Epreuves du baccalauréat : un tournant inquiétant vers la localisation du bac

Le Poing Publié le 23 juin 2021 à 12:14
Blocus contre parcoursup en 2019 devant le lycée Jules Guesde. Crédit photo : Félix Rachas

Depuis quelques jours, les élèves de terminale ont passé les épreuves finales du baccalauréat. Un baccalauréat assez forcé sur les élèves et presque fictif au vu de sa comptabilisation. Pour rappel, seule la meilleure note entre le bac et le contrôle continu sont conservées et les élèves n’auront à passer que le bac de philosophie. Certains professeurs dénoncent ainsi « un bac qui n’existe pas et qui n’en porte que le nom », comme le cite un communiqué d’organisations de professeurs. Il est vrai que l’épreuve semble tout d’abord peu prise au sérieux pour les élèves qui dans la grande majorité y vont pour faire acte de présence.

Ce baccalauréat qui a un aspect d’épreuve nationale pose question. Il offre certes une chance aux élèves plus en difficulté de rattraper leurs notes comme le demandaient les syndicats lycéens (UNL, MNL, Sud Lycéen.es…). Au vu des inégalités entre les établissements scolaires, du débâcle du distanciel, les élèves n’étaient pas bien préparé.es à passer les épreuves . À cela s’ajoute le progressif passage de l’enseignement public à distance sur le modèle des formations du privé (comme e projet Nexus à l’université Paul Valéry), qui a le triple avantage de flexibiliser donc gagner du temps de travail, réduire les coûts de gestion et de personnel et surtout empêcher l’organisation des professeur.es et élèves dans la défense de leurs intérêts. Plus que la bonne vieille réunion syndicale, c’est la discussion d’une polémique après quelque chose passé en classe ou dans la cour qui enclenche le processus de politisation au lycée. Cette année, qui a vu un discours défaitiste prendre beaucoup d’ampleur, se termine sur une désorganisation des luttes syndicales et lycéennes, qui se retrouvent à revendiquer un bac 100% contrôle continu quand c’est justement la volonté de Blanquer qui était rejetée en bloc un an auparavant. Cette revendication était certes, légitime à court-terme, mais l’enjeu politique à long terme inquiète le personnel éducatif.


Le contrôle continu : pour le contrôle permanent des élèves

En effet, depuis quelques années, le bac prend un virage vers le contrôle permanent des élèves, et la mise en concurrence des élèves via Parcoursup. Le caractère national et égalitaire de l’épreuve est en effet dévalué encore une fois à travers cette « mascarade » comme le dénoncent les professeur.es. Comme le promettait partiellement la réforme Blanquer, cette fois le bac est complètement laissé à l’appréciation des établissements et des enseignant.es . Ce qui implique par ailleurs une responsabilisation des professeur.es, « jamais vue » comme le témoigne une enseignante du secondaire « On reçoit des appels des parents d’élèves demandant de noter mieux leurs enfants, on sent que la pression est extrêmement forte sur les élèves.». Cette année ce n’est pas les 40% du contrôle continu promis mais la quasi-totalité du bac en contrôle permanent. Plus le droit à l’erreur, mettant en exergue les inégalités sociales entre les élèves et les établissements, les élèves sont soumis à un contrôle entrepreneurial permanent. De plus les conditions d’enseignement cette année ont été très disparates entre les élèves : par exemple au lycée La Merci, les élèves avaient cours « en présentiel » toute les semaines alors que au lycée Jules Guesde seulement une semaine sur deux. Au vu de la faible valeur du bac, on assiste à la quasi-disparition de l’idée d’une épreuve commune à toustes les lycéen.nes. Incitant le classement entre les établissements scolaires. Une réforme qui valorise encore l’impitoyable plateforme Parcoursup comme outil de sélection au « mérite ».


Un « grand oral » qui renforce les inégalités

De plus, ce bac marque l’arrivée de l’épreuve du « Grand Oral », remplaçant l’épreuve du TPE, phare de la réforme Blanquer. Et c’est d’ailleurs la seule épreuve qui est complètement notée de manière traditionnelle…Cet oral de 20 minutes fait étrangement penser à un oral entrepreneurial dans son organisation. Les élèves doivent présenter en seulement 5 minutes un sujet libre ainsi que leur « projet d’étude et projet professionel ». Et du côté des professeurs la notation est particulière : alors que le TPE valorisait le contenu et les connaissances, les professeurs sont demandés d’évaluer « la motivation de l’élève et ses capacités à l’oral ». Pour des professeur.es concernés, cela semble absurde : « On ne peut même pas vraiment poser de questions le contenu n’est pas noté. On doit seulement noter sur l’aisance de l’élève à l’oral devant un jury…Je ne sais vraiment pas comment noter ». Un communiqué de professeur.es dénonce ainsi que « Aucune harmonisation de l’évaluation n’a été faite entre collègues des jurys, renforçant le caractère subjectif de cette évaluation ». De plus, les conditions sanitaires ont appauvri la préparation à l’épreuve : « Les inégalités sont très fortes entre les élèves quant à la préparation de ces épreuves. On privilégie l’aptitude à s’exprimer et pas du tout le contenu ou la qualité de l’oral . Et beaucoup d’élèves compétents ne sont pas forcément à l’aise à l’oral à cette âge là. Surtout que beaucoup n’ont pas pu s’entraîner », témoigne une enseignante du lycée Jules Guesde. Et surtout que, comme l’a très bien rappelé Mathieu Devlaminck, membre de l’UNL, les aptitudes à l’oral sont souvent intimement liées au milieu social « On est en train de me dire, que, effectivement, la parole est un marqueur d’inégalité sociale (…) et on me dit en même temps qu’on met une épreuve d’oral justement pour lutter contre ces inégalités. ». Des enseignant.es ont entamé une grève du grand oral aujourd’hui pour protester contre sa mise en place.

Des politiques de gestion déshumanisantes

De plus, ces professeur.es dénoncent également une « désorganisation » de la part du rectorat ainsi que de l’éducation nationale quant aux épreuves du baccalauréat. Déjà que la gestion sanitaire semble inquiétante, la convocation des élèves aux épreuves a été « chaotique ». En effet, la semaine dernière, à quelques jours du début des premières épreuves, aucun des professeur.es n’avaient reçu leur convocation. Alors que ceux ci pouvaient être affectés sur tout le territoire de l’académie, donc jusqu’en Lozère par exemple. Ce qu’on dénoncé les professeurs syndicats de l’éducation : « C’est inacceptable ! Nous ne savons toujours pas où nous pouvons être affectés et nous sommes alors dans l’incapacité de nous organiser par exemple pour le transport ou le logement. Cette gestion est extrêmement déshumanisante pour le personnel éducatif » , témoigne S.Audebeau, co-secrétaire académique du SNES. “C’est la première année ou nous n’avons pas reçu nos convocations à cette date” explique t-il. Encore aujourd’hui, des professeur.es ont reçu des convocations pour les épreuves pour le jour-même. Entre la volonté d’affecter les professeurs au rang d’examinateur permanent avec l’installation du contrôle continu, et la dégradation des conditions de travail, le rôle « d’enseignant » se déshumanise de plus en plus. Et les premiers à en pâtir sont les élèves qui sont de plus en plus en proie à des politiques de « management » au service de l’emploi. Il est bon de rappeler que l’ école devrait avoir le rôle d’apprentissage et non de conformisation au marché de l’emploi. Mais ces réformes, dont Parcoursup et la réforme Blanquer sont la continuité, sont loin d’être nouvelles et sont plutôt le résultat d’une quarantaine d’années de politiques de privatisation, individualisation et préconisation de l’enseignement public.

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