Hassan Nasrallah : Castro libanais ou tyran ?
Ce 27 septembre disparaissait Hassan Nasrallah. La mort à Beyrouth du leader du Hezbollah lors d’une frappe aérienne était présentée aux médias comme une victoire décisive d’Israël. Il aura pourtant fallu seize ans de traque, deux guerres, et un bombardement gigantesque causant plusieurs centaines de morts civils pour en venir à bout. En 2006 déjà, la kitschissime chanson israélienne “Yalla ya Nasrallah” annonçait la mort de ce “diable” – une prophétie un peu retardée par l’humiliante défaite de Tsahal au Liban, alors que les chars Merkavas flambaient. Ce mois de conflit avait fait du Hezbollah un adversaire redoutable, et de Nasrallah, une cible à abattre.
Le résistant
S’il fallait résumer son parcours en quelques mots, disons que la vie de Nasrallah est à l’image de l’histoire libanaise contemporaine. Né en 1960 dans une famille chiite pauvre, déplacé par la guerre civile de 1975, réfugié en Irak où il étudie la théologie, il rentre ensuite au pays et rejoint le Mouvement des dépossédés (futur mouvement Amal) – il faut rappeler que si les chiites représentent environ un tiers de la population libanaise, cette communauté est marginalisée économiquement et politiquement depuis l’indépendance.
Suite à l’invasion israélienne de 1982, Nasrallah se radicalise et rejoint le Hezbollah, parti nouvellement formé avec l’appui massif de l’Iran des mollahs. Il en gravit les échelons pour en devenir dix ans plus tard le dirigeant. Le Hezbollah s’implante dans le sud et s’impose progressivement comme le parti de la résistance à l’occupation israélienne. C’est l’organisation qui conserve le principal appareil militaire après la retraite de Tsahal en 2000. Durant ce temps, le “Parti de Dieu” a réussi à rallier à son front de la résistance ou à écraser par la force ses différents concurrents, des organisations palestiniennes (plusieurs millions de réfugiés palestiniens vivent dans les camps de réfugiés) aux chrétiens libanais pro-israéliens.
Le Hezbollah reprend le discours social et l’organisation très poussée des communistes, alors en plein reflux au niveau mondial, tout en assumant un lien privilégié avec le régime iranien. Ce ne sont pas les seuls : même des organisations de la gauche palestinienne comme le Front populaire de libération de la Palestine se rapprochent de l’Iran, par opportunisme ou par recherche de soutiens…
Le bourreau
Après sa nouvelle victoire de 2006, Hassan Nasrallah est au zénith de sa popularité. Le Hezbollah constitue à cette période un “Etat dans l’Etat” au Liban : sil il ne prend pas directement le gouvernement (la répartition des pouvoirs entre les différentes communautés étant verrouillée par la Constitution), ses députés règnent au parlement, ses organisations tiennent des régions entières du Liban et sa branche armée, placée par l’UE sur la liste des organisations terroristes, est plus puissante que l’armée libanaise elle-même.
La position pro-iranienne du parti de Nasrallah se traduit aussi par un soutien politico-militaire sans faille au régime de Bachar el-Assad, qui permet aux combattants libanais de s’aguerrir – tout en participant encore une fois à la répression impitoyable de l’opposition syrienne.
Exercer le pouvoir a également un coût : malgré son action sociale dans ses fiefs, le Hezbollah reste un parti-milice religieux et réactionnaire, qui justifie sa mainmise intransigeante par l’impératif de la résistance sacrée à l’envahisseur – au Liban comme en Palestine. Haï ou craint par nombre de sunnites, de chrétiens, sa popularité (et celle de Nasrallah) dégringole avec la crise économique terrible qui affecte de plus en plus durement l’économie libanaise. Les grandes manifestations de la révolte de 2019-2020 voient le peuple demander des comptes aux responsables politiques, officiels ou officieux. Et le Hezbollah est là pour les réprimer. Puis, le 4 août 2020, les explosions du port de Beyrouth mettent un terme sanglant à la contestation : avec plus de 250 morts et des milliers de blessés, cette catastrophe aux causes encore discutées fait basculer le pays dans le désespoir.
Le martyr
Au matin du 7 octobre 2023, tout change pour Hassan Nasrallah. L’opération lancée par le Hamas et ses alliés le prend de court : suite aux bombardements israéliens sur Gaza, il se trouve dos au mur. Son organisation ouvre un “front nord” en soutien aux combattants palestiniens. En faisant le service minimum : quelques roquettes et missiles antichars, suivis de représailles israéliennes dévastatrices. Le Hezbollah se retrouve pris dans un engrenage qu’il ne contrôle plus. Lui qui attendait de pied ferme une nouvelle incursion de Tsahal commence à perdre des combattants à un rythme alarmant. Pire, avec la destruction totale de Gaza, Israël tourne son attention vers ce nouveau front et met en place des opérations de terrorisme particulièrement violentes au Liban : explosion des bipeurs des réservistes du Hezbollah, assassinats ciblés dans plusieurs pays, destruction systématique des villages frontaliers, accompagnés d’une escalade inquiétante avec l’Iran…
Acculé, Hassan Nasrallah est finalement tué dans son bunker au cours de l’automne 2024, comme de nombreux autres dirigeants de l’organisation. Seul l’avenir dira si le Hezbollah est capable de se reconstruire ou si son rôle sera repris par de nouveaux acteurs régionaux. Quant à Hassan Nasrallah, quelle image laissera-t-il dans l’histoire ? Certes, il n’a pas eu la mort spectaculaire du chef du Hamas Yahya Sinouar, filmé moins d’un mois plus tard défiant l’ennemi dans ses derniers instants. Mais pour ses partisans, comme pour nombre de chiites, c’est un martyr. Selon Israël et ses alliés, Nasrallah était un terroriste de plus, enfin liquidé. Pour bien des libanais, sa mémoire est sans doute plus ambivalente. La disparition de cette figure publique, qui avait rencontré nombre de diplomates français au cours de sa longue carrière, représente la fin d’une période.
Seb
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