Même pas peur ! Une plongée dans le chaudron chaud bouillant des gilets jaunes confinés

Le Poing Publié le 31 mars 2020 à 15:29 (mis à jour le 31 mars 2020 à 15:35)

Clarifier encore l’analyse du système. Constater l’accélération de son effondrement. Gagner de nouveaux convaincus. Capitaliser les solidarités. Pour quantité de gilets jaunes, la pandémie n’est qu’une étape de plus dans la poursuite des luttes.

C’est le printemps ! Complètement le printemps chez Madeleine. Les pousses de saison ont bien germé. Elle les case comme elle peut dans son appartement montpelliérain : « Il y a des cacahuètes, des concombres, des cornichons, des courgettes ! » nous décrit-elle au téléphone. En temps normal, tout cela devrait se trouver sous serre, à Cournonterral. Là-bas, lancé un jour en assemblée de gilets jaunes au Peyrou, un jardin collectif concrétise le refus du système : « Vous n’imaginez pas le bien que ça fait de passer devant un supermarché sans s’arrêter. Moins consommer, plus partager ; aujourd’hui, c’est ma façon de continuer d’être gilet jaune ».

Prête au maraîchage sur balcon, contrainte par l’épidémie, Madeleine n’a pas perdu un gramme d’optimisme ni de détermination. Elle raconte comment elle avait fini de se refermer complètement à la vie, avant de renaître avec les gilets jaunes, à 50 ans. Ce balcon, elle y est à 20 heures pour applaudir les soignants. « Mais je mets aussi de la musique, des chants de lutte. Je discute avec les voisins » raconte-t-elle. « Je suis sûre qu’on peut militer de manière fine, subtile ». Et quand elle plonge dans des recettes de cuisine alternative, Madeleine réfléchit à comment s’organiser pour que ces bons plats « finissent dans des maraudes solidaires ».

Cette force nouvelle, cette « deuxième vie », on l’écoute aussi dans la bouche d’Yvan, 42 ans, jamais actif avant les gilets jaunes : « Le 29 décembre 2018 devant la gare de Montpellier, j’ai été victime d’une tentative d’assassinat par les forces de l’ordre. Déjà blessé à terre, ils m’ont encore tiré trois fois dessus. J’en suis sorti. C’est pas pour crever d’un virus de merde ». Tous les autres gilets jaunes que nous interrogeons confirment cette intuition. Quand on a connu dix-huit mois non stop de luttes, de rencontres, de réflexions, quand on est passé des gilets jaunes au mouvement des retraites, on ne vit pas l’épidémie de Covid-19 comme si rien de tout ça ne s’était passé.

« Oui, ça continue, c’est comme une nouvelle étape » estime Daniel. Cette figure de proue du rond-point de Près d’Arènes a déjà forgé son nouveau slogan : « J’ai pas le Covid-19. J’ai la rage ». Il complète : « Souvenez-vous que les hospitaliers en grève, on a été les soutenir ». Ça fait toute une différence. Martine, du rond-point de Chez Paulette, le dit tout aussi bien : « Le virus serait venu il y a deux ans, avant tout ça, je serais restée dans le dépit, peut-être la dépression. Ça modifie complètement la perspective de savoir qu’on en sortira autrement qu’en rampant. Maintenant, reste à voir si on aura suffisamment de masques pour les manifs » blague encore cette sexagénaire confirmée.

Son compagnon Roland assure que « l’agitation qui était en surface est simplement passée en sous-sol. C’est un bon endroit pour creuser encore les questions. Comprendre le lien entre l’écologie et les problèmes sociaux. Tous les mécanismes sont révélés, plus aigus, plus intolérables ». À l’autre bout de l’échelle des générations, Raphaël, 24 ans, n’a rien remisé de l’énergie fantastique du mouvement. Lui qui se décrit en son temps « insouciant, ignorant tout du mouvement social, gagné par un esprit FN de village », poursuit maintenant sur une lancée exacte opposée face à la pandémie, ouverte au monde. « Je continue à travailler, mais autour de moi on aide des SDF, on fait des courses aux gens, j’arrive à fabriquer une dizaine de masques par jour. Je les donne aux soignants, aux caissières. C’est des gilets jaunes qui me fournissent le matériel et qui se débrouillent avec les règles de confinement pour faire les transports en évitant d’être réprimés ».

Le savoir-faire militant se transmet : « Trouver des solutions ensemble, maintenant on sait ». Même sentiment, même continuité chez Stessy, qui avait beaucoup donné dans les toutes premières mobilisations du côté de Castries, Baillargues : « Au moins pour les connexions, les échanges sur les réseaux, la floraison de publications et de commentaires, c’est reparti comme au début » assure-t-elle, enthousiaste. On se repère, on échange, « et sur la deuxième semaine, après le passage à vide, j’en suis à près d’une centaine d’amis supplémentaires ».

Ce qui se complète, là encore, de fabrication de masques, de souci d’entraide vers les plus isolés, d’échange d’idées à propos des mômes, etc. « Fini le temps où on rentrait chez soi après le boulot pour rester enfermé. Là, enfermés, on l’est. Mais c’est pour chercher la vérité. Ma belle-mère, septuagénaire, n’avait jamais encore imaginé la violence policière. Quand on lui explique maintenant qu’on a aussi tapé sur des infirmières ou des pompiers, elle commence à se rendre compte ».

Gilet jaune confiné ? C’est déjà percevoir le quotidien complètement différemment. Yvan constate : « Tout signifie ! Regarde : on nous empêche de faire un marché, de nous organiser en circuit court, et on nous laisse comme seule solution d’aller nous entasser en grandes surfaces, où c’est pourri de virus, pour continuer de consommer avec les circuits mondialisés qui sont à la source de l’épidémie ». De quoi enrager !

Depuis Palavas, Patricia avait impressionné les manifestations montpelliéraines, où elle prenait tous les risques, juchée sur son fauteuil roulant. Elle n’a pas perdu un gramme de colère du quotidien : « Pour l’assistance familiale à domicile, ils ne retiennent que la garde d’enfants, les déficients mentaux, mais pas mon handicap lourd. Résultat, mon mari n’a pu se mettre qu’à trois quarts temps, à ses frais, et il continue son boulot de postier, où d’ailleurs ils sont entassés à cent, privés de matériel de protection, et sous les menaces de la direction ».Tout fait sens, tout fait lien.

Les gilets jaunes auront clarifié bien des enjeux, à commencer par sa liste d’ami·e·s : « J’ai dû en rayer un bon nombre. Mais c’était des cons. Maintenant, je sais sur qui compter ». Clarification du quotidien. Et clarification à l’échelle du monde : « Déjà avant les gilets jaunes, je voulais changer de vie, de boulot, échapper à ce système » explique Juan, confiné dans son squat montpelliérain. Il poursuit : « Les gilets jaunes, ça m’a aidé à faire vraiment primer les idées, m’alléger, me défaire de l’inutile, me concentrer sur l’essentiel ». L’effet Covid-19 à présent ? « Une incroyable accélération objective. Nous voyons l’effondrement du système comme une hypothèse crédible à court terme, là, dans les années qui viennent ». Et la radicalisation des alternatives nourrit les conversations.

Corinne, gilet jaune, syndicaliste en lutte pour les retraites, et très engagée dans l’activisme pour le climat, remarque comment la toute dernière manifestation avant le confinement, malgré son interdiction le 14 mars, fut aussi la première à s’afficher clairement anticapitaliste autant qu’écologique : « On est arrivé à un point de maturation incroyable, avec plus de trente organisations, des gens extrêmement divers, dont beaucoup n’auraient jamais imaginé de se retrouver complètement ensemble, s’il n’y avait pas eu des mois et des mois d’envie de se battre, de comprendre, de parler ».

La convergence atteinte, elle se poursuit par temps de pandémie : « Dans un scénario d’épidémie à l’ancienne on ne parlerait que de malades et de morts. Là on parle des soignants. Des SDF. Des routiers. Des caissières. Tout s’élargit. Il y a une crise sanitaire, bien entendu. Mais tout le monde voit qu’il y a une crise du système. Et beaucoup ont fini par caractériser ce système pour ce qu’il est : le capitalisme ».

Yvan le remarquait sur les écrans : « Je connais des gens qui n’avaient rien contre nos actions, mais maintenant ça y est, ils font un pas, ils l’affichent clairement ». Reste à « ne pas se contenter d’être des révolutionnaires sur clavier, mais d’être dans l’humain, la vraie relation ». Même sûre que tout va, non pas reprendre, mais continuer, Corinne craint les effets de milieu : « Je ne suis pas encore sûre qu’au-delà des milieux militants, il n’y ait pas une majorité pour se laisser avoir par le chantage au redressement du pays, les sacrifices à consentir, le coup de collier à donner, les droits à suspendre, etc ».

Roland reste confiant : « C’est dans leur corps même, confronté au virus, que de plus en plus de gens prennent la mesure de leur précarité, et refuseront que tout ça puisse durer ». Sur la base de quoi, il voudrait entrapercevoir, « même si ça n’est forcément synonyme de recours à la violence, un genre de mouvement de masse, qu’il faut bien appeler une insurrection ».

Dessin de Tati Richi
Dessin de Tati Richi

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