« Il faut un nouveau capitalisme » : épidémie de socialisme dans la Macronie
« Il faut un nouveau capitalisme, qui soit plus respectueux des personnes, qui soit plus soucieux de lutter contre les inégalités et qui soit plus respectueux de l’environnement ». La phrase n’est pas de Jean-Luc Mélenchon, ni de Philippe Poutou, mais de Bruno Le Maire, notre très libéral ministre de l’Économie, sur BFM, ce lundi.
Il ne s’agit pas d’un soudain délire individuel, ni d’un dérapage. Rappelons-nous des insinuations d’Emmanuel Macron lors de son allocution présidentielle : annonçant le confinement sans le nommer, il en profitait pour tacler la libéralisation de la santé. Il y eut ensuite les menaces de nationalisation, la demande aux entreprises de mettre la pédale douce sur le versement des dividendes aux actionnaires, les réquisitions, ou le débat sur une possible interdiction des licenciements pendant le confinement – mesure appliquée en Espagne, notamment. Des mesures de rationnement à l’envoi d’enseignants dans les champs, notre gouvernement s’est-il découvert une soudaine passion soviétique, reniant son idéologie libérale assumée ?
N’allons pas si vite en besogne. Au-delà des grandes déclarations, bien des mesures prises se situent dans la pure continuité de l’idéologie libérale des Marcheurs et de leurs alliés de droite comme de gauche. On continuera donc d’envoyer des millions de gens travailler sans protection malgré le danger pour leur santé et celle du reste de la population. Le tout sous la vigilante surveillance de la police. Mais tout de même, il se passe quelque chose. Ce sera difficile à assumer pour nos dirigeants.
Les faits sont pourtant têtus : face à une crise telle que celle que nous vivons, due à une épidémie, phénomène relativement régulier, le libéralisme s’effondre comme un château de cartes. Le marché dérégulé n’est tout simplement pas adapté. Pour preuve, les associations de soignants et de juristes demandant en urgence au Conseil d’État la réquisition des moyens de production industrielle (si, si), ce lundi. Finalement peu surprenant, quand on apprend au même moment que l’achat par des États de matériels de protection et de tests pour faire face à la pandémie a donné lieu à des attitudes infâmes – spéculation, corruption, vols, réquisitions de matériel destiné à d’autres, etc. La beauté du libre-échange. Le tout, dans une Europe dévastée par les politiques d’austérité, ayant frappé entre autres le secteur de la santé.
Ces économies se paieront au prix du sang. Les États ayant le droit du travail le plus permissif et les hôpitaux les plus privatisés – tels que les pays anglo-saxons – commencent à compter leurs morts, alors que la crise économique s’annonce historique. Mais personne ne sera épargné. Pensons aux différents pays d’Afrique, d’Asie du Sud, ou d’Amérique latine. Et pire encore, à ceux ravagés par des guerres, tels que la Syrie et le Yémen. Qui sait combien de vies humaines seront perdues ? Les chiffres ne seront sans doute jamais connus.
Alors qu’en France, le bilan du gouvernement sera attentivement scruté. Les grands discours sur la préservation du service public, l’investissement massif dans la recherche et la santé, l’héroïsme des travailleurs (que l’on redécouvre soudainement pour ce qu’ils sont : le moteur de toute société) vont bon train chez les responsables. À l’instar du député marcheur Guillaume Chiche : « L’épreuve actuelle peut faire ressurgir un phénomène de lutte des classes. Aujourd’hui, les fonctions vitales du pays sont assurées exclusivement par des employés et des ouvriers. Ce sont donc les catégories les plus précaires qui occupent les métiers les plus essentiels à la bonne marche du pays et qui sont en outre les plus exposées au risque sanitaire de contamination. Cela devrait accentuer de manière légitime leurs revendications » (Le Monde, 31 mars).
Les ministres et les députés ne nous feront pas oublier le passé. Ils ne viennent pas d’arriver. Ils ont été aux manettes durant les dernières décennies. Ce sont eux qui ont mis en place des mesures d’austérité conformes à une idéologie absurde considérant que la santé, l’éducation ou la recherche doivent répondre aux mêmes impératifs de rentabilité qu’une boutique de fringues ou un parc d’attractions. Ce sont eux qui nous ont condamnés durant des décennies, et qui font aujourd’hui mine de s’acheter une conscience, en prévision du dépôt de bilan.
Ressortons les archives, rappelons-nous l’histoire des réformes, questionnons ce modèle social dans lequel un courtier en assurances peut être payé cent fois plus que la personne qui produira, transportera ou passera à la caisse ce qui remplira notre assiette. Ils nous parlent des limites du capitalisme ? Prenons-les au mot. Reprenons nos affaires en main. Car cette pandémie aura au moins jeté un regard cru sur l’échec d’un modèle hégémonique. L’économie actuelle s’effondre, et la classe dirigeante comme ses relais médiatiques et politiques, apparaît soudain pour ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : une classe parasitaire, prête à nous laisser crever pour conserver sa position dominante.
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