Le Carnaval sage du rond-point Prés d’Arènes

Le Poing Publié le 24 février 2020 à 11:16

Deux cents personnes se sont déplacées sur le rond-point festif ce dimanche. On y a humé les espoirs et les doutes sur l’état des luttes.

Il y a plusieurs conceptions du Carnaval. Celle d’une explosion d’inversion de tous les codes sociaux, avant de se soumettre à l’austère traversée du Carême. A Montpellier, le Carnaval des Gueux entretient cette ébullition hors contrôle, malgré la surenchère de répression politique et juridico-policière. Puis il y a un autre signe que fait Carnaval, saluant la nature qui frémit après le plus rude de la glaciation hivernale. On était complètement dans ce second registre, dimanche après-midi sur le Rond-Point Prés d’Arènes, dont les Gilets jaunes avaient lancé – et déclaré en préfecture – appel à un Carnaval jaune.

Avec les allers et venues au fil de l’après-midi on peut estimer à deux cents le nombre de personnes qui sont venues y goûter un genre de journée champêtre en milieu urbain. Pas mal. Dans le lot, toujours pas fatigués, on remarqua des visiteurs de Chez Paulette, l’alternative cool à Prés d’Arènes, qui avaient poussé jusque tard dans la nuit la veille au soir, une fête entamée avec la projection du film La sociale, attirant à eux une bonne cinquantaine de personnes. Pas mal non plus.

Notons le pour l’Histoire : alors que les gens de Prés d’Arènes, misant tout sur le sérieux de leur organisation, ont imposé leur rond-point comme le plus coriace du mouvement des Gilets jaunes à Montpellier, on a vu la mairie y procéder à une surenchère d’aménagements paysagers pendant tous ces mêmes mois. De sorte qu’une impeccable prairie fleurie s’offrait aux déambulations militantes dominicales de cette fin février. Dans le ton.

De carnavalier, il y eut la musique fort sympa des Soul Raoul, ainsi qu’une mini-chorégraphie mimant les violences policières. De ce côté-là, il fallut quand même compter avec un étalage d’uniformes et mines patibulaires disproportionnés – avec doigt d’honneur à l’appui du standard de comportement policier macronien – à l’occasion d’un accrochage insignifiant entre deux véhicules sur une bretelle attenante, laissant les automobilistes protagonistes eux-mêmes en proie à une parfaite bonne humeur décontractée. Fin de l’incident. Et la police préféra se faire oublier.

La palabre pouvait donc se poursuivre, tranquille, au soleil. Le journaliste du Poing en a profité pour sonder l’état des esprits à propos des effets, tangibles ou pas, de la fameuse convergence avec les organisations syndicales, thèse dont ce rond-point sera devenu place forte. Il y a Daniel, sa carrure de leader, mais pas si langue de bois qu’on pouvait croire : « Il faut reconnaître que dans l’organisation du mouvement contre la réforme des retraites, nos valeurs Gilets jaunes sont restées complètement marginalisées » assume-t-il d’emblée en donnant l’explication du « rapport de force.  Au moment d’organiser les grands événement, les directions des centrales syndicales conservent tout leur pouvoir ».

De sorte qu’il renvoie sur Sabine, militante du mouvement enseignant, car « c’est surtout dans les manières de lutter à la base, dans la pression sur le terrain, qu’un esprit Gilet jaune a vraiment marqué ce mouvement » estime encore Daniel. Alors Sabine relaie : « Jamais ce mouvement n’aurait été aussi combatif et tenace si les Gilets jaunes n’avaient montré qu’il est possible de relever la tête ! Il aurait fallu pouvoir partir en blocage de toutes les branches de tout le pays au moins pendant dix jours. Les journées d’action perlées sans lendemain, imposées par les directions syndicales, ont épuisé cette énergie ».

A présent, Sabine prône un redéploiement sur tous les sujets de lutte – pas que les retraites, et dans l’enseignement il n’en manque pas. Et elle mise sur un nouveau genre d’instance, le 12 mars prochain, où les organisations syndicales accepteraient de se mêler à un fonctionnement en assemblée générale constituée de délégués de la base. Relance des énergies ? Ou exercice théorique ? Nul ne doutera, en tout cas, de cette obstination dans l’effort.

Il y a beaucoup de retraités sur le Rond-Point, rompus aux manifs, mais non insérés dans les débrayages, par la force de leur statut. Tous font contre doutes bon coeur. Claudine, qui affiche un demi-siècle de combat anarchiste, répète qu’elle a attendu « pendant cinquante ans de pouvoir vivre un mouvement aussi tenace et stimulant ; seize mois, non mais tu te rends compte ! » Luc est convaincu que, réforme des retraites ou pas, « Macron est désormais politiquement aux abois, c’est une vraie victoire ». Et Roland note que « si les Gilets jaunes ont rejoint concrètement les syndicalistes, l’inverse s’est peu vu, en tout cas les samedis ». Et c’est ailleurs qu’il déplace ses espoirs : plein de connexions, d’échanges, d’initiatives « se développent de manière moins visible, mais très vivante, sur toute une quantité de terrains de lutte, comme les femmes ou le climat ».

Pour les musiques occitanes, rythmées à la grenade, c’est ce 25 février, 19h, au Peyrou.

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