Les Brigandes : quand une secte d’ultradroite de l’Hérault s’inspire de Moscou

Le Poing Publié le 17 mai 2023 à 17:33 (mis à jour le 17 mai 2023 à 18:09)
Le théoricien russe néofasciste Alexandre Douguine et Roxane, des Brigandes

La secte d’ultradroite de l’Hérault Les Brigandes, rebaptisée La communauté de la Rose et de l’Épée, dont des membres sont invités à un salon bien-être à Montpellier, est au cœur d’un réseau nationaliste d’amitié franco-russe.

Le fait que l’extrême-droite française soit financée par la Russie – en témoignent les révélations sur l’argent russe du Rassemblement national (RN) – n’est pas nouveau. Mais l’invasion de l’Ukraine rebat les cartes. Hier toléré, le soutien de Vladimir Poutine devient soudain une marque d’infamie. La majeure partie de l’extrême droite activiste se rangeait alors avec plus ou moins d’entrain derrière la cause ukrainienne, projetant sur ce conflit ses propres fantasmes de défense d’une Europe libre, menacée par des hordes « néo-bolchéviques ».

En pleine campagne électorale, Marine Le Pen et Éric Zemmour se trouvaient tous deux obligés de condamner la politique de Poutine. Il fallait passer sous les fourches caudines et redoubler d’affection pour l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Le RN faisait ainsi mine de s’éloigner de ses anciens banquiers. La candidate d’extrême droite a même ordonné le retrait d’un tract de son parti la montrant en train de serrer la main au Président russe lors d’une rencontre officielle en mars 2017. Ces revirements aussi soudains qu’opportuns ne suffiront pas cependant à réécrire l’histoire.

Propagande pro-Poutine

Ainsi, dans l’Hérault, la faction la plus acharnée dans son tropisme pro-russe était peut être celle des Brigandes, désormais renommée La communauté de la Rose et de l’Épée à la suite de sa dissolution en 2021. Les titres de cet étrange groupe de musique, paravent d’une petite secte à mi-chemin entre l’ésotérisme complotiste et la secte survivaliste, dans la même veine que la secte russe Anastasia, laissaient peu de doutes sur ses orientations néofascistes. Les paroles de Laissez vivre la Russie ne font pas dans la subtilité : « Laissez vivre la Russie / Laissez-la vivre sa vie / La féérique magie / Du Dieu qui la bénit […] Quel est cet homme sorti de l’hiver / Chargé du destin d’un peuple fier / De la France recevez notre estime / Cher Vladimir Poutine ». Quant à la chanson Soldat de l’OTAN, il y est question d’une « Fiotte armée jusqu’aux dents / Qui va casser de la babushka / Au service de la CIA ». Ce sont des membres de ce groupe qui sont invités du 19 au 21 mai au salon du bien-être Demain c’est aujourd’hui à Montpellier, au château de Flaugergues, aux côtés d’autres invités pour le moins controversés.

Loin du discours de paix entre les peuples, il s’agit d’un appel aux Français·e·s à se tourner vers un Est fantasmé : une Russie traditionnelle, blanche et orthodoxe, aux saines ambitions impériales. De la part d’une extrême-droite longtemps obsédée par le péril soviétique, ces positions pourraient surprendre. Elles sont finalement le résultat d’un long travail idéologique, mené conjointement en France par la Nouvelle droite, et en Russie par des figures telles qu’Alexandre Douguine. Ce personnage commence son activité politique dans la dissidence des années 1980. Durant la chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), il évolue dans les réseaux monarchistes, antisémites, puis nationalistes-révolutionnaires, tentant d’improbables synthèses idéologiques. Dans un article de 1997, il considère qu’« en Russie, nous avons franchi deux stades idéologiques : le communisme et le libéralisme. Ce qui reste, c’est le fascisme. » Il y exprime son souhait de voir désormais advenir « l’aube aveuglante d’une nouvelle révolution russe, le fascisme sans frontières comme nos terres, et rouge comme notre sang. »

Après avoir grenouillé dans l’underground russe aux côtés du poète et aventurier Edouard Limonov, il se lasse de la posture d’éternel opposant et, autour des années 2000, opère un virage pour se rapprocher du pouvoir. Alors que ces années voient l’ascension de Vladimir Poutine, Douguine développe une synthèse politique autour de l’idée d’Eurasie : selon lui, la Russie représente une puissance de la terre, tellurique, opposée aux empires marins, thallasocratiques, tels que les Etats-Unis. Cette lecture simpliste, décalque slave du Choc des civilisations de Samuel Huntington, est bien sûr mâtinée d’obsessions militaristes, antisémites, dictatoriales, et enrobée d’un vernis spirituel.

Réseau d’amitié

Mais l’influence du théoricien progresse. On lui prête une influence sur les conceptions géopolitiques du cercle dirigeant russe. Hors des frontières, sa mystique impériale trouve un écho dans une extrême-droite en quête de repères – notamment Alain Soral –, mal à l’aise avec la victoire par forfait des États-Unis dans la Guerre froide à laquelle elle a pourtant contribué. Et si les dirigeants du Front National rencontrent leurs homologues russes, d’autres groupes plus marginaux tels que les Brigandes vont également en pèlerinage à l’Est. On retrouve ainsi une membre des Brigandes (probablement en 2018) en compagnie d’Alexandre Douguine, ou interviewant en avril 2017 la fille du théoricien sur l’eurasisme.

La passion prorusse des Brigandes leur vaut également quelques retours d’ascenseur. Ainsi, l’Institut franco-russe UPESR diffuse leurs vidéos. Le site Geopolitika, qui diffuse les thèses eurasistes à l’international, leur assure également une certaine publicité. Quand on sait l’importance des réseaux de financement russes dans le développement de l’extrême droite européenne au cours des dernières décennies, on comprend l’intérêt soudain d’ésotéristes languedociens pour la Sainte Russie…

La dissolution des Brigandes et les retournements de vestes pro-ukrainiens de leurs alliés locaux signifieraient-ils désormais la fin d’une époque ? Il est permis d’en douter : le 13 juin 2022, Joël Labruyère, « gourou » des Brigandes, expliquait dans une vidéo au sujet de la « russophobie » que l’âme russe, de nature tellurique, était naturellement détestée par les Occidentaux… Derrière le verbiage culturaliste, l’incapacité de ces réactionnaires à penser le monde hors de la soumission à une puissance ou à une autre semble les pousser encore et encore vers les mêmes fantasmes d’empire.

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