Les ultra précaires de l’Education nationale montent d’un cran dans leur lutte
Corvéables et jetables à merci, les Assistants d’éducation (AED) marquent l’acte 2 d’une mobilisation aussi inespérée qu’inédite. Rendez-vous jeudi en manif régionale à Montpellier.
Jean-Michel Blanquer était l’invité de la matinale de France-Inter ce mardi 19 janvier. Il n’a pas eu un mot sur la grève nationale des assistants d’éducation, appelée ce même jour par une coordination de collectifs autonomes, qui poussent actuellement comme des champignons un peu partout sur le territoire. Réponse ministérielle : le mépris. Cette même catégorie de personnels avait déjà débrayé le 1er décembre 2020. Une délégation reçue à l’Académie y avait exposé leurs revendications. Celles-ci étaient censées remonter vers qui de droit au Ministère. Nouvelle audience pour une délégation ce mardi 19 janvier 2021. Aucune redescente de quelque élément nouveau que ce soit. Réponse des services et de l’administration : le mépris.
« AED méprisés ? “Vie scolaire” fermée ! » était le slogan le plus vigoureusement repris, dans l’après-midi sous les fenêtres du Rectorat, rue de l’U à Montpellier, par plusieurs dizaines de grévistes rassemblés. Être AED, c’est par essence connaître le mépris. Il fut un temps, de plus en plus lointain, où l’État se flattait de pratiques vertueuses, dignes d’être montrées en exemple, dans sa façon de traiter ses personnels. A l’inverse, le statut d’AED, instauré en 2003, est une caricature de précarité fleurant l’arnaque néo-libérale.
Au cours d’une conférence de presse très tonique, des représentants du collectif Vie S’colère 34 ont rappelé ce qu’il en est de ce statut. Pour capter la portée historique du mouvement de grève en cours, il suffit de savoir qu’un.e AED ne bénéficie d’un contrat que d’une durée d’une année, reconductible cinq fois, sur recrutement direct par un chef d’établissement scolaire (hors cadre national). Apparemment ignorants de la loi en matière de droit de grève – ou décidés à la transgresser – on remarque, via les réseaux sociaux notamment, les remontées de plusieurs cas de menaces directes de non renouvellement de contrats en fin de cette année, formulées par certains responsables d’établissements.
C’est qu’ils ne cachent pas leur colère. Des AED qui débrayent, des “Services de la vie scolaire” qui restent fermés, et c’est tout le fonctionnement d’un collège, d’un lycée, qui part en panique. « Nous sommes les couteaux suisses de l’Education nationale » ont rappelé les porte-parole des grévistes. Description du métier : « Nous faisons surveillants, infirmiers, psychologues, et à la demande animateurs, médiateurs de crise, remplaçants d’enseignants, secrétaires de secours, accompagnateurs, assistants en soutien scolaire ». Tout cela pour une rémunération au SMIC, des nuits entières d’internat rémunérées pour trois heures seulement, des repas payés cash à la cantine même pour y surveiller les repas, des heures supplémentaires “annualisées” (non prises en compte, de fait), aucune visibilité à plus de douze mois (comment se loger, garantir des emprunts, etc?), et l’assurance d’éjecter au bout de six années maxi.
Les états d’exception liés au Covid d’une part, à la menace terroriste d’autre part, « ont encore allourdi la charge sans compensation, tout nous retombe dessus, dont la gestion de la tension, l’inquiétude et la nervosité grandissantes des élèves, sans compter les injonctions contradictoires : faire sortir les élèves pour assurer la ventilation antivirale des locaux, mais non, les faire rentrer pour se conformer aux instructions anti-terroristes ». Cette pression conjoncturelle supplémentaire a beaucoup joué pour motiver l’entrée en mobilisation. Un AED de Fontcarrade nous confie : « Cette mauvaise gestion de crise est désolante, car on sent bien que dans ce contexte très pesant, beaucoup d’élèves sont finalement très heureux de venir en cours, c’est leur seule soupape. Et c’est l’idée que je me fais de ce métier : créer des situations bien vécues, qui leur donnent le goût et l’envie ».
Mais comment faire, quand les emplois du temps changent chaque semaine, quand un AED a cent élèves ou plus sur lesquels veiller, quand il n’a eu droit à aucune formation de base spécifique ? Tout cela débouche sur des revendications immédiatement compréhensibles mais qui semblent rester totalement hermétiques aux esprits qui gèrent la situation derrière les portes des services académiques : la titularisation, l’embauche en grand nombre, la pérennisation possible au-delà des fameuses six années, etc. Ou bien, ne serait-ce que la perception de la prime accordée à la totalité des personnels de l’Education nationale, techniciens ou personnel d’entretien compris, en zones d’éducation prioritaire, mais dont les seuls AED sont privés. Méprisés, disait-on.
Il s’agit de revendiquer un métier plein et entier, permettant de « fabriquer des enfants forts, plutôt que réparer des adultes cassés » comme le mentionnait l’un des panneaux, brandi par une manifestante. Ce métier n’est pas qu’un aimable « job d’étudiant », comme il avait fallu l’entendre en audience officielle le 1er décembre au rectorat. « La moyenne d’âge y est aujourd’hui située entre 30 et 35 ans, avec seulement 20 à 25 % d’étudiants », pour une activité qui ne laisse d’ailleurs pas le temps, ou quasiment, de suivre des études.
A ce compte, il n’y a aucune raison que la colère retombe. Les grévistes d’hier se réjouissaient de constater que plus de la moitié des cent-vingt établissements du secondaire dans l’Hérault, ont été impactés par leur mouvement ce mardi. La plupart sont engagés pour déjà trois jours de débrayage qui culmineront jeudi en manifestation régionale à Montpellier. Plusieurs veulent tenir jusqu’au mardi de la semaine suivante, 26 janvier, pour converger avec tous les personnels de l’Education nationale dans l’action ce jour-là.
Cette ténacité impressionne, de la part d’ultra précaires, sous-rémunérés, intimidés par la peur d’une perte de poste, disséminés en petits effectifs d’établissements en établissements, ne se connaissant pas les uns les autres. Mais voilà « AED, marre d’être précaire, Jean-Michel Blanquer, on va te faire la misère ! ».
Des AED étaient mobilisés aux quatre coins de la région pour cette journée du 19 janvier, que ce soit devant la sous-préfecture de Béziers, la Direction des Services Départementaux de l’Education Nationale, ou devant tout un paquet d’établissements dans la mâtinée.
Des rendez-vous commencent d’être notés au retour des vacances d’hiver, et pourquoi pas « toute l’année, si vraiment on refuse de nous entendre ».
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