« Le pouvoir des femmes renversera le pouvoir » : focus sur la marche féminine des gilets jaunes à Montpellier
À Montpellier, un gros cortège très alerte ce samedi pour l’acte IX ; mais parfois déboussolé entre féminisme assumé et pacifisme supposé propre aux femmes.
C’est carré. C’est direct : « Le pouvoir des femmes renversera le pouvoir » lit-on sur une banderole brandie ce samedi 12 janvier dans les rues de Montpellier. Interjection d’un homme militant : « Alors magnez-vous, les femmes, parce que nous, ce pouvoir, on n’en peut plus ! » Il n’a pas manqué de tonalités réjouissantes dans ce cortège des gilets jaunes au féminin. Ni d’ambiguïtés.
Il fallait éclaircir cette idée d’une manifestation dont les femmes seraient le slogan d’affichage, mais qui ne serait pas féministe, alors même que le mouvement enclenché mi-novembre a toujours compté avec une très forte composante féminine. Les idées sont fortes. C’est un trait de ce mouvement. À nouveau sur cette question.
« Les femmes sont souvent aux postes les plus précaires » dénonce Annick. « Les femmes retraitées sont les plus misérables. Les actives subissent la différence des salaires, les temps partiels non choisis, les métiers sociaux, la santé, qui sont magnifiques mais sous-valorisés ». Dans cette logique, ce rassemblement féminin est finalement « pourquoi pas, féministe » conclut Marylène. Grosso modo, une première partie du cortège est à forte dominante féminine, selon la consigne. Particulièrement énergique. Un carton en tête avertit : « Pour l’avenir de leurs enfants, les femmes se transforment en lionnes sauvages ».
Tout un groupe venu de Saint-Hippolyte-du-Fort, hélas sans la sono adéquate, s’est ingénié à actualiser la Marseillaise. Extrait : « Allons enfants de la patrie, grondant de rage face au profit, la bêtise et la tyrannie, menaçant la terre et nos vies… Entendez-vous dans les campagnes le bruit des faux communicants qui viennent jusqu’au fond de nos crânes, semer leurs recettes, leurs salades ».
Combative, euphorique, est la tonalité majeure. s’entend à pleins poumons, avec une joie rayonnante à continuer de tenir tête contre la violence de la propagande qui voudrait ne plus dépeindre qu’un mouvement en voie d’essoufflement dans une radicalisation ultra-minoritaire. Car voilà une autre dimension sous-jacente du rassemblement. Magaly, la quarantaine, accompagnée de son ado, ne le cache pas : « J’ai toujours soutenu les gilets jaunes du fond du cœur. Mais c’est ma première participation à un cortège. J’avais trop peu des coups. J’espère que l’élément féminin permettra de me protéger ».
L’argument n’est pas idiot, pour saper l’un des pans du story-stelling médiatique, qui, sous le jaune momentané, ne verrait que l’ombre black-block la plus noire. Mais l’argument, qui assigne aux femmes l’essence d’une posture d’agneaux sans défense, est fort ambigu. Marie-Claude, la soixantaine, râle : « Je me suis battue toute ma vie pour une pleine égalité, et il faudrait en revenir à l’idée que les femmes sont tout à fait à part ! » Et sur le parvis de l’hôtel de ville, Thierry joint au téléphone un camarade sur la Comédie : « J’ai peur qu’il y ait de la division dans cette histoire, entre les gentils manifestants regroupés avec les femmes d’un côté, et les mauvais déterminés à saccager le centre ville de l’autre ».
On ne veut y penser qu’à moitié, quand le cortège s’ébranle à huit cents, peu après 14 heures, et se retrouve plus du double au carrefour du lycée Mermoz. Il est alors ragaillardi par la jonction avec ceux de la Comédie descendus jusque-là à leur rencontre. Une banderole s’y distingue, on ne peut plus claire : « Résistance populaire contre les violences capitalistes ». Et hop. On atteint les deux mille personnes. Mais la fatigue se fait sentir, après un trajet incroyablement lent, sur les trajectoires tarabiscotées des artères des quartiers du Lez et d’Antigone.
Ce maintien loin du centre-ville, dans des zones peu fréquentées, ne manque pas d’opérer son effet diluant. Les autorités qui ont imposé pareil parcours ne sont pas naïves. Le service d’ordre du cortège, où certains ne dédaignent pas de surjouer leur mental viriliste, s’applique à canaliser la foule dans cette logique. Or une foule a son intelligence, qui recoupe celle des territoires géographiques.
Dilemme au croisement du boulevard d’Antigone et de l’allée de la Citadelle. On y est à deux minutes de la Comédie. Mais non : l’ordre pacifiste officiel est de descendre la voie rapide vers le Corum. Les troupes se divisent. Trois quarts de légitimistes acceptent ce nouveau détour interminable. Mais chassez le naturel… Que faire dans le non-lieu des croisements des voies de tram ? Remonter les escaliers de l’Esplanade, pardi. Rejoindre la Comédie, évidemment. Y hésiter quelques instants. S’y redire la société là qu’on n’en veut pas. Et donc reprendre la direction du symbole du pouvoir qui la verrouille : cap sur la Loge et les Martyrs de la Résistance. « Résistance ! Résistance ! »
Une étrange banderole est de ce parcours. Énorme. Belle. Colorée. Benjamin assure ne l’avoir terminée qu’à 23h dans la nuit. Cela au terme d’une semaine de réflexion, pour avoir pris des coups dans les affrontements du samedi passé. Il veut croire en la régénération pacifique de la lutte. Il a écrit : « Femmes, hommes tous unis, protégeons nos forces, pour une révolution juste, respect des différences, une lutte joyeuse, forte, douce, paix, unité ». Ça part dans tous les sens. C’est plein de bonnes intentions. De quoi paver, sinon l’enfer, du moins les parcours de manifs.
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