Foyer Adoma : les résidents s’organisent pour leur droits et la dignité à Montpellier

Le Poing Publié le 7 juin 2020 à 14:20
Autour d’un couscous distribué en plein air, la vie sociale est entretenue au foyer, avenue Père Soulas à Montpellier.

Le confinement a été particulièrement douloureux dans un établissement montpelliérain d’une incroyable vétusté.

Hassan est petit, physiquement cabossé par l’existence. Mais sa voix porte fort. En colère. Ce samedi, il n’hésite pas à faire pénétrer les visiteurs à l’intérieur même de l’enceinte du foyer Adoma, au 534 de l’avenue du Père Soulas, à Montpellier. On ne sait pas trop si la direction va apprécier. Mais bon « on va quand même pas vous accueillir sur le trottoir. Nous sommes ici chez nous ! Nous payons assez cher pour ça ». Par exemple 327 euros mensuels dans son cas, pour vivre, depuis vingt ans, dans une pièce de… sept mètres carrés. « C’est plus cher que le deux-pièces que j’avais à Plan Cabanes. Mais j’ai dû partir parce que le propriétaire a cessé de louer ».

Sept mètres carrés, donc : « C’est un petit peu mieux qu’une cellule de prison. Etonnez-vous d’avoir de l’arthrose avec ça » ironise Hassan, en soulignant aussi « l’absence d’ascenseur ». Or, au foyer, la plupart des cent cinquante résidents « sont des messieurs âgés. Beaucoup ne savent pas lire ni écrire en français. La direction abuse de cette faiblesse. D’ailleurs on ne sait jamais qui dirige vraiment, on les voit pas. On n’est au courant rien. Et il règne comme une intimidation ».

Mais les choses sont en train de changer. C’est ce qu’il fallait affirmer ce samedi 6 juin sur les lieux mêmes. La Cimade, l’Association des travailleurs maghrébins, Droit au Logement (avec son Collectif pour l’avenir des foyers – COPAF) aiguillaient tout un chacun dans son accès aux droits. Dans le milieu fragile de la population d’un foyer, le confinement a fait plus de ravages qu’ailleurs. On y est plus vite déboussolé. C’est le moment de se ressaisir.

Driss, par exemple est à la retraite depuis janvier. Il n’a pas perdu sa jovialité, alors que sa situation est kafkaïenne : « L’assistance sociale a quasiment disparu. Je n’ai reçu qu’hier un courrier de l’assurance retraite me demandant seulement mon adresse mail ! » Autrement dit il y en a encore pour des mois avant que son dossier soit bouclé. En attendant, voici bientôt déjà six mois qu’il n’a pas touché un euro : « A mon âge voici que je dépends de ma sœur pour avoir encore quelque chose à manger ».

A son côté, le très élégant Ali demande à qui veut l’écouter comment il peut effectuer un dépistage du COVID qu’on lui réclame avant un très important rendez-vous médical ce 11 juin. « Je n’y comprends rien. Je me suis rendu dans un labo. Là on m’a dirigé vers un site Internet. Je crois l’avoir rempli correctement, mais bon, voilà quinze jours que je reste sans réponse ». Si cette affaire de dématérialisation, aussi banale qu’infernale, n’est pas réglée ce lundi, le précieux rendez-vous principal risque d’être encore repoussé de plusieurs mois.

A cette journée au foyer, on avait aussi invité toute une série d’associations humanitaires, et autres groupes solidaires plus ou moins formels, qui ont su tendre la main pendant la période du COVID. La vie sociale, dans ces lieux, ne compte pas pour rien. C’est bien ce qui inquiète Michaël, l’animateur du COPAF, le fameux comité pour l’avenir des foyers. Car Adoma s’apprête à ouvrir un établissement flambant neuf dans le parc Euromédecine. Là-bas, les studios feront au moins vingt mètres carrés. C’est un grand mieux : « Mais c’est aussi un changement radical de philosophie. On passe du foyer social à la résidence studio. C’est bien sûr une amélioration, d’avoir son propre coin cuisine, ses sanitaires personnels, sa salle de bain à soi. Mais on liquide aussi les espaces communs, salles de télévision, de prières, cuisines partagées, qui aident à un sentiment de vie partagée ».

Et Hassan s’inquiète : « Euromédecine est loin de tout, c’est absolument sinistre. Pour toutes ces personnes âgées, ça sera très dur de s’adapter. Ça fait des années qu’on n’en parle. Et on ne sait rien de sûr. On n’a jamais été consultés ». Sébastien vit lui aussi au foyer, il est membre de Droit au Logement, et déplore « un sentiment de confiance qui ne s’est jamais installé. Dans la moindre réclamation, la direction voit un acte d’hostilité, alors qu’elle devrait se réjouir d’une prise de conscience citoyenne. Alors que nous ne sommes jamais que des travailleurs comme les autres, certes parmi les plus démunis, on sent bien qu’on est considéré en sous-catégorie. Aux yeux de la municipalité, ou du département, on passe après les habitants des cités, au rang de la considération qui nous est due ».

Alors que les foyers Adoma ne sont que le plancher premier du logement social, alors qu’ils dépendent de la Caisse des dépôts et consignations, hyper puissante et hyper publique, ces lieux n’ont pas complètement tourné la page d’une époque où on les conçut pour entasser de jeunes immigrés célibataires des Trente glorieuses, ratissés dans les campagnes pauvres du Maghreb, et ici confiés à la garde de militaires coloniaux fraîchement reconvertis. « Le suivi social, qui fait partie des services que nous payons, n’est assuré qu’a minima, par des associations sous-traitantes. Ca n’est pas vraiment du suivi, et c’est ainsi que ces foyers deviennent des pièges où on s’éternise, sans droits, alors qu’on ne devrait y séjourner qu’à titre transitoire, pour une sortie vers le haut ».

Encore faudrait-il que ne s’applique pas ce qu’il appelle « une règle non écrite, sortie de nulle part, par laquelle on exige une somme économisée de mille euros pour pouvoir accéder à une meilleure solution de logement. C’est infantilisant, et de toute façon hors de portée pour la plupart ». Et voilà comment ne sont pas rares les résidents de trente années d’ancienneté en ces lieux. Ces anciens immigrés ont opté pour un mode de vie mondialisé hyper-contemporain : ils passent une partie de l’année dans le contexte affectif du pays d’origine, la famille et les racines, et l’autre partie sur la rive nord de la Méditerranée, où ils se sont forgés un autre style de vie, ont accédé à des droits, qu’ils apprécient aussi.

« Qu’est-ce que vous voulez. Avec la retraite et les aides, j’ai huit cents euros par mois. Alors trois cents euros, même pour sept mètres carrés, je ne me plains pas vraiment » assure Mohamed, à la porte de son chez lui, qu’il tient à faire visiter – tenu très propre – tout en se battant avec ses yeux poour arriver à nous lire le montant de son loyer à la virgule et au centime près. Pendant quoi, à deux pas de là, Sébastien fait visiter la cuisine collective, avec son équipement rudimentaire d’une vétusté ahurissante. Quant aux toilettes et aux douches, leur aspect ne déparerait pas chez un marchand de sommeil. On en avait entendu parler. L’observer reste ahurissant, dans un bâtiment public, où l’on perçoit des loyers.

Le bouquet a été atteint pendant le mois de ramadan, et de confinement, quand il n’y eut pas d’eau chaude pendant plus de quatre semaines (!) Et encore ce problème n’était-il qu’une redite d’un phénomène récurrent. A ceci près que depuis quelques temps, la direction se voit un peu secouée par le dépôt d’une pétition, de deux, de trois, finalement quatre pétitions à ce propos, et puis courrier avec accusé de réception à la direction territoriale Occitanie… Etc. C’est nouveau. « Ces gens qui n’ont rien sont des gens qui ont peur. Et bien non ! Il ne faut plus rester silencieux » martelle Hassan, qui n’est pas de ceux qui accueillent ses invités en les laissant sur le trottoir.

Douches et WC dans un état ahurissant au foyer Adoma de Montpellier

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