Archives - Infos locales 17 avril 2015

Entretien avec les « voleurs » des poubelles

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Le Poing est parti à la rencontre de Léa et d’Adrien, jugés coupable pour « vol » mais dispensés de peine après avoir été arrêtés les deux mains dans les poubelles d’un supermarché de Frontignan. Extrait.

Le Poing : Jugés coupables mais exemptés de peine. Cela signifie quoi selon vous ?

Adrien : Le directeur du supermarché a porté plainte sur demande de la police mais il a refusé de se constituer partie civile, étant donné qu’il n’y a eu aucune dégradation. Pour moi, le fait de juger coupable avec dispense de peine c’est une façon de se couvrir pour les législateurs et pour les hommes de loi, cela permet de se dire « vu qu’il n’y a rien de grave et que l’histoire a été très médiatisée on ne va pas trop leur taper dessus mais on se garde la réserve d’en foutre plein la gueule à d’autres ». C’est une manière d’admettre que « la récup’ c’est bien c’est dans l’air du temps », tout en ne froissant pas la grande distribution. C’est une non-décision de justice.

Pour quelles raisons « faire les poubelles » ?

Adrien : C’est mon mode de vie qui m’a emmené à faire les poubelles. L’entrée en squat peut être vue comme un « choix contraint » : la contrainte économique est à l’origine de ce mode de vie pour moi mais ça m’a amené à choisir les contraintes d’une vie de débrouille plutôt qu’accepter de travailler huit heures par jour dans un domaine qui ne me plaît pas. Je me sens plus honnête avec moi-même.

Léa : J’ai le même mode de vie, mais depuis cette histoire je ressens de plus en plus le besoin de montrer ce qu’il se passe avec la surproduction. Il y a plein de gens qui ne se rendent pas compte des conséquences de notre consommation.

Justement, que pensez-vous de l’initiative des Gars’pilleurs * ?

Adrien : Je soutiens tout à fait ce qu’ils font, ils sont très sympas et nous ont d’ailleurs beaucoup soutenu dans cette histoire. Dénoncer le gaspillage est une chose mais il faut faire attention que ça ne prenne pas le pas sur les gens qui en ont vraiment besoin. On parle beaucoup de « choix politiques » et de revendications mais il ne faut pas oublier qu’il y a toute une frange de la population qui sans ça, crève de faim. Personnellement, je peux très bien m’acheter des pâtes mais grâce aux poubelles je vis vachement mieux, il faut toujours garder ça à l’esprit. D’ailleurs France 2 nous a suivi dans une récup’ il y a peu de temps et nous a posé quelques questions. Nous n’étions pas seuls à fouiller dans ces poubelles, il y avait aussi des personnes là pour survivre et bizarrement ils n’ont pas retenu leurs réponses dans le reportage. Leur discours était très différent : pour eux fouiller dans les poubelles permet de ne pas se résigner à dépendre d’une institution telle la Croix-Rouge ou les Restos du cœur. C’est un peu ambivalent comme situation, revendications politiques et conséquences de l’extrême pauvreté se croisent sans pour autant correspondre.

Quelles sont vos revendications concrètes ?

Léa : Je pense qu’il faudrait rendre accessibles les poubelles de tous les supermarchés.

Adrien : Je suis d’accord. Je crains que les directives européennes contre le gaspillage alimentaire discutées actuellement, à savoir de recréer des circuits de distribution avec ces invendus ne conduisent qu’à les réintégrer dans la sphère marchande et donc de créer une sorte de marché des plus pauvres. Je suis donc un peu partagé entre le libre accès et la redistribution, nous aurions tout perdu si ces invendus redevenaient des marchandises.

Mario Bilella

* « Les Gars’pilleurs est un mouvement informel et ouvert, dénonçant les aberrations de l’agroalimentaire en sensibilisant et en distribuant gratuitement sur la voie publique les denrées jetées par les supermarchés, boulangeries, etc. », plus de précisions sur : lesgarspilleurs.blogspot.fr

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