Immersion au CHU de Montpellier : les stigmates visibles de la casse de l’hôpital public

Le Poing Publié le 8 avril 2021 à 16:39 (mis à jour le 8 avril 2021 à 21:14)
L'hôpital Lapeyronie à Montpellier. (Image d'illustration)

Quand une bête chute à vélo emmène un (gonzo)-journaliste du Poing aux urgences, sa déformation professionnelle prend le pas sur son statut de patient, et celui-ci se met à observer les conséquences délétères de 20 ans de politiques néo-libérales dans les institutions de santé publique.

Enfoiré de pigeon, j’ai cru qu’il allait passer sous ma roue ! C’est pas censé s’envoler au dernier moment ces merdes ? Voilà qu’à cause d’un volatile suicidaire, je me retrouve à faire un soleil dans la descente du jardin des plantes alors que je m’en allais assurer la distribution du dernier numéro papier du Poing (oui, vous avez bien lu, on vous en reparle très vite). Une douleur intense me saisit le poignet gauche, et mes doigts peinent à bouger. L’impossibilité manifeste de pouvoir rouler ma cigarette m’inquiète au plus haut point et je décide de me rendre aux urgences de l’hôpital Lapeyronie.
Journaliste, un métier à risques ? A quand on professionnalise le Poing pour que ça soit reconnu comme accident du travail ?

Ces questions me hantent quand vers 15h, je pénètre dans la salle d’attente bondée, sur-chauffée et sans ouvertures de fenêtres possibles. A noter qu’aucun distributeur de gel-hydro-alcoolique n’est présent dans ladite-salle, mais seulement dans des couloirs bondés où le personnel soignant s’active comme dans une véritable fourmilière. Venu pour une chute, je prie pour ne pas repartir avec le COVID.

Dans la salle d’attente, une jeune femme trépigne d’impatience. Elle est la depuis 10h du matin et elle n’a toujours pas eu les examens importants qu’elle était venue passer. « C’est n’importe quoi, bientôt, ils vont faire payer la consultation sans hospitalisation, tout sera à nos frais », peste-telle. Un ouvrier du BTP roumain au pouce éclaté est accompagné de son patron qui se charge de la traduction d’un mélange de roumain et d’anglais approximatif au français. « Il est complètement déclaré, c’est un accident du travail », s’empresse-t-il de préciser à l’infirmière de passage, qui semble n’en avoir rien à foutre.
Assez vite, on me fait passer les portes vers l’intérieur du service pour une radio, et le triste spectacle commence : ça s’agite dans tous les sens en criant, le personnel à l’air complètement débordé, sous pression. Une femme psychiatrisée hurle à la mort, et un infirmier à cran lui intime violemment de se taire en essayant de trouver une place pour son brancard. Un agent de l’administration pénitentiaire l’accompagne. De retour dans la salle d’attente, une vieille dame en fauteuil roulant arrive et commence à se plaindre : « Les urgences c’est de plus en plus long, c’est n’importe quoi, il faut pas être pressée hein… En plus, ils sont désagréables ». On est pas loin de la paraphrase de Macron qui demande plus d’efforts aux soignants, déjà éreintés par un an de crise sanitaire.
Taquin, je lui demande innocemment si on est pas plutôt en train d’assister aux conséquences de vingt ans de politique néo-libérales de casse des hôpitaux publics. Son mari se met à rire, le patron de BTP tique.

Puis, la douleur devient de plus en plus vive, et je pars en quête d’un quelconque médicament. Me voilà a me faire balader de services en services car personne ne semble avoir le temps de dégainer un doliprane, tramadol ou autre drogue de Big Pharma.

Au bout de deux bonnes heures, on vient me chercher pour de nouvelles radios. Deux infirmières passent dans le box dans lequel je suis, auscultent très rapidement mon poignet, posent à peine quelques questions et repartent précipitamment. Même chose pour le médecin, qui ne me livre même pas de diagnostic. « On va peut-être devoir faire un scanner ». Pourquoi ? Je n’en sais rien, il n’a visiblement pas le temps de m’expliquer. A coté, l’ouvrier roumain commence à râler à propos du temps qu’il faut pour voir quelqu’un, et une infirmière excédée se met à hurler qu’ils ont trop de patients et qu’ils ne sont pas assez pour tout gérer, manière de lui faire comprendre implicitement que c’est à cause de chochottes comme nous que les urgences se retrouvent surchargées.

Sorti du box, on constate la ré-organisation des services pour faire face au COVID. Il est 20h passée, dans une salle de réception, une douzaine de lits occupés et séparés par des paravents métalliques stagnent, et des brancardiers et ambulanciers peinent à trouver la place pour installer les suivants.
Une infirmière crie sur une patiente qui ne parle pas français en lui demandant de sortir ses papiers d’identité entre deux réceptions d’appels au standard téléphonique qui n’en finit jamais de sonner. Un jeune homme arrive avec une entaille profonde dans la main, on lui sort une lingette pour compresser sa plaie et le place sur une chaise pour patienter, et le médecin de garde trie ses dossiers en revoyant sans cesse l’ordre de priorité de ses consultations à mesure que de nouveaux patients arrivent.
Sur une autre chaise au milieu de ce foutoir, une dame d’une cinquantaine d’années crache du sang de manière abondante. Des blouses blanches passent devant, y jettent un coup d’œil rapide sans s’arrêter avant de vaquer à leurs préoccupations, probablement de plus haute importance. C’est quand elle demandera un troisième mouchoir après avoir souillé entièrement les deux premiers qu’une infirmière l’emmènera dans une salle à part pour s’occuper d’elle. Quand le manque de moyens et le stress permanent se font sentir et que l’afflux de patients est continu, l’activité médicale confine à la maltraitance.

Quant à moi, on m’a vaguement expliqué que j’avais une grosse entorse, le médecin a signé une ordonnance bourrée de tranquillisants à la va-vite sur un coin de table. Je n’ai pas eu le temps de demander si je devais porter une attelle, il était déjà reparti. Sur le parking, des restes d’affiches de la CGT pour les journées de mobilisations du secteur de la santé de juin dernier pendent nonchalamment sur des panneaux d’affichages. Force est de constater que neuf mois plus tard, leurs revendications d’embauches massives et d’amélioration des moyens des services hospitaliers sont restés lettres mortes. La prochaine fois, j’attendrais que ma main soit toute bleue pour pousser la porte des urgences, car comme dirait Jean Castex, « le meilleur moyen de ne pas engorger les hôpitaux, c’est de ne pas tomber malade » , ou de ne pas tomber tout court…. ça m’apprendra !

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