Grèce : City Plaza, l’hôtel athénien réquisitionné pour les migrants, dans le viseur de Syriza
Le 24 octobre 2018 était organisée au cinéma l’Utopia de Montpellier une projection du film « Babel Plaza, une oasis dans l’exil », suivie d’une discussion avec le réalisateur Jean Jacques Cunnac. Centré sur l’expérience du City Plaza, gigantesque hôtel réquisitionné en avril 2016 par un groupe d’activistes grecs en plein cœur d’Athènes, le moyen-métrage fait la part belle aux témoignages des réfugiés qui se sont appropriés le lieu.
La Grèce, « terrain d’essai des politiques européennes qui bafouent les droits »
Petit retour sur la genèse de l’expérience. En janvier 2016, la Macédoine décide de fermer sa frontière avec la Grèce, provoquant ainsi une cascade de réflexes sécuritaires de la part des pays voisins, qui craignent un afflux supplémentaire de migrants à leurs frontières. En mars, la Bulgarie annonce l’extension du mur de barbelés le long de sa frontière avec la Grèce, sur laquelle se déroulent par ailleurs deux exercices des forces de l’ordre avec véhicules blindés et hélicoptères. Des patrouilles mixtes entre gardes-côtes italiens et forces albanaises surveillent désormais la frontière albano-hellène.
En parallèle était signé, toujours au mois de mars 2016, un accord entre l’Union Européenne et la Turquie, prévoyant que tous les nouveaux migrants irréguliers arrivant sur le territoire grec puissent être renvoyés en Turquie, en échange d’une aide financière et d’avancée dans le processus de négociation pour l’adhésion à l’Union Européenne. Ce qui mène aujourd’hui à 4 millions de réfugiés en Turquie, selon un rapport de la commission européenne du 21 septembre 2018, vivant dans des conditions bien souvent déplorables.
Cet accord « expose les réfugiés et les demandeurs d’asile à des risques et des abus », selon l’International Rescue Committee (IRC), le Norwegian Refugee Council (NRC) et Oxfam dans un rapport d’une dizaine de pages. Entre 45 000 et 60 000 migrants se retrouvent piégés en Grèce. Selon les ONG, la Grèce est ainsi devenue un « terrain d’essai des politiques européennes qui bafouent les droits ». Il restait encore en mars 2018 près de 13 000 réfugiés dans les très médiatisés camps des îles grecques, comme ceux de Lesbos ou de Moria. Des lieux visités par Jean-Jacques Cunnac, qui y décrit « des conditions de vie juste inimaginables ». Mediapart publiait le 4 décembre 2017 une série de témoignages glaçants recueillis auprès de personnes habitant ces camps.
7 étages pour quelques centaines de réfugiés
C’est ce qui motive la réquisition, le 22 avril 2016, de cet hôtel laissé inoccupé par la crise économique. « Un îlot de vie au cœur de l’exode en plein centre d’Athènes : le City Plaza. Une tour de 7 étages, squattée par des réseaux anarchistes, comme ultime acte de “solidarité agressive”, pour permettre à plus de 420 réfugiés de vivre dans la dignité. Réfugiés, jeunes bénévoles européens, activistes grecs, hommes, femmes, enfants y partagent le quotidien et s’exercent à expérimenter un modèle, celui de l’autogestion, où chacun doit être acteur et participer. » Le synopsis du film situe efficacement la démarche.
Les réfugiés y réalisent les trois quarts des tâches, ce qui laisse même peu de place aux nombreux bénévoles et volontaires de passage voulant se rendre utiles et attirés par la forte médiatisation du lieu. Tout le monde n’est pas pour autant pleinement investi, et la démarche autogestionnaire connaît aussi ses limites. Le site Infomigrants.net propose également des entretiens complémentaires avec quelques un des habitants de l’ancien hôtel : « Saad, le réfugié palestinien, n’essaie pas de se défiler sur la question. “On n’est pas très intéressés par leurs réunions parce qu’on ne veut pas rester ici”, explique-t-il tout simplement. De son côté, John, réfugié nigérian, n’était même pas au courant qu’il y avait des assemblées politiques dans le bâtiment. “Je reste souvent dans ma chambre”, confie-t-il. “Nous avons des assemblées pour parler des problèmes logistiques, des problèmes d’intendance, mais aussi pour discuter des actions à mener pour faire entendre notre voix [dans la gestion de la crise des réfugiés]”, précise Eleni, militant grec. Mais force est de reconnaître que l’autogestion de ce lieu ne trouve que peu d’écho parmi les réfugiés. “Ils ne participent pas aux réunions… On voudrait qu’ils se sentent chez eux, mais ça ne marche pas vraiment. Pour eux, nous ne sommes qu’un lieu de transit. Leurs préoccupations sont terre-à-terre. L’autre fois, quelqu’un m’a demandé plusieurs fois pourquoi il n’avait pas de télé dans la chambre”, raconte Eleni. »
Le chômage reste très élevé en Grèce, et les perspectives d’avenir ne sont pas toujours exaltantes pour les migrants sur place. Comme en témoigne cette fille d’une famille iranienne vivant au City Plaza, qui « travaille en restauration, au black évidemment, pour cinq euros par jour ». Aujourd’hui, ils ne sont plus que 250 migrants à loger dans ce lieu récupéré, après le départ de quelques personnes ayant « bénéficiés » du regroupement familial en Belgique, Allemagne, ou Suède.
Un pouvoir hostile
« City Plaza est le meilleur hôtel de toute l’Europe », avait déclaré Konstantina Kouneva, eurodéputée Syriza et ex-syndicaliste défigurée à l’acide pendant l’hiver 2008 et le mouvement de protestation contre la mort du jeune Alexis Grigoropoulos. « Il héberge la solidarité, l’estime de soi, et les capacités créatives de l’être humain ».
Mais le même son de cloche ne sonne pas dans l’ensemble de la coalition de gauche radicale Syriza arrivée au pouvoir en 2015. Ainsi, lors de la signature de l’accord entre l’Union Européenne et la Turquie, Athènes s’était engagée à reconnaître la Turquie comme « pays tiers sûr », malgré les conditions de vie désastreuses des millions de réfugiés présents sur le sol truc. Commentaire personnel d’Alexis Tsipras, premier ministre Syriza du gouvernement grec : « C’est une avancée majeure pour l’UE ».
Le City Plaza est aujourd’hui très menacé. Les autorités de la ville font des annonces fréquentes sur son expulsion prochaine par les forces de l’ordre. Pour Giorgos, militant grec intervenant dans le film, « l’hôtel sera un des derniers lieux occupés de la ville à être évacué, à cause de sa popularité, ici, en Grèce, mais aussi à l’international. Et aussi à cause de sa population trop importante pour le moment. La municipalité et l’État nous proposent plus fréquemment qu’aux autres squats de migrants des plans de relogements, pour faire baisser la population et expulser derrière. Il y a depuis la crise beaucoup d’autres logements vides à Athènes, mais Tsipras et Syriza manquent de volonté et de courage politique pour mener des réquisitions, et autoriser celles qui se font spontanément. De toute manière, sur tous les plans tous les gens de gauche les considèrent comme des vendus ici. » Une situation qui, aux dires du réalisateur Jean-Jacques Cunnac, est tempérée par « une immense bienveillance de la population à l’égard des réfugiés, malgré Aube Dorée et la montée de l’extrême droite. Il y a également beaucoup d’écoles à Athènes qui ont décidé de scolariser les enfants de migrants, en dehors des cadres légaux. »
Il faut dire aussi que le pouvoir grec doit composer avec des institutions qu’il n’a pas toujours choisies. Difficile de mettre sur le dos de Syriza toutes les violences policières contre les migrants, très fréquentes en Grèce, alors que l’extrême droite fascisante séduit très largement dans les rangs des forces de l’ordre. Dans la nuit du 22 au 23 avril, lors de l’attaque du camp de réfugiés de Lesbos par des groupes d’extrême droite proches du parti néo-nazis Aube Dorée, Tsipras a accusé la police d’avoir tardé à intervenir.
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