Face au Coronavirus, les SDF encore une fois délaissés par l’État ?

Le Poing Publié le 19 mars 2020 à 19:20 (mis à jour le 20 mars 2020 à 11:07)

Article modifié le 20/03/20 à 11h01. L’association humanitaire de Montpellier, citée plusieurs fois dans cet article, est une association sans étiquette politique ou religieuse. Tout propos non rapporté de leur part n’engage que notre rédaction.

Depuis le 17 mars à 12h le confinement total a été décrété sur l’entièreté du territoire français. Cette mesure, aussi nécessaire qu’elle soit, ne peut être appliquée par tout le monde. En plus des personnes pour qui il est impossible de mettre sa vie professionnelle sur pause (comme les employé.e.s d’usine, du médical ou de la grande distribution), les plus précaires et sans domiciles fixes sont dans l’incapacité de respecter le confinement. Si la priorité semble de s’éloigner des autres en s’enfermant chez soi, pour certains il s’agit d’abord de pouvoir se nourrir.

Le préfet de l’Hérault Jacques Witkowski a lancé un appel aux bénévoles pour venir en aide aux sans-abri durant la crise du Covid-19, mais la préfecture ne fournit aux volontaires comme aux SDF ni gants, ni masques, ni gels hydroalcooliques. L’association humanitaire de Montpellier, qui assure des maraudes tous les soirs depuis plusieurs années en centre ville, est en contact régulier avec la préfecture et la mairie qui assurent l’arrivée prochaine en quantité de gel hydroalcoolique. Cette livraison potentielle reste tardive face à la crise sanitaire actuelle, illustrant l’incapacité du pouvoir institutionnel à fournir un quelconque matériel de prévention qu’il n’a pas jugé bon de stocker quand il était encore temps. L’activité de ces associations n’a pas été mise en suspens par les pouvoirs publics tant qu’elles réalisent leur activité en respectant les consignes sanitaires. Mais comment les bénévoles peuvent-ils réaliser leur mission de solidarité en toute sécurité s’ils ne peuvent pas se fournir en masque, gel hydroalcoolique et gants ? Ceux-ci comptent actuellement sur la générosité des particuliers pour obtenir ce matériel qui vient à manquer, solution très insuffisante face à la perspective des semaines à suivre.

Les autorités ne fournissent pas non plus les repas, confectionnés comme d’habitude par des associations. L’association humanitaire de Montpellier a distribué 125 repas ce mercredi 18 mars, distribution qui ne s’amoindrit pas durant l’épidémie voire qui s’amplifie. D’autres associations distribuant des repas bénévolement n’ont pu maintenir leur activité durant cette période de crise, que ce soit à cause d’un nombre trop faible de bénévoles disponibles ou bien à cause de l’incapacité de se fournir en denrées alimentaires. Les personnes précaires qui comptaient sur ces associations se dirigent dorénavant vers celles toujours actives comme l’association humanitaire de Montpellier. Mais aujourd’hui cette association non subventionnée qui ne fonctionne qu’en partenariat avec des commerces, restaurants et épiceries solidaires, ne peut résister à la fermeture de ses fournisseurs. Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron, au préfet, au maire de Montpellier Philippe Saurel et au directeur départemental de la cohésion sociale de l’Hérault Didier Carponci, l’association demande aux autorités du gel et des masques, et lance un appel à la population pour venir les aider, notamment en fournissant de la nourriture. L’association peut être contactée au 07 83 04 38 16, ou via leur page Facebook. La préfecture de l’Hérault peut aussi vous mettre en lien avec une association en appelant le 04 67 41 72 27 de 10h à 16h.

Si pour le moment les différents centres d’accueil pour SDF de Montpellier ne cessent pas de fonctionner, il ne faut pas oublier que ces structures ne peuvent accueillir que la nuit, laissant les SDF dans la rue pendant la majorité de la journée, sans possibilité de se protéger face à la propagation du coronavirus. Aucune consigne d’hygiène et de sécurité n’a de plus été émise pour les personnes qui viennent à résider dans ces lieux.

La ville de Montpellier met à disposition deux gymnases pour les sans-abri : le gymnase Emmanuel Gambardella, 4 rue Bourrely, quartier Clémenceau, et le gymnase Les Arts, 36 rue de la Cavalerie, quartier des Beaux-Arts. L’ouverture est prévue chaque fin d’après-midi à 17h. Vingt-cinq lits de camp sont installés dans chaque gymnase, soit une capacité de cinquante places. Un chiffre dérisoire face aux deux-mille personnes à la rue à Montpellier. Les sans-abri ne devraient de toute façon pas se ruer sur ces gymnases, les animaux n’y étant pas admis…

Aujourd’hui la Fédération des acteurs de la Solidarité estime qu’entre 200 000 et 250 000 personnes sont sans domicile fixe ou en habitat précaire en France. Ces personnes n’ont pas d’accès régulier à l’eau potable, sont exposées à des conditions de vie favorisant le développement de maladies, bref elles sont les plus fragiles face à un virus auquel on ne peut qu’opposer des gestes barrières, que les SDF n’ont même pas la possibilité de réaliser (se laver les mains régulièrement). En 2019 l’INSEE publiait une enquête montrant que sur 165 739 logements en tout sur Montpellier, plus de 12 700 étaient vacants. Si le Préfet ou le maire décidaient d’exercer leur pouvoir de réquisition des logements vacants, cela permettrait de mettre en sécurité les personnes précaires les plus exposées au coronavirus. Si ce pouvoir du préfet n’est juridiquement applicable que dans des communes où sévissent de graves crises du logement, pour le maire ce pouvoir s’applique en situation d’urgence et lorsque le défaut de relogement est susceptible de créer une menace de trouble grave à l’ordre public – à savoir maintenant si l’exposition des SDF à un virus aussi dangereux est considérée comme une menace de trouble grave à l’ordre public. Le maire ne peut employer ce pouvoir que si la saisine de l’autorité préfectorale prévue n’a pas été fructueuse en premier temps. Un membre de l’association humanitaire de Montpellier résume parfaitement la situation : « C’est sûr qu’il y a des logements libres qui peuvent accueillir des gens d’un côté et des personnes dans le besoin de l’autre, après qu’est-ce qu’il manque entre les deux ? ». Monsieur le préfet, c’est à vous d’agir.

Bref, en temps de crise comme en temps normal, l’État ne fait rien pour les pauvres. Seul le peuple sauve le peuple : multiplions les actes de solidarité, et protégeons-nous.

Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :


ARTICLE SUIVANT :

Chroniques confinées #1 : premières réflexions à chaud