Le théâtre s’attaque aux Gilets Jaunes : Portraits ! Manifeste !
Du son, de la lumière, des témoignages textuels incarnés par des corps pour des portraits de Gilets Jaunes sur un plateau de théâtre
Mettre les paroles “brut” de manifestant.e.s des Gilets Jaunes frontalement sur un plateau, donner à entendre à voir et à respirer un mouvement social en direct, c’est l’enjeu d’une forme de théâtre, le documentaire, qui instruit des problématiques passionnantes entre la fiction, la réalité, le social et notre réflexion. C’est tout le pari de ce projet dont on peut se demander comment le théâtre potentialisera ou pas cette réalité ; l’histoire d’une compagnie de théâtre, d’une Web radio et d’un théâtre à Montpellier, dans le quartier de La Paillade qui collaborent pour œuvrer à un spectacle qui sera présenté dans la saison 2023/24 à Jean Vilar.
Pendant le mouvement des Gilets Jaunes, Radio-gine a fait des entretiens qui ont donné lieu à des témoignages permettant d’entendre une douzaine de portraits individuels enregistrés. C’est un dispositif très particulier et très précis qui est mis en place sur le plateau pour re-fournir un corps à ce qui n’était qu’une voix. C’est à partir de cette matière de « témoignage sonore » que les portraits ont été conçus pour un ou une comédienne qui vont incarner en public cette voix. Le/la comédien.ne a un casque sur le plateau qui leur permet d’entendre le témoignage et de le restituer directement en en gardant la temporalité et le rythme.
« Par le biais d’enregistrements sonores restitués en direct au moyen de casques audio par les comédiennes et comédiens, le projet !MANIFESTE!, construit en partenariat avec RADIO GI·NE dont le sociologue Jean Constance et Lorrie le Gac, proposent de faire entendre les témoignages d’« acteurs et actrices » de différentes manifestations (Black-Blocks, CRS, Street-Médics, Policiers, Avocats, Manifestants) Il laisse également deviner, en filigrane, le travail journalistique des personnes engagées dans cette web Radio », comme l’indique un extrait du dossier « Projet de manifestation sonore, théâtrale et documentaire »
Pour préparer ce spectacle, quatre portraits ont été présentés en préambule entre novembre et février sur la petite scène du théâtre Jean Vilar : « Afin de mettre en jeu et d’agiter cette matière documentaire. Ces portraits sont des duos pour un.e interprète et un créateur sonore. Ils s’intéressent à un seul témoignage, une seule figure, un seul parcours. »
Le Poing a vu ces quatre portraits de gilets jaunes : Et là la violence elle a commencé/ Mais que fait la police/ La tête de l’emploi / J’vais pas vous mentir. Deux portraits seront repris au Périscope à Nîmes le 1er Juin 2023
La présentation du dernier portrait a était l’occasion de rencontrer et d’échanger avec Antoine Wellens (Auteur-Metteur en scène) et Virgile Simon (Acteur-Metteur en scène) de la compagnie « Primesautier Théâtre », qui existe depuis 2003, avec une professionnalisation depuis 2010. Ce sont eux qui ont conçu et mis en scène ces portraits avant la future création, qui mêlera et fera dialoguer ensemble plusieurs portraits de gilets jaunes avec en filigrane l’histoire de la radio : dans cette future création les identités fixes de chacun.e seront bousculé.e.s.
Pourquoi le théâtre et pas simplement l’écoute des témoignages ou leur simple restitution ?
Pour nous, c’est l’incarnation par le corps d’une pensée qui s’exprime, un textuel qui aura sa rythmique. Que fait le corps avec cette matière, comment il participe à la construction de sa pensée en direct. Les enregistrements ont été faits à l’abri des manifestations, l’acteur.trice va s’en emparer fidèlement sur le plateau en le replongeant en situation dans une immédiateté lui permettant de déployer sa pensée en action. Le théâtre a un devoir de frontalité.
Le mouvement des Gilets jaunes c’était un collectif refusant son incarnation par des leaders, et vous présentez des portraits ?
Le théâtre est là pour faire entendre des individualités qui ont composé ce mouvement, c’est le choix d’une forme intimiste où le texte est à l’égal du corps. Le casque audio apporte cette distance dans une version documentaire du théâtre et des Gilets Jaunes, mais à distance. Dans les mouvements sociaux se développe une pensée sur la société, on la restitue.
Quel est le premier public de ce travail ?
Dans la présentation de ces portraits, on peut dire que c’était du 50/50 – convaincu.e.s et novices- à noter que la salle était pleine les quatre fois mais la jauge assez petite. Il y a un fossé entre les militants gilets jaunes et le théâtre, certain.e.s considérant le théâtre comme « un art bourgeois » c’est un pari de les gagner à cette forme ! Un théâtre d’enquête documentaire et sonore avec une machine à fumée pour les lacrymos, un gilet jaune posé sur le plateau, un pavé qui ne bouge pas et des sons bien connus, bien reconnaissables. C’est une forme performative, évolutive qui s’adaptera aux différents lieux. Dans le spectacle!Manifeste ! la scénographie se fera avec des barrières Vauban, les fameuses barrières de police en acier !
Ces soirs là, la salle était effectivement pleine, l’émotion palpable, doublée de la première rencontre entre la personne qui avait témoigné et celle qui incarnait son témoignage sur le plateau. Des comédien.ne.s plus « haut -parleurs » qu’ acteurs.ices, dans une forme théâtrale risquée mais inédite.
Nos articles sont gratuits car nous pensons que la presse indépendante doit être accessible à toutes et tous. Pourtant, produire une information engagée et de qualité nécessite du temps et de l’argent, surtout quand on refuse d’être aux ordres de Bolloré et de ses amis… Pourvu que ça dure ! Ça tombe bien, ça ne tient qu’à vous :