La régie publique, une solution sociale pour préserver l’eau ? Entretien avec René Revol

Elian Barascud Publié le 28 juillet 2024 à 20:08
René Revol, maire de Grabels, est aussi président de la Régie publique de l'eau de la Métropole de Montpellier. (Photo : Mathieu Le Coz/Hans Lucas)

Maire de Grabels depuis 2008, commune de 9 000 habitant·es au nord de Montpellier, René Revol est aussi le Président de la Régie publique des eaux de la Métropole de Montpellier qu’il a contribué à fonder en 2014. Il a théorisé la « règle bleue », selon laquelle il faut « utiliser de manière sobre la ressource en eau en privilégiant les usages fondamentaux pour permettre à la ressource de se renouveler ». Pour vérifier si c’est bien le rôle joué par la Régie, Le Poing a causé dans l’Hôtel de Ville avec ce compagnon de route historique de Jean-Luc Mélenchon

Article initialement paru dans le numéro papier numéro 37 du Poing “La guerre de l’eau est déclarée”, paru en septembre 2023, toujours disponible sur notre boutique en ligne.

Le Poing : A quoi sert une régie publique de l’eau ?
René Revol : À la Régie, on s’occupe du petit cycle de l’eau, de l’adduction, c’est-à-dire l’eau qu’on prend des sources pour la rendre potable et la distribuer aux gens. Ensuite, l’eau usée est renvoyée dans le ré-seau d’assainissement : dans les stations d’épuration, on sépare le solide du liquide pour garder une eau brute non potable, mais qu’on peut utiliser pour l’agricole ou le nettoyage des rues, par exemple. Pendant longtemps, la norme pour la gestion de l’eau, c’était la régie, mais il y a eu une vague de privatisations par le biais des délégations de service public. En 1988, le maire de Montpellier, Georges Frêche, a vendu le service d’eau à Veolia, qui s’appelait alors la Compagnie générale des eaux, pour un contrat de vingt-cinq ans ! En échange, la multinationale reversait de l’argent dont une bonne partie finançait le palais des congrès du Corum. Vers la fin des années 1990, il y a eu un retour aux régies publiques en France. À Montpellier, on est passé en régie en 2014. Le maire Philippe Saurel m’en a confié la présidence, mais comme je n’étais pas macroniste, il m’en a chassé en 2017. En 2020, avec l’élection de Michaël Delafosse, j’y suis revenu en posant une condition : que tout le petit cycle de l’eau, c’est-à-dire y compris l’assainissement, soit de la compétence de la régie. Et c’est le cas depuis le 1er janvier 2023.

Quel est l’avantage d’avoir un robinet relié à une régie publique ?
René Revol : L’eau génère beaucoup de bénéfices. Quand Veolia gérait l’eau à Montpellier, elle ne s’occupait que de l’adduction et faisait 40 centimes de bénéfice par mètre cube, ce qui est énorme. Avec la Régie, il n’y a pas d’actionnaire, pas de bénéfice et donc pas d’impôts sur les bénéfices, pas de frais de siège social, etc. On se sert de l’excédent uniquement pour préserver la ressource et réparer les fuites. Et on a pu faire cet investissement tout en baissant le prix de l’eau de 10% en 2016. En 2014,sur 100 litres d’eau, on en perdait 21 et aujourd’hui on en perd 13. D’un point de vue économique, écologique et social,la Régie est plus efficace qu’une entreprise.

La Régie est publique, mais c’est toujours Veolia qui restructure la station d’épuration de Maera…
René Revol : L’amélioration du traitement des eaux usées à la station de Maera, c’est un marché à 160 millions d’euros, remporté par une filiale de Veolia. Le fait est qu’il n’y a pas d’industriel public capable de construire une usine d’eau. La compétence de la Régie, c’est la gestion, pas l’exécution des chantiers.

Pourquoi construire une nouvelle usine d’eau à Valédeau ?
René Revol : Pour le moment, la distribution d’eau à Montpellier ne tient qu’à l’usine Arago reliée au Lez. Si cette usine pète, il n’y a plus d’eau. Donc on en construit une nouvelle, à Valédeau, derrière le Zénith, qu’on va relier au Rhône. Ça va aussi soulager le Lez, dont la source est une réserve d’eau souterraine. On n’a pas le droit de pomper en-dessous de 42 mètres de profondeur, et tant mieux. Quand on arrive à ce niveau, on compense avec l’eau du Rhône, qu’on achète au Syndicat de l’étang de l’Or via l’usine d’Arago. En 2022, on a basculé sur l’eau du Rhône le 25 juillet et cet été [2023], le 15 août ! Avec le réchauffement climatique, ce dispositif ne suffira pas. Ici, on dépend des nappes, il n’y a pas assez d’eau dans les fleuves limitrophes (l’Orb, le Lez, l’Hérault et le Vidourle). La seule solution de survie, c’est le Rhône. Une partie de l’eau de Valédeau va être utilisée pour Montpellier, Le Crès, Vendargues et Jacou. Pérols et Lattes, déjà, ne dépendent pas du Lez, mais de l’eau du Rhône qu’on achète. Avec l’usine de Valédeau, on les alimentera nous-mêmes.

La Régie assure la gratuité des 15 premiers mètres cubes d’eau par an pour celles et ceux qui ont un compteur individuel, mais 67 % des Montpeliérain·es ont un compteur collectif, comment résoudre ce problème ?
René Revol : On a mis en place une tarification progressive, pour que les gros consommateurs payent plus : c’est gratuit jusqu’à15 mètres cubes car il faut bien vivre, et ensuite on a des seuils à 120 et 240 mètres cube. Pour les compteurs collectifs, c’est impossible à appliquer, donc on a deux seuils : en-dessous ou au-dessus de 120 mètres cube. À Montpellier, 90% des logements sociaux d’ACM ont des compteurs individuels. On a réuni les bailleurs sociaux et on leur a dit : débrouillez-vous pour transformer les compteurs collectifs en compteurs individuels. Si on avait attendu que tout le monde ait un compteur individuel pour lancer la gratuité, on l’aurait jamais fait. L’idée, c’est que chacun·e puisse mesurer en direct sa consommation pour vérifier d’éventuelles fuites, avec des relevés en ligne. Il y a aussi une tarification sociale : celles et ceux qui sont au niveau du seuil de pauvreté reçoivent un versement.

Peut-on vraiment parler d’écologie au niveau de la Métropole, monstre de productivisme ?
René Revol : Je me bats pour l’inversion des flux : 90% des gens vivent en dehors de Montpellier et s’y rendent pour travailler. La Métropole est accroc au développement économique pour financer ses services déficitaires. Sauf qu’il faut loger les gens, scolariser leurs enfants, etc., et même les classes moyennes supérieures n’y arrivent plus. Il y a 33 000 demandes de logements sociaux non satisfaites à la Métropole de Montpellier. En tant que maire de Grabels, je devrais construire. Mais où ? Pas sur les zones naturelles. Alors il faudrait densifier l’urbain existant et privilégier la verticalité à l’étalement, tout en prenant en compte les exigences écologiques. Mais les gens tiennent aux logements individuels et font tout pour avoir un permis de construire, et une fois qu’ils l’ont, ils font tout pour que personne ne construise sur le terrain d’à côté… C’est tout un modèle politique, économique et social qu’il faut repenser…

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