Les centres de rétention se vident, mais l’État refuse de les fermer officiellement en dépit du bon sens

Le Poing Publié le 3 avril 2020 à 20:20 (mis à jour le 16 février 2021 à 08:41)
Centre de rétention administrative de Sète

Le Centre de Rétention Administrative (CRA) de Sète a fermé ce mercredi 1er avril suite à la libération du dernier « retenu ». Selon une avocate montpelliéraine spécialisée dans le droit des étrangers, les détenu·e·s dépourvu·e·s de papiers français condamné·e·s à une interdiction de territoire national seraient redirigé·e·s vers le CRA de Nîmes à leur sortie de prison, et le CRA de Perpignan serait aussi en voie de fermer dans les prochains jours. N’en déplaise aux juges des libertés et de la détention, les retenu·e·s sont progressivement libéré·e·s par la cour d’appel de Montpellier. À l’exception des sortants de prison, il n’y a plus de nouveaux arrivants dans les CRA de la région Occitanie, la frontière espagnole étant fermée et les consignes préfectorales allant dans le sens d’un arrêt des contrôles des personnes migrantes, toujours selon notre avocate. Partout en France, les CRA se vident petit à petit mais le gouvernement refuse d’homogénéiser la situation.

Situation hétérogène et inaction politique

Le 27 mars, le Conseil d’État a rejeté la demande de fermeture temporaire des CRA formulée par le groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (GISTI), l’association « Avocats pour la Défense des Droits des Étrangers » (ADDE), le Syndicat des avocats de France, l’association La Cimade et le Conseil national des barreaux. Il renvoie à la responsabilité des juges des libertés « qui ont la compétence pour mettre fin à la rétention lorsqu’elle ne se justifie plus pour quelque motif que ce soit ». Il met aussi en avant le fait que « l’autorité administrative a pu procéder, dans la période récente, à des éloignements du territoire, en dépit des restrictions mises par de nombreux États à l’entrée sur leur territoire de ressortissants de pays tiers et de la très forte diminution des transports aériens ».

Le nombre de remises en liberté prouve pourtant que la faisabilité de ces éloignements est aujourd’hui très limitée : les liaisons aériennes et maritimes internationales sont largement interrompues, les frontières de l’Union européenne et de l’espace Schengen sont fermées. Cet acharnement à maintenir le principe de la continuité des expulsions est révélateur de la position adoptée par l’État français à l’égard des personnes migrantes. Cette réponse du Conseil d’État marque clairement la ligne choisie : les expulsions sont considérées comme prioritaires, faisant partie des actions « indispensables à la Nation », plus urgentes que la santé des personnes en situation irrégulière et du personnel travaillant en CRA. La demande de fermeture des CRA semble pourtant relever du bon sens sanitaire.

Une absurdité sanitaire

Dès le 17 mars, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté explique dans un communiqué que « ces mesures [confinement et distanciation sociale, annoncées le 16 mars] mettent cruellement en lumière les conditions de promiscuité et de surpopulation qui prévalent dans certains lieux de privation de liberté en France, telles que dans les maisons d’arrêt et les centres de rétention administratives. Concernant les centres de rétention administrative, il a été indiqué au CGLPL que l’on observe dans certains centres une absence totale d’information de la population retenue, un hébergement collectif dans la promiscuité, le maintien de la restauration collective et un défaut complet de protection, tant de la population retenue que des fonctionnaires de police. Dans de telles conditions, l’État manque à son obligation de protéger à la fois ses agents et les personnes qu’il a lui-même placées sous sa garde. »

Les associations dont la requête de fermeture des CRA fut rejetée estimaient que la situation peut être caractérisée d’urgence « à raison, d’une part, du caractère préoccupant de la situation sanitaire sur le territoire français, de l’augmentation exponentielle du nombre de patients infectés par le covid-19 et du risque, à court terme, de saturation du système de santé français, d’autre part, des conditions de retenue dégradées dans les centres de rétention administrative, du risque réel et imminent d’une contamination généralisée des personnes retenues qui participerait au risque d’engorgement des hôpitaux et, enfin, de la suppression des droits élémentaires des personnes retenues liée aux mesures de confinement édictées ».

Des retenus ont également alerté sur leur situation, comme dans un communiqué des détenus du CRA de Palaiseau : « Il n’y a rien ici, il y a que la police qui nous enferme. Avec le virus pas de visite au médecin, il s’en fout, et les policiers traînent dans les couloirs sans masque » (communiqué émanant du CRA de Palaiseau).

Un choix politique

Le gouvernement français a donc fait le choix de l’inaction – alors mêmes que d’autres pays ont pris des mesures plus sociales, et adaptées au péril sanitaire. Depuis ce lundi 30 mars, le Portugal a décidé de temporairement régulariser tous les sans-papiers (les immigrés en attente de titre de séjour, ainsi que les demandeurs d’asile). Cette décision est motivée par la volonté de permettre à des populations marginalisées de pouvoir accéder aux mesures de solidarités mises en place par l’État dans le cadre de la pandémie (prise en charge à domicile en cas de symptômes, mesures de protection de l’emploi et du salaire…) S’assurer de la santé et du bien-être des personnes migrantes est dans l’intérêt de toutes et tous.

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