La pandémie de covid-19 provoque des mutineries dans les prisons du monde entier | Vidéos

Le Poing Publié le 3 mai 2020 à 18:36 (mis à jour le 3 mai 2020 à 18:46)
Mutinerie le 24 avril 2020 à la prison Villa Devoto, à Buenos Aires, en Argentine. Sur la banderole, il est écrit : « Nous refusons de mourir en prison ». (capture d'écran d'une vidéo publiée par Todo Noticias)

La pandémie de covid-19 frappe tous les continents : selon Santé publique France, on comptait, au 2 mai, 3 307 600 cas confirmés dans le monde et 238 431 décès depuis le 31 décembre 2019, dont 130 979 cas et 24 760 décès en France. Les mesures restrictives, adoptées par les États et appliquées par les polices au nom de la lutte contre le covid-19, combinées aux conséquences sociales de la réduction de la production, ont provoqué de nombreuses protestations à travers le monde. Grâce au travail de l’anthropologue français Alain Bertho, Le Poing a recensé, depuis le 6 février, 212 émeutes dans le monde liées au covid-19, dont 104 mutineries de prisonniers. Selon Justice Project Pakistan, en association avec Prison Insider, on compte 26 184 détenus infectés par le covid-19 dans le monde et 558 décès, dont 103 cas en France et deux décès, à Fresnes et Douai. Selon la recension du Poing, les mutineries liées aux restrictions provoquées par la pandémie de covid-19 ont entraîné la mort de 157 détenus.

La suspension des parloirs est la principale mesure qui a mis le feu aux poudres. Le parloir est le seul moment où les détenus sont avec leurs proches, et dans certaines prisons, c’est une source importante d’approvisionnement de nourriture, et de drogues permettant de supporter la vie carcérale. Lors des mutineries, les détenus expriment aussi leur détresse face au coronavirus : la promiscuité, l’insalubrité, et le manque ou l’absence d’accès aux soins les rendent particulièrement vulnérables. Ils réclament des mesures de protection, comme des libérations anticipées et des assignations à domicile, qui ont été partiellement accordées dans certain États.

Le Poing vous propose un tour d’horizon de la condition carcérale à travers le monde en ces temps de pandémie, en évoquant uniquement les mutineries, c’est-à-dire les mouvements collectifs de détenus donnant lieu à des dégradations matérielles, des violences physiques ou l’intervention de forces de répression. Dans le monde, depuis le début de la pandémie de covid-19, les mobilisations de prisonniers prennent majoritairement la forme de mutineries, mais elles sont aussi parfois pacifiques. Cette recension est donc partielle, et elle porte une attention particulière à la situation française.

32 mutineries en Europe, la plupart en Italie et en France

Les prisonniers italiens sont les premiers à s’être mutinés, dès le début du mois de mars. Prise d’otages de surveillants à Pavie, affrontements à Modène, évasion massive à Foggia (vidéo ci-dessous)… : en trois jours, sept prisons se soulèvent, causant la mort de neuf détenus, notamment parce que certains d’entre eux auraient ingurgité des médicaments en grande quantité lors du pillage d’une infirmerie.


En France, dans un silence médiatique assourdissant, plus d’une quarantaine de prisons ont été touchées par des mouvements collectifs de protestation, dont seize sous la forme de mutineries. À Maubeuge et Béziers (vidéo ci-dessous), les surveillants ont sorti des fusils à pompe. À Uzerche, 200 détenus ont rendu hors d’usage deux bâtiments et 333 détenus ont dû être transférés. À Draguignan, les détenus ont cassé des caméras de vidéosurveillance. À Longuenesse, toutes les vitres du rez-de-chaussée ont été brisées. La dernière mutinerie recensée date du 17 avril, à Écrouves, où les pompiers sont intervenus pour éteindre un incendie.


Des mutineries ont aussi éclaté en Espagne, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Ukraine.

Le Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe a publié une déclaration de principes, réclamant le recours « aux alternatives à la détention provisoire (et) aux peines de substitution », que « toute restriction des contacts avec le monde extérieur, y compris les visites, (soit) compensée par un accès accru à d’autres moyens de communication », et que « les garanties fondamentales contre les mauvais traitements des personnes détenues par les forces de l’ordre (…) (soient) pleinement respectées ».

Plusieurs États européens ont réduit leur population carcérale. En France, la garde des Sceaux Nicole Belloubet affirme que « nous comptons 61 100 détenus, à la date du 23 avril, pour 61 109 places. La population carcérale a ainsi diminué de 11 500 personnes depuis le 16 mars », mais certains établissements demeurent occupés à plus de 140% comme à la prison de Meaux ou de Villepinte, selon Prison Insider. Le ministère de la Justice a aussi annoncé que « durant la crise sanitaire, et jusqu’à la fin de la période de confinement, chaque détenu pourra bénéficier d’un crédit de 40€ par mois sur son compte téléphonique (…) utilisable dans les 64 établissements déjà équipés de téléphones en cellule ou depuis les cabines téléphoniques. » La France comptant 186 établissements pénitentiaires, si 64 sont dotés de téléphones en cellules, les 122 autres en sont dépourvus et sont munis de cabines téléphoniques. Ces dernières sont peu accessibles puisqu’elles sont souvent installées dans les cours de promenade, où de nombreux prisonniers ne vont jamais, pour des raisons médicales ou de sécurité. Par ailleurs, toutes les conversations des prisonniers via les téléphones de l’administration pénitentiaire sont enregistrées par les autorités. Le ministère a aussi promis, pour « les détenus les plus démunis », « une aide majorée de 40 euros par mois », sans préciser selon quels critères un détenu serait considéré comme faisant partie des « plus démunis », en sachant que 27% des prisonniers disposent de moins de 50€ par mois, alors que le coût de la vie en prison est estimé à 200€ par mois, selon l’Observatoire internationale des prisons.

42 mutineries aux Amériques : massacres au Venezuela, en Colombie et en Argentine

Au Venezuela, une mutinerie à Guanare (vidéo ci-dessous), le 1er mai, a fait 47 morts et 75 blessés (la vidéo parle de 17 morts mais le bilan été revu à la hausse par les autorités), alors que les détenus protestaient contre l’absence d’accès à la nourriture, et une autre, le 18 mars à la prison de San Carlos, a entrainé dix décès lors de l’évasion de 80 détenus. Les autorités affirment vouloir désengorger les prisons, mais on compterait seulement 414 libérations pour le moment concernant uniquement les prisons de Tocuyito et Táchira.

En Colombie, on recense pour le moment douze mutineries, la plupart très violentes, comme celle du 22 mars à la prison La Modelo de Bogotá (vidéo ci-dessous), au cours de laquelle des affrontements avec des gardiens ont fait 23 morts et 83 blessés. Faits notables : des femmes se sont aussi révoltées le 22 mars dans le pénitencier El Buen Pastor de la capitale, ainsi que des mineurs, le 22 avril dans la prison de Cali. Le 15 avril, le président Iván Duque a signé un décret permettant l’assignation à résidence d’environ 4000 détenus jugés particulièrement vulnérables au coronavirus.

Avec onze mutineries, la situation est aussi très préoccupante en Argentine. Le 23 mars, quatre détenus sont morts lors d’une révolte à Las Flores (vidéo ci-dessous) au cours de laquelle les forces d’opérations spéciales sont intervenues. Le gouvernement refuse le principe d’une libération massive.

Des mutineries ont aussi éclaté au Brésil, au Pérou (neuf morts à San Juan de Lurigancho le 27 avril, vidéo ci-dessous), au Mexique, au Chili, en Équateur, au Panama, et en République dominicaine.

Aux États-Unis, qui comptent 2,3 millions de détenus et plus de 6000 lieux d’incarcération, une seule mutinerie a éclaté pour le moment, alors que l’on compte dans les prisons 20 829 cas confirmés de covid-19 et 243 décès.

18 mutineries en Asie : des révoltes massives et violemment réprimées en Iran

En Iran, pays particulièrement touché par la pandémie, les autorités se sont distinguées par leur cruauté à l’occasion des neuf mutineries. Une source carcérale et un témoin cité par France 24 évoquent 38 corps en provenance des prisons de Sepidar (vidéo ci-dessous) et Sheiban, à Ahvaz, lors de révoltes qui ont respectivement éclaté le 30 et le 31 mars. Le 27 mars, au moins 80 détenus se sont évadés de la prison de Saqqez. L’un d’eux, un mineur, a été exécuté.
L’Iran a libéré de manière provisoire et sous caution environ 100 000 détenus, leur date de retour en détention est fixé au 20 mai.

Des mutineries ont aussi éclaté en Inde (trois détenus tués par la police le 21 mars à Dum Dum), au Liban (vidéo ci-dessous d’une révolte à la prison de Roumieh le 16 mars), en Indonésie, en Jordanie (deux détenus tués le 14 mars à Irbid), au Sri Lanka (deux détenus tués le 21 mars à Anurâdhapura), en Syrie, en Thaïlande et au Qatar.

Au Cambodge, les autorités ont emprisonné des personnes parce qu’elles ont douté ou diffusé des informations considérées comme fausses sur la propagation du covid-19.

En Birmanie, 25 000 prisonniers, soit un quart de la population carcérale, ont été libérés.

En Turquie, le parlement a voté la libération de 90 000 détenus, à l’exception de ceux condamnés au titre des « lois antiterroristes », dont beaucoup sont des prisonniers politiques.

Aux Philippines, près de 10 000 détenus ont été libérés pour limiter les conséquences de la pandémie.

Neuf mutineries dans huit pays en Afrique

En Afrique, continent peu touché par la pandémie, des mutineries ont éclaté en Afrique du Sud, au Cameroun, à Maurice (un détenu tué à Beau-Bassin le 19 mars), au Sierra Leone, au Soudan, au Tchad (deux détenus tués à N’Djamena le 20 mars), en Ouganda (trois détenus tués à Arua le 21 mars) et au Nigeria (un détenu tué à Kaduna le 31 mars, vidéo ci-dessous).

5037 détenus ont été graciés en Algérie, 3778 en Égypte, 1536 en Éthiopie, et les gouvernements d’autres pays africains ont annoncé des libérations, mais dans de faibles proportions.

Trois mutineries en Océanie, deux en Australie, une à Samoa

En Australie, aucun cas de covid-19 n’a été recensé parmi les prisonniers, mais la tension reste vive : des mutineries ont éclaté le 13 avril à Goulburn et à Wellington. Aux Samoa, aucun cas de coronavirus n’a été recensé non plus, mais une mutinerie a éclaté le 23 mars à la prison de Tanumalala, au cours de laquelle 29 détenus se sont évadés.

Solidarité avec les mutins !

Rappelons que les prisons ne sont pas majoritairement peuplées de pédophiles et de criminels, mais de détenus de droit commun : un quart des prisonniers purgent une peine égale ou inférieur à un an en France. 47% des détenus sont fils d’ouvriers : la société capitaliste préfère enfermer les pauvres plutôt que de leur fournir des moyens de subsistance. 400 gilets jaunes ont été incarcérés : les juges appliquent des lois écrites par et pour les classes dominantes.

« La prison ne peut pas manquer de fabriquer des délinquants. Elle en fabrique par le type d’existence qu’elle fait mener aux détenus : qu’on les isole dans les cellules, ou qu’on leur impose un travail inutile, pour lequel ils ne trouveront pas d’emploi, c’est de toute façon ne pas songer à l’homme en société ; c’est créer une existence contre nature inutile et dangereuse (…). La prison fabrique aussi des délinquants en imposant aux détenus des contraintes violentes ; elle est destinée à appliquer les lois, et à en enseigner le respect ; or tout son fonctionnement se déroule sur le mode de l’abus de pouvoir. Arbitraire de l’administration (…). Corruption, peur et incapacité des gardiens (…). Exploitation par un travail pénal, qui ne peut avoir dans ces conditions aucun caractère éducatif. » (Michel Foucault, Surveiller et punir)

Le mouvement de révolte des prisonniers est massif et mondial, soutenons-le !

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