souffle Thierry, qui nuance ses propos quant à l’arrivée de nouveaux profils : « Il y a un autre côté probablement plus agréable, il y a toute une dynamique de jeunes qui sont pleins d’énergies, d’initiatives, qui se croisent, se mélangent. Il se passe plein de trucs, des apéros de quartier, des projets sur le long terme ou non. Je ne dis pas que ça fait vivre le quartier mais c’est vivant. » Pour le natif de Figuerolles, le quartier d’antan est mort. Quoi que de nouvelles formes de vies prennent place, cela n’est pas suffisant. Selon lui, le quartier ne possède plus vraiment ce noyau de réseau de connaissances qui le faisait vivre. « L’audience des structures d’aujourd’hui se mesure à Internet : par exemple, à la mobilisation pour le maintien de la friche à Mimi, il y avait plein de monde, mais je ne connaissais personne. C’est drôle, c’est plus le même monde, avant ça se recrutait au niveau du quartier maintenant c’est des gens qui peuvent venir de complètement ailleurs. Ce n’est plus à l’échelle locale, ça a un côté éphémère, superficiel. La notion de quartier ne tient pas, l’identité s’est diluée, maintenant c’est une zone urbaine. Il s’y passait plein de choses. Ça disparaît, puis de nouvelles choses apparaissent. »

Irina Iwanesko

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