La résistance à Amazon franchit un pallier au Pont du Gard
Un millier de manifestants insistent : c’est le système Amazon qu’il faut combattre, et pas uniquement son implantation entre Nîmes et Uzès
Des chênes. Des oliviers. Des noyers. Des arbousiers. Des centaines de jeunes pousses d’arbres d’espèces méditerranéennes ont renoué avec la terre, en un clin d’œil ce samedi matin, tout près du grand giratoire de Remoulins, à la sortie de l’autoroute A9, au nord-est de Nîmes. C’est que des centaines de manifestants s’étaient employés à cette plantation, sur le terrain de quatorze hectares où Amazon a en projet l’édification de l’un de ses entrepôts géants, destiné à desservir l’arc méditerranéen.
L’un des opposants locaux à ce projet de « l’une des plus dangereuses entreprises au monde » (dixit Alma, au nom des Amis de la terre), expliquait la portée symbolique du geste : inscrire la biodiversité sur ce terrain, y récupérer les espèces autochtones entretenues par les générations passées, et préfigurer « une régie agricole intercommunale », comme projet alternatif de valorisation de cette zone.
D’un côté de l’alternative : la laideur monstrueuse (un centre de tri de 270 mètres de long sur 170 de large et 18 mètres de hauteur à son maximum) d’un équipement privé, en matériaux polluants non durables, pour 150 emplois parmi les pires imaginables, destinés à être vite liquidés par la robotisation. De l’autre côté : un projet écologique durable et enraciné, permettant de fournir la restauration scolaire, aider à l’implantation de jeunes agriculteurs, expérimenter les parades au changement climatique, développer des accueils de visiteurs et des emplois en insertion. Non sans restaurer un paysage déjà désolé, d’un terrain aujourd’hui laminé et défoncé.
Il fallait écouter ce même orateur local, s’étonner, s’émerveiller même, d’être passé des « dix qui, inquiets, se réunissaient voici deux ans dans le village », à cette belle foule rassemblée ce samedi à Fournès, comme sur une bonne dizaine de sites analogues sur tout le pays. Il y avait là toute la galaxie altermondialiste, environnementaliste, écologiste, en lutte pour le climat, unis dans le refus d’un capitalisme aveuglément destructeur, incarné par l’empire Bezos, qui sort encore enrichi par les conséquences de la crise.
« Des gens nous disent que les services d’Amazon sont parfaits, efficaces et pas chers. Evidemment ! Cette multinationale s’affranchit de ses obligations fiscales » s’exclamait le porte-parole d’Attac. A son côté le président de l’Union nationale du commerce indépendant ne pouvait qu’approuver la comparaison, fustigeant « ces prédateurs qui veulent nous écraser, nous les petits qui mettons le meilleur de nous-mêmes en entretenant un monde de lien social ». A la foule, il adresse : « Vous n’êtes pas des procureurs. Vous n’êtes pas des Amish. Vous êtes des citoyens conscients ».
Il faut indexer toutes ces prises de parole sur le contenu de la première d’entre elles. Patrick, habitant du secteur, animateur de la lutte, commence par signaler une petite victoire juridique : la veille même, le Procureur de la République, saisi sur des soupçons de conflits d’intérêts parmi des élus de la commune à propos de la vente des terrains, a désigné un juge d’instruction pour mener l’enquête. Ça barde. Pour tout dire, ce volet procédurier dans la lutte, a produit ses résultats. Sans quelques succès obtenus, le projet aurait avancé plus vite. L’entrepôt pourrait déjà être construit alors que finalement rien n’est sorti de terre à l’heure qu’il est.
Deuxième temps du propos, Patrick poursuit en remerciant les élus, les entités, les instances qui soutiennent l’action. C’est une autre caractéristique de la lutte jusqu’à ce jour, jouant sur les disparités communales, les ententes, les entités diverses, le Grand site du Pont du Gard tout proche, le projet de Parc naturel, etc. Puis il pointe et dénonce « l’opacité, l’absence de consultation des populations, qui empêchent de projeter un développement cohérent, et permettent des projets délirants comme celui d’Amazon ».
C’est bien qu’il faut aussi sortir du seul circuit étouffé des cabinets d’avocats, des cours de justice, des cabinets d’élus et autres antichambres. Alors Patrick conclut sous les ovations : « Merci d’être là. Sans vous, on n’est rien ». Tout est dit. Le slogan unique de ce samedi de mobilisation était : “Stop à Amazon, ni ici, ni ailleurs”. Il faut rompre avec la seule logique du “Not in my backyard”. Autrement dit : « Pas de ça dans ma cour, allez donc poser votre entrepôt ailleurs… ». Non. Amazon et son monde ne sont pas plus acceptables ailleurs qu’ici. Une lutte gagnante est une lutte ancrée autour des premiers concernés, mais aussi une lutte suffisamment ouverte pour créer un rapport de force, au rappel des citoyens conscients, accourus d’ici et d’ailleurs.
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