Flics, militaires : la tentation du coup de force
Le 21 avril dernier, une tribune de militaires publiée dans le journal Valeurs Actuelles s’inquiétait d’un délitement de la France, menacée par « l’islamisme » et les « hordes de banlieue ». Ce texte prophétisant une guerre civile et une intervention de l’armée se soldant par des « milliers de morts » (rien que ça) n’avait entrainé presque aucune réaction dans un premier temps. À la suite d’une intervention de Jean-Luc Mélenchon, certains membres du gouvernement ont finalement condamné la tribune et appelé à des sanctions. Tout en minimisant. S’agit-il pourtant d’une initiative isolée de généraux retraités, pour reprendre les termes de la ministre de la Défense… ?
Une répression inspirée du Brésil ou des Philippines
Certainement pas. Selon un sondage Harris Interactive réalisé pour LCI, 58% des Français interrogés expriment leur accord avec le texte. Une majorité conséquente de la population envisagerait donc sérieusement un recours à l’armée face à des troubles graves que subirait actuellement le pays. Dans quel cadre ? Avec quels effets ? Mystère. Même s’il faut prendre ces enquêtes d’opinion avec des pincettes, un tel résultat devrait nous interpeller.
Le 9 mai, rebelote – toujours dans Valeurs Actuelles. Cette fois, des militaires d’active s’expriment anonymement pour « alerter sur la gravité de la situation ». Ils y font référence à leurs collègues morts sur divers champs de bataille, ayant « offert leur peau pour détruire l’islamisme auquel vous faites des concessions sur notre sol ». Trois jours plus tôt, un syndicat policier (France Police) adressait une lettre ouverte au président, réclamant l’aide de l’armée pour boucler des « territoires perdus », suivant en cela « le modèle israélien de séparation mis en place avec les territoires palestiniens ». Et de poursuivre : « notre syndicat de police vous recommande de vous inspirer du modèle brésilien et Philippin (sic) en matière de lutte contre le narco-terrorisme ». Rappelons que dans chacun de ces pays, les victimes d’exécutions extralégales par les forces de l’ordre se comptent chaque année en milliers, et le nombre est en augmentation.
Le serpent se mord la queue
Avec un tel soutien de l’opinion publique, nul doute que les militaires et les policiers rêvant de reconquérir les banlieues à coups de canons et de balles traçantes seront confortés dans leurs fantasmes sanglants. Qu’est ce qui a pu conduire à une telle situation, dans un pays où les coups de force sont associés à la Guerre d’Algérie ou aux dictatures bananières… ? Si la Cinquième république se construit par un coup d’Etat – celui du général De Gaulle, l’armée est depuis sensée être apartisane. Et les forces de police strictement contrôlées. Oui, mais non.
L’hystérie droitière qui prévaut dans les médias permet d’entretenir un cycle sans fin, une surenchère perverse menant à une prophétie autoréalisatrice : à force d’annoncer la guerre civile, de menacer d’un grand danger, on finit par le faire apparaître pour « prendre les devants ». Qu’on ne s’y trompe pas : des éditorialistes réacs aux officiers nostalgiques du putsch des généraux en passant par les syndicats policiers et les politiques opportunistes, tout ce petit monde profite de la situation et entretient ce climat de terreur. Pourquoi parler des vrais sujets quand on peut se poser en rempart contre le chaos à venir ? Rappelons alors quelques faits.
Les syndicats de police jouent la surenchère fascisante car les gouvernants leur offrent tout ce qu’ils demandent. Les guerres au Mali, en Afghanistan ou en Centrafrique évoquées par la nouvelle tribune des militaires ne permettent pas de faire reculer le terrorisme : elles se font au nom d’intérêts économiques occultes, et nourrissent justement le terrorisme. Le trafic de drogue ou l’islamisme ne sont pas les conséquences d’un laxisme imaginaire mais de décennies de gestion sécuritaire et de mesures d’austérité ayant pavé la voie au chacun pour soi et aux idéologies réactionnaires. Parler de valeurs républicaines et de libertés publiques en appelant à la répression militaire est une hypocrisie sans nom. Les médias ne se font pas les porte-paroles de ce que l’opinion publique pense : ils façonnent cette dernière. Enfin, tout ce personnel vivant des peurs qu’il attise a et aura du sang sur les mains, et devra être considéré pour ce qu’il est.
Plus que jamais les pires criminels sont au pouvoir. Et ils nous préparent un futur bien sombre.
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