Il ne fait pas bon d’être anarchiste et gilet jaune au tribunal de Montpellier : 4 mois de sursis pour Kaori

Le Poing Publié le 13 novembre 2019 à 14:01 (mis à jour le 13 novembre 2019 à 14:02)
Trois gilets jaunes ont comparu ce mardi 12 novembre au tribunal de grande instance de Montpellier, pour des faits remontant au dernier appel national, le 9 novembre, pour l’un et à plusieurs mois pour les deux autres.

Dès l’ouverture des débats, sans doute indisposée par la présence sur les bancs des accusés comme du public de tant de gilets jaunes dans sa salle d’audience, la juge Bresdin a rappelé à l’assistance d’un ton cassant que les téléphones devaient être éteints car, « de même qu’une manifestation doit être déclarée, sinon il y a des conséquences », toute personne surprise en train de prendre des photos, d’enregistrer du son ou simplement de pianoter sur son smartphone subirait les foudres et les « conséquences » de la présidente. Une sonnerie de téléphone, plus tard dans l’après-midi, a d’ailleurs suscité une exclamation furieuse de cette dernière, bientôt ravalée quand elle a réalisé que le propriétaire du téléphone était un des interprètes de la cour.

Après cette sympathique mise en jambes, les audiences pouvaient commencer.

Interdiction de manifester

Le premier gilet jaune, arrêté ce samedi est accusé de rébellion, de violences sur personne dépositaire de l’autorité publique sans avoir entraîné d’ITT, de dissimulation de visage et de l’incontournable participation à un groupement en vue de commettre des violences et des dégradations (chef d’inculpation qui reviendra sans surprise sur les deux autres affaires). Le prévenu a demandé un délai pour préparer sa défense après avoir initialement accepté la comparution immédiate, dimanche soir, pour éviter un placement en détention provisoire. Le délai lui a été accordé mais avec un contrôle judiciaire strict réclamé par le parquet : interdiction de paraître à Montpellier jusqu’à son procès le 16 décembre, interdiction de manifester dans toute la France, et pointage hebdomadaire au commissariat.

Incompétence judiciaire

Un second gilet jaune, accusé d’outrage sur personnes dépositaires de l’autorité publique, de rébellion et de participation à un groupement, dont le dossier, rempli de contradictions et d’absurdités en tous genres, traîne depuis un grand nombre de mois (avec de lourdes conséquences sur la vie de ce jeune homme qui subissait, jusqu’à peu, un contrôle judiciaire strict), a vu son affaire renvoyée une nouvelle fois, à cause de vices de forme, au 19 février 2020.

Le spectre anarchiste

Enfin, une troisième gilet jaune, Kaori, jeune mère de famille célibataire, comparaissait pour des faits supposés de violences, dégradations et de participation à un groupement, qui se seraient déroulés sur différentes manifestations au cours de l’hiver et de l’été dernier. Les parties civiles – la banque postale et la banque populaire – n’étaient pas représentées.

Après un rappel des faits et la lecture des procès-verbaux des auditions, les questions de la présidente se sont portées sur les revendications et le profil de la jeune femme. Difficulté à joindre les deux bouts pour une mère célibataire qui travaille, destruction de la planète, engagement antispéciste… La prévenue a bien tenté d’expliquer ses motivations, mais c’est son appartenance à la fameuse « mouvance anarchiste montpelliéraine », souvent brandie avec une sorte d’effroi circonspect auquel se mêle un léger frisson d’excitation par les juges, les procureurs et les préfets successifs, qui semblaient surtout focaliser l’intérêt du tribunal et qui a donné lieu à des questions hautement politiques : « Pourquoi ne portez-vous pas le gilet jaune durant les manifestations ? ». 

Accusée d’avoir protégé sa tête à l’aide d’un casque de moto – de vélo, en réalité –, la prévenue a aussi eu droit à ce commentaire lucide du procureur : « Un casque de moto ? Je croyais que vous étiez pour la planète ! »

L’affaire reposant en partie sur deux perquisitions, une à son domicile, autorisée par un juge et l’autre, sans base légale, dans sa voiture, l’avocate de la prévenue a tenté d’argumenter sur la nullité d’une partie des éléments du dossier avant d’être sèchement recadrée par la présidente, décidément mal lunée, et le procureur, chagriné qu’elle n’ait pas soumis ses remarques en nullité préalablement par écrit, « par courtoisie », a-t-il expliqué. 

C’est alors que le procureur, dont le travail avait déjà été bien labouré par une juge clairement partiale, a livré ses réquisitions. Revenant sur le contexte social de la France depuis un an, il a rappelé que manifester était un droit, garanti par la constitution et contraint par des règles. Comme ce monsieur n’a probablement jamais entendu parler des multiples éborgnés, mutilés et blessés du maintien de l’ordre à la française ou de Zineb Redouane et de Steve Maia Caniço, tués par la police, il a proclamé fièrement que de nombreux peuples enviaient la liberté dont jouissent les français – liberté mise en danger, on l’aura compris, par des individus comme la prévenue. Contestant jouer un rôle de police politique, et légèrement ulcéré par les rictus sournois de plusieurs membres de l’assistance devant ses grandes déclarations, le procureur a demandé une peine d’avertissement, en raison du profil « inséré » de la prévenue : quatre mois d’emprisonnement avec sursis sans interdiction de manifester.

L’avocate de la défense a donné raison au  procureur : manifester est un droit, encadré par des contraintes. Mais, a-t-elle ajouté, ces contraintes devraient s’appliquer à tous les acteurs de l’état de droit, dont la justice. Or, le dossier de sa cliente contient de nombreuses zones d’ombre qui entachent l’institution policière et judiciaire et soulèvent quelques suspicions.

D’abord, son identification, à partir de quelques photos où une personne de noir vêtue, au sexe non-identifiable, se livre à des exactions contre des vitrines sans défense. « Qui n’a pas de vêtements noirs chez soi ? », a demandé l’avocate. Pareil pour le sac à dos possédé par la prévenue et visible sur certaines photos : il s’agit de la marque la plus répandue de sac à dos en France. De même pour les chaussures ; la marque de chaussures portée par le/la casseur(e) étant extrêmement populaire, la cour a eu la surprise de voir plusieurs personnes dans la salle lever les pieds en l’air pour signaler qu’elles portaient les mêmes.

Autre élément d’identification : la corpulence de la victime. « Ayant la même corpulence », a rétorqué l’avocate, « ce pourrait tout aussi bien être moi sur les photos. Rassurez-vous, ce n’est pas le cas ». Les rires déclenchés par ce commentaire ont encore une fois déclenché l’ire de la présidente, qui s’est ensuite murée dans un mutisme bougon, comme ennuyée par l’accumulation de faits qui fragilisaient le dossier.

Pour terminer, l’avocate a souligné l’élément le plus inquiétant derrière cette identification : nulle part, dans le dossier, il n’est précisé quand, comment et par qui la prévenue a été formellement identifiée, laissant présager une forme de surveillance généralisée des citoyens sans contrôle des autorités. En conclusion, la défense en a déduit que sa cliente a d’abord été identifiée comme appartenant à la mouvance anarchiste, et que c’est dans un deuxième temps que l’on a cherché à lui mettre sur le dos des faits pour l’incriminer. Elle a donc demandé la relaxe.

Mais la juge, bien décidée à continuer de marcher sur les plates-bandes du procureur, a suivi ses réquisitions à la lettre. La prévenue a donc écopé de quatre mois de sursis, sans réparations à payer aux banques « victimes ». Le Poing adresse une pensée émue aux familles des vitrines.

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