« Israël doit payer le prix de son occupation en Palestine » Discours d’Alain Gresh à Montpellier

Le Poing Publié le 8 décembre 2017 à 16:10 (mis à jour le 28 février 2019 à 20:44)

Dans le cadre de la 28e édition de la quinzaine des solidarités internationales, les amis du Monde diplomatique, l’association France Palestine Solidarité 34 et l’action des chrétiens pour l’abolition de la torture ont organisé le 28 novembre dernier à Montpellier une conférence intitulée : « Israël-Palestine, deux poids, deux mesures ». Le débat a été introduit par Alain Gresh, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, directeur de publication du site OrientXXI.info et membre du parti communiste français. Ses analyses historiques permettent de mieux saisir l’injustice fondamentale de la colonisation israélienne et nous invitent à être solidaires du combat des Palestiniens. Extraits de son discours.

Quand la France et les Britanniques redessinent les cartes du Moyen-Orient

Pour comprendre l’origine de la colonisation en Palestine, il faut revenir à l’époque de la première guerre mondiale, qui va durablement bousculer les équilibres du Proche-Orient arabe, c’est-à-dire de la région qui s’étend de l’Égypte à l’Irak. Pendant des siècles, cette région était sous l’influence de l’Empire ottoman, qui sera finalement démembré par les puissances victorieuses pour s’être engagé aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie pendant la grande guerre. Les Français, les Britanniques, les Russes et dans une moindre mesure les Italiens décident alors de se partager la région, à une époque où la colonisation était considérée comme un phénomène normal et où il était de bon ton d’affirmer que les peuples « supérieurs » devaient éduquer les peuples « inférieurs ». Cette région est d’autant plus convoitée qu’elle est un carrefour du commerce international et qu’elle regorge de pétrole – une ressource dont l’importance a été révélée pendant la guerre avec le développement de la marine et des chars.

Les Britanniques et les Français règlent la question du partage de la région en 1916 en signant les accords secrets de Sykes-Picot : la France obtient le contrôle du Liban actuel et du nord de la Syrie actuelle, et le Royaume-Uni obtient l’Égypte, qui était de toute façon déjà sous leur mainmise, l’actuel Irak, et ce qui deviendra la Jordanie (voir carte plus bas). Reste la question de la Palestine, qui est d’une importance cruciale pour les Britanniques puisqu’elle donne accès au flanc-est du canal de Suez, qui permet le contrôle des routes entre l’Europe et l’Inde, à une époque où l’Inde est encore une colonie britannique. Pour obtenir la Palestine, les Britanniques vont alors se servir des sionistes.

Les sionistes utilisés par les Britanniques pour leurs ambitions coloniales

Le sionisme est un mouvement né à la fin du XVIIIe siècle qui se développe surtout dans l’Europe de l’est et en Russie tsariste, c’est-à-dire dans les régions où les Juifs subissent l’oppression. Cette situation contribue à l’émergence d’une conscience nationale juive, à une époque où le sentiment national se développe dans de nombreuses communautés de l’Europe de l’est. Mais contrairement à ces communautés, les sionistes ne réclament pas l’indépendance ou l’autonomie pour les populations juives, mais la création d’un État juif en Palestine. Le gouvernement britannique considère alors que le mouvement sioniste peut être un bon allié pour s’implanter en Palestine. Cette volonté se matérialise avec la déclaration de Balfour du 2 novembre 1917. Dans cette déclaration, le ministre des affaires étrangères britannique de l’époque, Arthur Balfour, prend des engagements auprès de Walter Rothschild, un Juif britannique très actif au sein du mouvement sioniste – qui est encore très minoritaire au sein de la communauté juive britannique. Le ministre anglais lui promet de favoriser « l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif » et à déployer « tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine ». Dès le départ, les populations palestiniennes, arabes, et chrétiennes de Palestine ne sont donc pas définies d’une manière nationale, mais sont considérées comme des populations « non juives », ce qui indique déjà l’ambition colonisatrice de cette déclaration.

Les Britanniques finissent par contrôler la Palestine par le système des mandats de la Société des nations. En 1919, la Société des nations est en effet créée sous l’initiative du président américain Wilson, qui prône l’autodétermination des peuples pour discréditer le colonialisme. Se met alors en place un système de mandat, qui permet à la Société des nations de donner des mandats à des puissances pour mener des pays considérés comme « inférieurs » vers l’indépendance. C’est ainsi qu’à l’issue du mandat français sur la Syrie, les Syriens obtiennent l’indépendance de la même manière qu’après le mandat anglais sur l’Irak, les Irakiens deviennent indépendants. Mais ça n’a pas été le cas avec la Palestine, qui n’a jamais connu d’indépendance, notamment du fait de l’activisme des sionistes.

Au départ, la majorité des juifs sont hostiles au sionisme

En 1920, la grande majorité des Juifs sont hostiles au sionisme pour différentes raisons. La première opposition vient des Juifs qui se considèrent avant tout comme les citoyens des pays dans lesquels ils vivent. Ils craignent que la création d’un État juif ne jette sur eux la suspicion d’une double-loyauté, et ce d’autant plus qu’ils ont obtenu en Europe de l’ouest le reconnaissance de leurs droits civils et politiques. La seconde opposition vient des religieux puisque dans la religion juive, la reconstitution d’un État juif ne peut advenir qu’avec la venue du messie. Enfin, la troisième opposition vient des Juifs communistes ou socialistes, qui considèrent que la libération des Juifs face à l’oppression réelle qu’ils subissent doit se faire sur place, dans les pays dans lesquels ils vivent, en renversant les tyrans locaux, comme l’avait théorisé le Bound, l’union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie, qui a joué un rôle très important en Europe de l’est.

Entre 1881 et 1925, plus de 4 millions de juifs européens fuient l’Europe de l’est pour éviter les pogroms, mais ils ne partent pas pour la Palestine mais pour les États-Unis, qui sont alors considérés comme une terre promise. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1920 et des années 1930 que l’émigration vers la Palestine se développe. Notamment car le nazisme se développe, mais surtout car les États-Unis se ferment à toute immigration étrangère. Les Juifs qui cherchent à fuir n’ont pas beaucoup d’autres choix que d’aller en Palestine, mais si certains préfèrent partir pour l’Amérique du sud.

Une colonisation fondamentalement illégitime

Pour comprendre l’essor de la colonisation sioniste en Palestine dans les années 1920, il faut comprendre de quel type de colonisation il s’agit. On distingue historiquement la colonisation de contrôle et la colonisation de peuplement. Dans l’Inde britannique, on parle d’une colonisation de contrôle puisque le territoire est maintenu sous domination avec seulement quelques milliers de soldats et de fonctionnaires anglais. Tandis qu’en Amérique du nord, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou dans l’Afrique australe, on parle de colonisations de peuplement puisqu’il y a eu une installation massive de colon, et c’est cette forme de colonisation qui se met en place en Palestine. Dès 1920, les sionistes développent le slogan : « il faut développer le travail juif ». Les Palestiniens sont rapidement chassés de leurs terres, ce qui ne va pas sans poser de problèmes puisque de nombreux juifs ne savent pas cultiver la terre et qu’ils coûtent plus cher que les travailleurs arabes.

La colonisation provoque rapidement la création d’une classe de paysans arabes sans terre qui tentent de résister pour retrouver leurs droits. En 1936, une grande révolte éclate avec pour revendication la fin du mandat britannique en Palestine. La rébellion dure trois ans et est écrasée dans le sang. Les colons sionistes exécutent ou emprisonnent les leaders palestiniens avec la complicité des Britanniques, ce qui va durablement durablement affaiblir le mouvement national palestinien. L’État d’Israël est alors quasiment déjà créé puisque la communauté juive de Palestine, qui l’on nomme Yichouv, s’est déjà constitué un véritable appareil militaire. En 1945, on compte environ 600 000 Juifs pour 1,2 million d’Arabes en Palestine tandis que 250 000 Juifs, survivants de l’Holocauste de l’Allemagne nazie, attendent dans les camps de réfugiés en Europe. En 1947, le plan de partage de la Palestine est approuvé par les Nations unies et l’État d’Israël est créé un an plus tard, mettant ainsi fin au mandat britannique sur la Palestine. La guerre israélo-arabe éclate immédiatement et s’achève un an plus tard par la victoire des Israéliens. L’écrivain britannique et militant sioniste Arthur Koestler a résumé la promesse de Balfour en disant qu’ « en Palestine, une nation [le Royaule-Uni] a solennellement promis à une seconde [Israël] le territoire d’une troisième [la Palestine] », et c’est exactement ce qu’il s’est passé.

La question israélo-palestinienne, une histoire française

Dès 1946, il y a en France un authentique mouvement populaire pour la création de l’État d’Israël, notamment car l’URSS soutient cette idée et que le parti communiste français est alors très puissant. La France a armé Israël, lui a fourni l’arme nucléaire et a combattu à ses côtés en 1956 contre l’Égypte quand elle a voulu nationaliser le canal de Suez. En 1967, la guerre des six jours éclate : suite au blocus des navires israéliens par l’Égypte dans le détroit du Tiran, Israël attaque l’Égypte, la Syrie, la Jordanie et le Liban. En six jours, Israël triomphe des armées arabes, notamment grâce aux mirages français, et conquiert tout le territoire historique de la Palestine et fait de Jérusalem-est sa capitale. Cette crise suscite en France un élan de sympathie médiatique et politique pour Israël qu’on peut expliquer par deux raisons. La première, c’est que le racisme anti-arabe est virulent, l’extrême-droite est puissante et beaucoup de personnes considèrent que la victoire israélienne a vengé la défaite française en Algérie. La seconde raison, c’est la question juive : la découverte des camps de concentration n’est alors pas si lointaine et il court l’idée que les Israéliens risquent de nouveau de se faire massacrés, cette fois-ci par les Arabes du Moyen-orient. Dans ce contexte, le général De Gaulle se place à contre-courant de l’opinion publique puisqu’il décide de distendre ses relations diplomatiques avec Israël, à qui il reproche d’avoir tiré le premier lors de la guerre des six jours et de conduire le Moyen-Orient dans une spirale de la violence. Il refuse de reconnaître l’occupation israélienne sur les territoires conquis en 1967, même si en sous-main, il continue à fournir aux Israéliens des pièces de rechange pour les mirages jusqu’au moment de l’attaque israélienne contre le port de Beyrouth, en 1969.

Les positions du général De Gaulle vont être reprises par tous ses successeurs et vont bâtir une doctrine française sur la question israélo-palestinienne : refus de reconnaître l’occupation israélienne dans les territoires conquis en 1967, reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien, nécessité de négocier avec l’Organisation de Libération de la Palestine. Cette doctrine est au départ très minoritaire dans le monde occidental, mais elle va petit à petit être reprise par les États européens. En juin 1980, la Communauté économique européenne adopte la déclaration de Venise qui affirme qu’il n’y a pas de solution dans la région moyen-orientale sans reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples. À l’époque, la droite israélienne réagit à cette déclaration en affirmant que « l’Europe [leur] demande de négocier avec des SS arabes », et c’est aussi globalement la position du président américain Reagan. Mais la position française continue d’avancer et aboutit aux accords d’Oslo du 1993, qui posent la base d’une autonomie palestinienne temporaire.

Pas de négociation sérieuse sans reconnaissance du statut d’occupant de l’État d’Israël

La conséquence la plus négative des accords d’Oslo, c’est d’avoir fait croire que la question était résolue et qu’il s’agissait d’un conflit entre deux peuples qui devraient négocier pour arriver à une entente, en se débarrassant des extrêmes qui seraient présents dans les deux camps. Mais la réalité c’est qu’il n’y a pas d’interlocuteurs égaux, mais un occupant et un occupé, un fort et un faible. Les bons sentiments ne font pas les politiques des États, quel qu’ils soient. Pendant les « négociations », Israël subit moins de pressions de la part de la communauté internationale, mais concrètement, ça n’aboutit pas à grand-chose pour les Palestiniens. Aucun dirigeant palestinien, même Mahmoud Abbas, qui est pourtant très modéré, n’est pas prêt à accepter le maximum de ce que le gouvernement israélien d’extrême-droite pourrait concéder. Pour que les négociations aboutissent, il faut donc se mettre d’accord au préalable à partir de quoi on va négocier. Aujourd’hui, la France est dans une situation de capitulation diplomatique puisqu’elle ne fait rien pour que des négociations sérieuses se tiennent. Les diplomatiques français font comme si la question palestinienne n’existait pas et développent des relations bilatérales avec Israël en dehors des considérations de politique internationale, notamment à propos d’innovations techniques ou scientifiques. La France, notamment par la voix de Manuel Valls, a été l’une des puissances les plus acharnées à criminaliser le mouvement boycott-désinvestissement-sanctions qui est pourtant un mouvement pacifiste qui réclame simplement le respect du droit international. Non seulement le gouvernement français refuse de prendre des initiatives qui iraient dans le sens d’une solution, mais il bloque aussi les initiatives de la société civile.

La situation est d’autant plus compliquée que désormais, le prisme par lequel on analyse les relations internationales est celui de la guerre contre le terrorisme, ou plus exactement, contre l’islamisme radical, et petit à petit, contre l’islam tout court. Cette vision nous pousse à voir le Hamas [mouvement islamiste palestinien] comme un groupe qui s’inscrit dans une guerre mondiale contre l’Occident. Cette doctrine de la guerre contre le terrorisme et cette vision islamophobe ont érodé les succès obtenus par le mouvement de solidarité avec la Palestine, et c’est très regrettable.

Que faire ?

Désormais, il y a en Palestine autant d’Israéliens que de Palestiniens, ce qui pose un problème politique puisque traditionnellement, le fait d’être plus nombreux que les occupants a toujours été un atout pour les luttes anticoloniales. Pour Israël, le fait qu’il y a des millions de Palestiniens est aussi un problème et elle l’a donc « solutionné » en mettant en place l’apartheid, c’est-à-dire un État où il y a sur le même territoire deux législations différentes. Paradoxalement, cette situation de blocage est aussi favorable aux Palestiniens car elle n’offre pas de solution à Israël, sauf une expulsion massive, qui reste peu envisageable pour le moment. Aujourd’hui, la solution des deux États est entérinée par tout le monde, sans exception, et ça permet à la Palestine d’avoir une présence diplomatique, notamment aux Nations unies, à l’Unesco ou bien encore à Interpol. C’est en partie symbolique quand on voit ce qu’il se passe sur le terrain, mais ce n’est pas négligeable. À court terme, il n’y a de toute façon de possibilité ni d’un, ni de deux états. L’important, c’est donc de faire pression sur Israël pour lui faire payer le prix de son occupation. Si la France est parti de l’Algérie, c’est ne pas de bon cœur, ni par sympathie pour les Algériens, mais parce que les soldats français ne voulaient plus risquer leur vie. Aujourd’hui, Israël peut à la fois maintenir l’occupation, avoir la reconnaissance internationale, développer des relations internationales avec différents pays du monde comme la France, la Chine, l’Inde, la Russie, sans craindre des défaites militaires.

Nous qui ne sommes pas directement concernés par ce conflit, nous ne pouvons que nous montrer solidaires du combat des Palestiniens. La solution ne sera pas théorique, mais elle sera issu de batailles politiques concrètes. Certains regrettent que les Palestiniens ne soient pas unis, mais le vrai problème, c’est que le Fatah [mouvement de libération de la Palestine] et le Hamas n’ont plus vraiment de stratégie. La position du Fatah, qui consiste à résister politiquement pour inciter à des négociations, a échouée et la position du Hamas, qui consister à mener la lutte militaire, a également échouée. Leurs erreurs communes a peut être été de considérer que la solution se trouvait aux États-Unis, et non en Israël. Le plus important reste la résistance à l’intérieur de la Palestine mais le point de bascule, c’est quand le pays conquérant se brise de l’intérieur, comme cela a été le cas en France avec l’Algérie, ou aux États-Unis avec le Vietnam. Pour le moment, la population israélienne est soudée autour de son gouvernement, et il y a donc peu d’organisations israéliennes prêtes à s’allier avec des mouvements de résistance palestinienne. Mais quoi qu’on en dise, les mouvements de solidarité à l’international n’ont pas vocation à expliquer aux Palestiniens ce qu’ils doivent faire, ce n’est pas qui nous allons mener les débats et notre seul rôle, c’est d’être solidaires avec la résistance des Palestiniens.

Discours d’Alain Gresh

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